mercredi 17 avril 2013

Huis clos de Jean Paul Sartre

Relégué au purgatoire depuis quantité d'années le théâtre de Sartre n'est pas aussi daté qu'on le prétend. Même si certaines de ses pièces telles que La putain respectueuse ou Morts sans sépultures pèchent par un manichéisme trop résolu. Il en va tout autrement de Huis clos où un homme et deux femmes se retrouvent après leur mort dans une chambre surchauffée et ne tardent pas à se prendre de bec. Le climat d'inimitié qui règne entre eux se détériorera davantage encore quand chacun recomposera son passé  et offrira aux deux autres une image avilie de lui- même. Ils ne tardent pas de constater que s'ils se trouvent réunis c'est qu'ils possèdent la faculté d'être le bourreaux les uns des autres.
Qui ne se souvient de la fameuse phrase "l'enfer c'est les autres "? Elle est pourtant difficile à généraliser. Les trois personnes contraintes de partager un lieu sans charme ont été choisies car elles n'ont aucune affinités. Il serait plus juste de dire "l'enfer c'est l'éternité".  Le grand fleuve du temps s'est figé
Agathe Alexis qui assure la mise en scène et interprète la vindicative Ines a eu la riche idée de concevoir une mise en scène bi-frontale. Ce qui permet de ne pas se sentir à l'étroit comme le trio de malheureux qui prennent conscience de l'adversité de leur sort. L'excellence des acteurs est pour beaucoup dans la réussite de la représentation. Anne Le Guernec est avec conviction une bourgeoise aussi coquette que sans scrupules. Bruno Boulzaguet, le seul que n'a pas attenté à la vie de quiconque a la partition la plus difficile. Dont il se sort avec panache.
On peut parler à propos de Huis-Clos de chef d'oeuvre intemporel. Les nombreux lycéens qui assistaient au  spectacle sont arrivés  en se lançant des vannes. Quand les acteurs se sont pointés ils sont, jusqu'au bout, restés coi.La preuve que sous la direction d'Agathe Alexis et Alain Alexis Barsacq la pièce développe toute son insolite puissance.
Jusqu'au 12 mai Théâtre de l'Atlante tel 01 46 06 11 90

samedi 13 avril 2013

La ronde de nuit par le Théâtre Aftaab

Le Théâtre Aftaab a vu le jour à Kaboul il y a quelques années à l'issue d'un stage organisé dans la capitale afghane par Ariane Mnouchkine et des membres de sa troupe. Il parcourt depuis des régions épargnées par la montée du despotisme religieux. Le  Théâtre du Soleil, qui fait un peu figure de grand frère, accueille aujourd'hui "La ronde de nuit", sa dernière création collective que met en scène Hélène Cinque.

Nader vient de trouver un emploi de gardien de nuit dans un théâtre désaffecté. Les premières heures qu'il va y passer seront agitées. Ce seront d'abord quelques habitués du lieu qui surgiront de l'obscurité ensuite un cortège de sans papiers originaires, comme lui, d'Afghanistan que le froid polaire a poussé à chercher un refuge. Durant quelques heures ces hommes et ces femmes vont évoquer leurs trajectoires semées d'embûches, être assaillis par des peurs archaïques, avoir le sommeil troublé par l'apparition fantasmée d'une belle de nuit. Il est clair que de nombreuses scènes ont jaillies des effluves de la mémoire des acteurs. Certains entonnent aussi -et cela à notre plus vif bonheur - des chants aux accents séculaires. Quand le jour pointe tous reprennent leur baluchon.

Bien que le propos du spectacle soit loin d'être réjouissant, l'humour constamment pointe. Grâce à "Skype" Nader est en contact fréquent avec sa famille. Les scènes où bousculant sa belle-fille, sa mère se met devant l'écran sont hilarantes mais en disent aussi long sur les  traditions  familiales 'encore bien ancrées dans d' innombrables contrés de la planète. Nader et sa femme sont  à l'évidence épris l'un de l'autre mais  ont le plus grand mal a tenir les parents de l'homme  à distance.

Parlé tantôt en français, tantôt en perse (traduit en surtitres) le spectacle est truffé de scènes dont le pouvoir d'attraction ne trompe pas. On y reconnait, en effet, la griffe si talentueuse de Mnouchkine.
Bien que  par moments un brin maladroit et  naïf ce jeune théâtre afghan nous procure un plaisir qu'on ne peut qu'invité à partager.

Jusqu'au 28 avril Théâtre du Soleil Cartoucherie de Vincennes tel 01 43 74 24 08
   

mercredi 10 avril 2013

Les revenants d'Henrik Ibsen

Comme grand nombre d'écrivains et de cinéastes nés dans les contrées  du nord de l'Europe - citons parmi eux Stig Dagerman, Dreyer, Bergman mais aussi nos contemporains Lars Nören et Jon Fosse- Ibsen n'a eu de cesse d'explorer les abimes de l'âme ou si l'on préfère de la psyché. C'est peut être dans sa pièce "Les revenants" qu'il approche de plus prés les tumultes intérieurs de ses personnages.
La veuve Alving qui a recueilli Régine, la fille du menuisier du village, reçoit  pour un temps indéterminé la visite d'Osvald,  son fils, parti faire une carrière artistique et mené une vie de patachon à Berlin.  L'arrivé au même moment du pasteur Mandres avec lequel elle entretient depuis de nombreuse années une relation complexe va la pousser à repêché dans les tréfonds de sa mémoire des souvenirs cuisants. En quelques heures les évènements vont se précipiter et chacun aura à se battre contre des fantômes dont il ignorait la présence et le pouvoir.  La violence pulsionnelle de l'honorable veuve et de ceux qui l'entourent laissera le spectateur - tout informé qu'il puisse être de nos assujettissements à des forces inconscientes - interdit.
L'allemand Thomas Ostermeier, qui a su avec constance rénové les canons de la mise en scène, fait montre quand il se mesure à Shakespeare d'une virtuosité époustouflante, quand il s'attaque à Ibsen d'une profondeur de vue qui nous fait découvrir combien l'univers de cet auteur trouve des résonances en nous. Il a pu, c'est clair,  disposé de larges moyens financiers. Qu'il a utilisé à bon escient. Son spectacle scintille d'instants magnifiques. En priorité ceux où Valérie Dréville et Eric Caravaca forment le plus monstrueux et irradiant des couples mère-fils.
Cette adaptation modernisée par Ostermeier lui même et Olivier Cadiot est créée au Théâtre Nanterre - Amandier  dont Jean-Louis Martinelli, le directeur, vient d'être remercié par la ministre de la Culture. Sans doute ignore t'elle qu'il est, entre autres qualités, l'un des rares metteurs en scène placés à la tête d'un théâtre de la banlieue parisienne dont la programmation concerne autant les populations qui vivent au delà du périphérique que les parisiens...
Jusqu'au 27 avril Théâtre Nanterre-Amandier  tel 01 46 14 70 00