samedi 21 novembre 2015

Madame de Rémi De Vos

Venue d'une campagne reculée, Madame était, à son arrivée à Paris avant la Grande Guerre, une véritable oie blanche. Sa rencontre avec Landru (qui sachant qu'elle n'avait pas le sou ne l'envoya pas de vie à trépas) puis avec un musculeux maquereau lui ouvrirent les mirettes. Elle se retrouva en maison dont elle grimpa vaillamment les échelons. Devenue mère maquerelle, elle dût abandonner le métier, lorsque, en 1946, les maisons closes disparurent du paysage.Le récit florissant de sa vie, Madame le fait en prenant des airs pincés, en coulant des regards entendus et en usant d'une langue gouleyante. Rémi de Vos, à la fois auteur et metteur en scène du spectacle, renoue avec le parler acide d'un Henri Jeanson dont les dialogues firent le succès de films d'avant-guerre tels que Hôtel du Nord de Marcel Carné, Entrée des artistes de Marc Allégret ou Pépé de Moko de Julien Duviver. Rien dans les souvenirs de Madame - qui eût à subir les contorsions dramatiques de l'histoire du XXe siècle - qui ne soit archi-connu. Les trouvailles de langages sont si réjouissantes qu'on est pourtant de bout en bout sous le charme. D'autant que Catherine Jacob, comédienne à la forte présence et à la puissante fibre comique, fait carrément merveille. En redécouvrant ici son jeu à la fois virtuose et irrésistible de drôlerie on ne peut que s'étonner de ne pas la voir plus fréquemment sur scène et à l'écran. l'Oeuvre tel 01 44 53 88 80

vendredi 13 novembre 2015

Ça ira (1) Fin de Louis Création théâtrale de Joël Pommerat

Il est clair dès les premiers instants de ce spectacle, qui relate de manière inédite les débuts de la Révolution française, que Joël Pommerat a modifié son écriture scénique. Ce qui n'a pas changé est l'importance accordée aux mots. Ils furent longtemps aussi feutrés qu'ambigus. Ces dernières années ils jaillissaient plutôt des profondeurs des êtres. Ils sont cette fois assénés par des représentants à l'éloquence torrentielle du Tiers Etat, de la Noblesse ou du Clergé. Ces orateurs se trouvent sur le plateau. Ceux qui les approuvent, les applaudissent ou au contraire les contredissent et les injurient sont répartis sur les côtés de la salle. Les spectateurs deviennent ainsi témoins des événements. On pourrait aller jusqu'à écrire qu'ils en deviennent les contemporains tant la banqueroute dont parle le premier ministre de la période pré-révolutionnaire fait écho à l'atonie économique actuelle. Ce sentiment est conforté par le fait que les comédiens ne sont pas en tenue d'époque mais sont vêtus à la mode d'aujourd'hui. Ce qui est aussi le cas de Louis XVI, le seul à être une figure éminemment reconnaissable. Le voir arrivé dans la salle auréolé de lumière et être l'objet de la vénération de la foule qu'il traverse est un moment où la théâtralité reprend ses droits. Ce qui est aussi le cas de la scène où son hésitante majesté reçoit à Versailles, mais pas de gaieté de coeur, des représentantes du peuple. L'une d'elles se love longtemps sur celui qu'on considérait encore de droit divin donc incapable de mal agir. Le monarque et la reine exceptés, chaque comédien prend en charge de nombreux rôles. Et fait preuve d'une énergie volcanique. Les confrontations idéologiques se font violemment jour. Les propos d'un centriste, qui oscille constamment entre la défense des privilégiés et celle du peuple, et finit par évoquer la responsabilités dans le déchaînement de violences, de hordes d'étrangers sont accueillis par des discours d'une radicalité qui peut, elle aussi, foutre le bourdon. Pommerat a travaillé avec un historien de la Révolution. Et s'en est, dit-il, tenu aux faits. C'est pourquoi sans doute, en ces temps, où la misère étend ses ravages et où le pire semble à nos portes, ce spectacle nous concerne tant. Jusqu'au 29 novembre Nanterre Amandiers Tel 01 46 14 70 00

jeudi 5 novembre 2015

Nobody d'après des textes de Falk Richter. Mis en scène par Cyril Teste

On voit depuis des décennies la publicité détourner des oeuvres d'artistes. Il se passe ici l'inverse, c'est-dire des artistes jouer des codes et cadrages des insignifiantes séries que la télévision française diffuse avec une fâcheuse constance. Il apparaît très vite que le propos que tient Cyril Teste en mettant en scène, avec les jeunes membres du collectif MxM, des textes de l'auteur dramatique allemand Falk Richter n'a rien de rassurant. Le personnage central est consultant en restructuration d'entreprise. Ses collègues semblent avoir un moral d'acier, ne parlent dans un langue incrustée de mots anglais que de performances et de clients. Le plateau est envahi par ces hommes et femmes qui avec fébrilité ou un calme inquiétant vaquent à leurs occupations et tiennent des réunions au cours desquelles ils échangent informations, éloges bidons et vacheries tandis qu'un caméraman tourne autour d'eux saisissant au plus prés leur gestes et paroles. Une vidéo qui surmonte la scène permet de surprendre, tout au long de la représentation, les failles et secrets, à savoir l'humanité, de ces brasseurs d'affaires. Chacun d'entre eux est en permanence espionné, évalué. Une fête organisée par quelque manager jamais entrevu est l'occasion de noter ce qu'ils disent et font lorsque l'alcool les empêche de se contrôler. Des réminiscences du passé viennent fréquemment assaillir le consultant dont on suit le cheminement.Il en arrivera, lui aussi, à traiter avec dureté un collègue mis sur la touche. L'univers que dépeint de façon si convaincante et futée Cyril Teste ressemble comme deux gouttes d'eau à celui auquel s'affrontent les générations pour lesquelles le fond de l'air est néo-libéral. Les spectateurs, âgés pour la plupart d'une vingtaine ou d'une trentaine d'années ne s'y sont pas trompés qui ont fait une ovation à ce spectacle si hostile aux temps impitoyables que nous traversons. Jusqu'au 21 novembre Le Montfort théâtre tel 01 56 08 33 88

mardi 3 novembre 2015

L'Aquarium a 50 ans et toutes ses dents

Pour célébrer dignement les 50 ans de la création de la troupe de l'Aquarium, François Rancillac - actuel directeur du lieu dont les autorités prétendument compétentes ont décidé de ne pas renouveler le contrat - fait jouer par un groupe d'élèves comédiens (en formation à l'ESAD)nombre d'épisodes qui retracent le parcours hasardeux de ce collectif. Nourri par les souvenirs de ceux qui furent de l'aventure (Jacques Nichet, Didier Bezace, Jean-Louis Benoit, Karen Rencurel, Martine Bertrand, Alain Macé, Philippe Marioge, Thierry Bosc, Bernard Faivre, Louis Merino, Joceline Lion Henri Gruvman, Geneviève Yeuillaz ...) le spectacle subjugue. Comme l'ont fait de nombreuses créations de ces garçons et filles qui avaient une vingtaines d'années en 68. Ces productions réalisées avec des moyens financiers dérisoires étaient au début le fruit d'improvisations. Et des actes citoyens. "Marchands de villes" vit, par exemple, le jour pour dénoncer les menées des promoteurs immobiliers qui, soutenus par les banques, rasaient des quartiers de Paris, en chassaient les habitants et construisaient des immeubles pour une population nantie. Il fallut, pour inventer ce théâtre sociologique et politique, où l'humour était fréquemment de la partie, déployer des trésors d'ingéniosité et de patience. Une grande partie du temps était consacrée aux assemblées générales où les décisions étaient prises à main levée. Beaucoup se souviennent des tensions guerrières qui traversaient les réunions. Mais aussi de moments poétiques tel celui où Jean-louis Barrault entrouvrit la porte du bâtiment de la Cartoucherie de Vincennes qui allait devenir l'Aquarium, mais où étaient encore entassés les costumes de sa troupe, et voyant répéter les jeunes membres de la compagnie demanda amusé "on fait du théâtre ici?". Plus tard ce furent des auteurs aussi différents que Flaubert, Bove,Camon, Kafka, Feydeau... qui furent mis en scène par Jacques Nichet, Didier Bezace et Jean-Louis Benoit. Puis chacun entama une trajectoire différente. Maître d'oeuvre accompli, François Racillac a su de facétieuse façon rendre compte de cette fourmillante aventure artistique si représentative de la France des années 70 où l'on conjuguait ses forces et croyait ne pas s'en laisser conter. Quelle joie enfin de découvrir des comédiens en herbe qui, avec une énergie sidérante, jouent, changeant continuellement d'identité, ces aînés qui ont inventé un théâtre en rupture avec les conventions de leur époque. Jusqu'au 8 novembre Théâtre de L'Aquarium. Tel 01 43 74 99 61