mercredi 26 février 2014

Clôture de l'amour de Pascal Rambert

Voilà trois ans que Stan annonce à Audrey qu'il la quitte. Puis que celle-ci lui rétorque sans mâcher ses mots.
"Clôture de l'amour", spectacle écrit par  Pascal Rambert,  qui mélange avec panache des mots de tous les jours  à des anglicismes utilisés par les ados et à des citations savantes, est depuis trois ans fréquemment remonté. Avec le même succès.
Après avoir rappelé à Audrey combien sa poitrine, ses attaches,  son cerveau l'avaient émerveillés, Stan, enivré par son propre et plantureux monologue  en arrive à dire que l'amour est une secte dont il sort. On sait combien est grande la virtuosité de Stanislas Nordey quand il est, comme ici, porté par un texte puissant. Mais c'est lorsqu'il fait sentir qu'il ne croit qu'à moitié à ses diatribes qu'il  nous fait chavirer.
Face à lui la tête de plus en plus basse, Audrey semble anéantie. Puis s'empare de la parole. Et accule son ex dans les cordes. Les attaques dont elle a été la cible libèrent des paroles longtemps enfouies. C'est lui qui, à présent, s'effondre. On n'imagine pas en découvrant  sur un plateau la silhouette aigüe d'Audrey Bonnet qu'elle peut n'être que feu et flammes. Il ne fait pas de doutes qu'elle compte parmi les plus grandes de sa génération.
On ne s'étonnera pas d'apprendre que ce spectacle reste dans les mémoires de ceux qui l'ont découvert sur d'autres scènes comme un pincement au coeur.

Jusqu'au 2 mars Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21

vendredi 14 février 2014

Femme non - rééducable de Stefano Massini

Il fut un temps où les pièces qui combattaient l'injustice et les dérives des hommes de pouvoir  avaient la cote. L'inhumanité des temps semble avoir découragés les écrivains que la politique paraissait brûler vif. Mais pas Stefano Massini, dramaturge italien de 35 ans dont on découvrit il y a peu "Chapitres de la chute", triptyque sur les Lehman Brothers dont Arnaud Meunier lui commanda l'écriture et qu'il mit en scène. Il s'est cette fois emparé de la première pièce de cet auteur, laquelle a pour personnage central la journaliste russe Anna Politkovskaïa.Ses articles rendaient compte de manière factuelle de la mise au pas par les forces armées russes des populations tchétchènes. Ses articles qui décrivaient des soldats - souvent anciens détenus de droit commun - capables de tout, surtout du pire, ne plurent évidement pas en haut lieu.

Son observation clinique de cette abjecte réalité la poussa aussi à décrire les comportement de violents  groupuscules  locaux rassemblés dans des quartiers  en ruine de Grozny. Et la représentation de rappeler des événements tels que la prise d'otage d'enfants à Beslan ou celle des centaines de spectateurs dans un théâtre moscovite, que l'on semble avoir été conditionné à oublier.

Comme l'écriture de Massini, la mise en scène est sans ornements. Mais le musicien  Régis Huby  crée un environnement sonore envoûtant. Anna Alvaro, dont on connait les ressources, jamais ne force la note. Mais le moindre de ses gestes noue les tripes.

Un moment de théâtre qui, formons en l'espoir, permettra à quelques fabricants de désastres de ne pas échapper au tribunal de l'Histoire.

 Théâtre de l'Atelier 01 46 06 49 24

jeudi 13 février 2014

Des fleurs pour Algernon d'après l'oeuvre de Daniel Keyes Adaptation Gérald Sibleyras

L'intelligence de Charlie Gordon est si bancale qu'il en est réduit pour gagner quelques sous à nettoyer des chiottes. Il suit néanmoins des cours de lecture et d'écriture à l'université où il s'est épris  de son professeur , Miss Kinian.
Ayant constaté qu'une intervention chirurgicale avait eu des effets bénéfiques  sur le comportement d' une souris de laboratoire dénommée Algernon, deux hommes de science persuadent Charlie de se soumettre lui aussi à une opération du cerveau qui devrait lui permettre de tripler ses facultés mentales. Le résultat dépasse les prévisions les plus optimistes. Devenu un toxico du savoir, Charlie en arrive non seulement à discuter de leurs théories avec les deux savants, à apprendre de nombreuses langues étrangères  mais aussi à composer une oeuvre musicale. Il tient par ailleurs un journal intime dans lequel il tente de démêler les noeuds qui avaient rendus sa pensée si chétive. Le seul hic mais d'importance est que ses anciens copains l'ont rejeté et qu'il se sent incapable de sceller des  amitiés nouvelles. En revanche, Miss Kinian, à qui il croyait être indifférent, se révèle sensible à sa personne.

Lorsque la souris Algernon commence a manifester des signes de dégénérescence et finit par mourir, Charlie comprend que son esprit va lui-aussi  rétrograder. Il tente de reprendre les travaux des scientifiques pour voir s'ils ont commis quelque erreur. Mais  les ténèbres ne vont pas tarder à le réenvelopper. Ses copains d'antan à nouveau l'entourent et le protègent. Son seul soucis à présent est de couvrir de fleurs la tombe d'Algernon, la souris blanche. 

On sort évidement de la représentation le coeur sur le carreau. Mais aussi avec le sentiment de bonheur que procure l'interprétation d'un acteur aussi rare que Gregory Gadebois. Dirigé avec délicatesse par Anne Kessler, avec laquelle il fut membre de la troupe de la Comédie française, il a su faire du récit de science -fiction écrit par Daniel Keyes un spectacle qui touche au plus profond.

Hébertot tel 01 43 87 23 23

jeudi 6 février 2014

Mademoiselle Else d'Arthur Schnitzler

Pas une année sans que la troupe née en Belgique tg STAN ne vienne faire un tour - souvent avec plusieurs spectacles - au Théâtre de la Bastille. Les comédiens réussissent habituellement  la gageure de faire rire avec des textes qui n'ont à priori rien de désopilant. Ce qui n'est pas le cas avec Mademoiselle Else, une nouvelle de l'écrivain viennois Arthur Schnitzler (1862 -1931) fréquemment adaptée au théâtre.

Alors qu'elle est l'invitée d'une parente dans un lieu de villégiature, Else, une jeune fille issue d'une bourgeoisie prétendument aisée reçoit une lettre de sa mère la priant de se montrer sous son jour le plus charmant avec un ami de la famille excessivement fortuné et à peine plus âgé qu'elle d'une trentaine d'années. C'est que le père d'Else est menacé de prison pour dettes et qu'une aide financière le sortirait sans peine d'affaires.

Ses babillages internes aident l'adolescente à maîtriser ses émois. Ses tractations avec l'ami de la famille sont d'une exquise hypocrisie. Else arrive à merveille à masquer son dégoût. En peu de temps elle a appris que l'humanité (ou du moins les gens de son milieu) ne gagne pas à être fréquentée de trop près.
Schnitzler avait la réputation de pousser ses portraits au noir. Ce qu'il réussit ici parfaitement et  lui valu la renommée- surtout après l'écriture de La ronde, son oeuvre la plus célèbre - d'être un écrivain subversif. Freud, qui fut son contemporain, évita de le rencontrer car, disait-il, nous avons une vision  trop semblable du genre humain…

Alma Palacios qui incarne Else a le port d'une danseuse et la fragilité d'une enfant qui doit, jusqu'à ce que les événements la broient, se maintenir à flot. Frank Vercruysen, sans doute l'un des fondateurs de la troupe joue plusieurs rôles y compris celui d'une servante. Comme la majorité des créations du tg STAN, Mademoiselle Else fait de belles audiences. Ce qui est justice. Il ne reste malheureusement que peu de temps à l'affiche mais sera succédé par  Scènes de la vie conjugale d'Ingmar Bergman dont on peut sans craindre s'attendre à ce qu'elles soient d'une force égale.

Jusqu'au 8 février Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14

dimanche 2 février 2014

La pensée de Leonid Andreïev

Un médecin qui a fracassé, sous les yeux de celle qui partageait sa vie,  le crâne de son meilleur ami, un écrivain qu'il jugeait d'un talent plutôt mince,  passe en jugement. Refusant l'appui d'un avocat il s'adresse directement aux experts en charge de son dossier. Il ne cache pas qu'il n'était pas insensible au charme de la femme de celui  qu'il a assassiné. Mais il est bientôt clair que ce n'est pas la jalousie qui lui a fait commettre l'irréparable.Lorsqu'il recompose le passé, sa langue va bon train. Mais ne convainc nullement. Ses pensées souvent s'égaillent. Apparemment le  remord jamais ne lui taraude la conscience.

Plus l'homme tente de maîtriser ses arguments plus il apparaît qu'il est la proie de forces souterraines. Ses propos  apparaissent de plus en plus fréquemment comme des flambées délirantes. Peut-être l'horreur des faits entrave-t-elle sa pensée. Il semble aussi qu'il s'essaie par moments   à élucider les raisons qui le poussèrent à se livrer à de  telles extrèmités . Il devient de la sorte à la fois bourreau et victime de son geste.
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Leonid Andréiev (1871-1919) fut chroniqueur judiciaire; Il est plus que vraisemblable qu'il écrivit ce texte en se penchant sur un cas qui lui a été soumis.

L'interprétation d'Olivier Werner qui a conçu le spectacle et traduit la nouvelle du russe  est, on ne mâchera pas ses mots, plus que parfaite. L'espace dans lequel il se meut est signé Jan Crouzet. Qui est, lui aussi, un artiste aux ressources rares.

Jusqu'au 15 février TGP Théâtre Gérard Philipe de Saint- Denis tel 01 48 13 70 00