mercredi 30 octobre 2013

Doute de John Patrick Shanley

Le cadre de la pièce (portée en 2008 à l'écran avec dans les rôles principaux Meryl Streep et Philip Seymour Hoffman) est le bureau de la mère supérieure d'une école fréquentée par des enfants des deux sexes. Venue s'enquérir de la santé de l'un de ses élèves, une jeune religieuse se voit reprocher par son aînée son esprit trop ouvert. Il apparaît d'emblée que l'une est tout feu, tout flamme, l'autre corsetée de certitudes. Lorsqu'elle apprend qu'un  prêtre, dont les sermons la hérissent,  a pris sous son aile le seul élève noir  de l'établissement, elle le soupçonne aussitôt du pire. Son obstination belliqueuse coutera cher a chacun.
"Doute" est moins une pièce à thèse sur la pédophilie si répandue au sein du clergé qu'une réflexion haletante sur la complexité bien souvent indéchiffrable de ce que certains nomment l'âme, d'autres la psychée.
Josiane Stoléru, comédienne d'un talent bien trempé, Emilie Chesnais, la religieuse pleine de fougue qui a foi en l'humain et Elphie Pambu, la mère d'une écrasante perspicacité de l'enfant noir donnent au spectacle une séduisante intensité. Un bureau et des chaises constituent l'essentiel du décor. Et c'est très bien. La présence de panneaux fréquemment déplacés est, en revanche, inutile.
Théâtre du petit Hebertot tel 01 42 93 13 04

samedi 26 octobre 2013

Une sacrée boucherie d'Emmanuelle Laborit et Pierre-Yves Chapalain Mise en scène Philippe Carbonneaux

Que le cercle familial soit un creuset de violences a été répété tant et plus. Mais jamais de la manière dont le fait ce spectacle joué, à la fois en langue des signes et en langage parlé.  Il a pour cadre l'arrière-boutique d'une boucherie. Y vivent le couple parental et leur quatre enfants devenus adultes. Persuadée d'être stérile, la mère convainquit son mari d'adopter un môme. Quelques années plus tard elle accoucha de triplés qui vinrent au monde sans pousser un cri. Elevé comme ses soeurs, le garçon, raconte la mère (qui n'en dit jamais mot à ses enfants!), fut toujours, comme elles, vêtu de robes.Une éducation qui porte ses fruits évidement vénéneux.
Mais pas plus que les auteurs, Philippe Carbonneaux  en charge de la mise en scène,  ne fait oeuvre réaliste. La salle où a été créé le spectacle fut longtemps le temple du Grand Guignol. Genre auquel appartient Une sacrée boucherie. Compagnon de route de Joël Pommerat - dont il a adopté le style syncopé -  le maître d'oeuvre réussit une subtile association de burlesque, de tragique et d'épouvante. Le sang parfois jaillit à flot. La scène suivante est immanquablement de farce. 
Comédienne de premier rang, Chantal Liennel est l'incarnation de ces mères si folles qu'elles suscitent chez leurs enfants un insatiables besoin de consolation ou les rendent aussi déments qu'elle. Mais c'est le père absent de ses propres gestes auquel la mère rappelle à tout bout de champs de prendre ses médicament qui est ici désigné comme délirant... 
Spectacle d'une insistante et prenante étrangeté, Une sacrée boucherie termine sa carrière parisienne mais sera à coup sûr repris la saison prochaine. Son succès public a pour conséquence qu'il entame une importante tournée en province.
Jusqu'au 27 octobre IVT - International Visual Theatre tel O1 53 16 18 18
le 3 déc - L'Odyssée (Périgueux), du 26 au 29 mars 2014 - Théâtre National de Toulouse, du 15 au 16 avril Comédie de l'Est (Colmar)

lundi 14 octobre 2013

Ring de Léonore Confino

Léonore Confino a l'art de la saynette. Des couples dont les relations sont faites tantôt d'élan  tantôt de rejet se succèdent sur le plateau. La metteuse en scène, Catherine Schaub, a eu l'idée payante de faire appel à deux comédiens dont les styles s'entrechoquent. Alors qu'Audrey Dana fait montre d'une assurance et d'une vitalité saisissantes, Sami Bouajila la joue plutôt en délicatesse. Il semble du coup au départ avoir le dessous. Mais cet  excellent interprète auquel le cinéma fit souvent les yeux doux ne tarde pas à montrer de quel bois précieux il se chauffe.

Difficile de ne pas prendre plaisir à voir cette suite de  courtes scènes qui sont parfois des passes d'armes d'autre fois des aveux de tendresse et de désir. La verve acide des dialogues a pour résultat que cette exploration des abimes du coeur et de la libido  qui pourrait être convenue n'apparaît pas telle. "Ring" a, à l'évidence, davantage été créée pour faire des entrées que pour des motifs artistiques. Les réactions chaleureuses du public prouvent que ses producteurs pourraient atteindre leur but.

THÉÂTRE  DU petit ST-MARTIN tel 01 42 08 00 32

samedi 12 octobre 2013

L'histoire terrible mais inachevée de Nrodum Sihanouk, roi du Cambodge d'Hélène Cixous

En 1985, six ans après la fin du règne des Khmer rouges qui avaient livrés le Cambodge à la désolation, la metteuse en scène et citoyenne du monde Ariane Mnouchkine proposa à Hélène Cixous d'écrire une pièce sur le roi Sihanouk qui avait été témoin ou acteur de toutes les secousses qu'avait connu son pays. Portée par la flamme de son sujet, elle écrivit un texte qui vingt- cinq plus tard a gardé toute sa puissance. Ce fut à la création  Georges Bigot  qui incarna le souverain khmer. Il cosigne aujourd'hui avec Delphine Cottu un spectacle joué par une troupe de comédiens cambodgiens. Le rôle de Sihanouk est tenu par San Marady, une femme haute comme trois pommes, au  jeu tout en nerfs et à la présence époustouflante et par moments hilarante. Elle est entourée de vingt- cinq comédiens (qui interprètent une soixantaine de rôles!)  et de quatre musiciens, tous âgés d'une vingtaine d'années  qui n'ont donc pas connu les temps génocidaires,  n'ont pas éprouvé leurs terreurs.
On croise au cours de ce  spectacle au long cours applaudi à tout rompre nombre de personnages avec qui Sihanouk eût à se colleté  et qui ont laissé une place - parfois  désastreuse dans l'Histoire - tels que Kissinger, Zhou Enlaï, les maîtres du Kremlin et évidement Pol Pot et sa bande de canailles qui optèrent pour la politique de la terre brûlée et soumirent Sihanouk à des contraintes scélérates. Des apparitions spectrales viennent, elles apporter  du réconfort à ceux qui ne savent plus que faire ou  sont parvenus au dernier stade du désespoir.
Aujourd'hui le Cambodge semble sorti d'affaire. Les derniers compagnons de Pol Pot passent en jugement. Mais c'est oublier que les grandes puissances se sont jetés sur la manne pétrolière qui fait la richesse du pays, lequel se trouve une fois de plus saccagé. Ce que ne voient évidement pas les touristes venus admirer les splendeurs d'Angkor.
Jusqu'au 26 octobre Théâtre du Soleil tel 01 43 74 24 08

dimanche 6 octobre 2013

Vers Wanda un projet de Marie Rémond

Au début des années 70 sortit sur les écrans un film - comme La nuit de chasseur de Charles Laughton - à nul autre pareil. Il s'agissait de Wanda réalisé par Barbara Loden qui était à l'époque la femme d'Elia Kazan. Le personnage central est  inspiré par l'héroïne d'un fait divers  avec laquelle  la cinéaste se sentait, à l'évidence, de profondes affinités. Nulle mieux qu'elle n'aurait donc pu endosser ce rôle d'une femme qui vit de guingois. Dans le spectacle  Marie Rémond  prend la relève. Le prodige du théâtre est que ce petit bout de femme d'emblée ressemble comme deux gouttes d'eau au personnage central du film dont les traits et l'allure sont on ne peut plus éloignés des siens.
L'une des qualités les plus évidentes de cette création collective est qu'elle déjoue les classifications. Elle a, en effet, été conçue à partir d' improvisations réalisées par les trois acteurs : Clément Bresson, Sébastien Pouderoux et  cela va sans dire Marie Rémond  Et l'on passe émerveillé d'une scène du film à un épisode de la vie de cette femme pourvue de dons mais dont l'inadéquation au monde dans lequel elle échoua fut absolue.
Des scènes tragi- comiques  nous éclairent sur ce que furent les relations entre Barbara Loden et Elia Kazan Celui-ci promit à sa femme  de lui faire jouer le rôle de l'amante de Kirk Douglas dans son film "L'arrangement". Rôle qu'il confia, sans en avertir l'intéressée, à Faye Dunawaye Entortillé dans sa mauvaise foi, l'auteur de Sur les quais, A l'est d'Eden et autres splendeurs se montre tel qu'on imagine celui qui balança ses copain à la Commission des activités anti-américaines.
Si l'on ajoute que des friandises mélodiques ponctuent les récits enchevêtrés de ces trajectoires fracassées on mesurera le plaisir que procure cette représentation à la forme si ingénieusement aventureuse.  
Jusqu'au 26 octobre La Colline tel 01 44 62 52 52

mercredi 2 octobre 2013

Le triomphe de l'amour de Marivaux

Accompagnée d'une servante, comme elle déguisée en homme,  la princesse de Sparte, s'introduit  dans la demeure du philosophe Hermocrate qui y vit avec sa soeur, une femme de moeurs austères. Vit camouflé dans les mêmes lieux Agis, le fils des anciens rois,  qu'elle a aperçue dans un bois et dont elle s'est aussitôt éprise.
Avec la désinvolture arrogante des êtres favorisés par la fortune, elle  mijote, avec sa suivante  un plan pour approcher celui qu'elle considère déjà comme son promis. Usant de discours étincelants d'habileté et changeant d'identité sexuelle comme de chemises, elle réussira à faire croire au philosophe comme à la soeur qu'elle (ou il!) en pince pour eux.   Voletant de l'un à l'autre elle en fera les victimes collatérales de son  entreprise.
Le metteur en scène Galin Stoev  s'était déjà mesuré à Marivaux la saison dernière à la Comédie Française où son "Jeu de l'amour et du hasard" reçut un accueil favorable. Il a eu cette fois l'idée extrêmement heureuse de faire endosser tous les rôles par des hommes. Et c'est bonheur de voir Nicolas Maury jouer les prestidigitateurs verbaux, faire mine de roucouler, se refaire une beauté ou  clouer le bec à qui se plaint de ses agissements. Autour de lui virevoltent quelques  personnages  savoureux tels que la soeur tentée de vivre sa vie qu'interprète avec une finesse et un humour exquis Airy Routier et la servante, complice avisée de sa maîtresse à qui Yann Lheureux prête tantôt une grâce toute féminine, tantôt des airs de gamin espiègle. Une mention spéciale aussi à Bjanca Adzic Ursulov dont les costumes sont une merveille
On savait Marivaux fasciné par les ambivalences de l'amour. Comme me le faisait remarquer un ami, il franchit avec cette pièce un tel cap qu'on en arrive à songer à Théorême de Pasolini. Chacun, en effet se retrouve transformé, libéré du rôle dans lequel il s'était enfermé,  par sa rencontre avec la rouée  princesse . Pas plus que ne le fera le poète et cinéaste italien, Marivaux  n'est convaincu que cette transformation soit une aubaine.

Jusqu'au 20 octobre TGP (centre dramatique national de Saint -Denis) tel 01 48 13 70 70