mardi 26 février 2013

Visite au père de Roland Schimmelpfennig

Une toute jeune fille tente sans succès de changer l'image d'accueil de son portable. Celle d'un phare qui ressemble à s'y méprendre à un mirador. Lequel fait - puisqu'on est en Allemagne - immanquablement songer aux camps d'extermination. Auteur dramatique prolifique, Roland Schimmelpfennig avait à peine vingt ans lors de la chute du mur en 1989. Il n'exige donc pas de ses ainés  comme le faisait par exemple Fassbinder, qu'ils avouent avoir été complices de l'abomination que l'on sait. Il est, en revanche, convaincu que l'air restera à jamais irrespirable.  Si un canard sauvage abattu par un personnage de la pièce risque d'être porteur de la grippe aviaire il s'agit bien sûr d'un clin d'oeil à nos temps pollués mais aussi du rappel que la nature autrefois tant exaltée empeste la mort.
La vaste propriété qu'on devine décatie, où une violence d'abord sourde finit par jaillir,  est d'ailleurs surnommée par un membre du groupe "le caveau de famille". Un garçon de 20 ans à l'esprit à l'évidence irrespectueux y fait irruption. Il serait le fils venu du lointain  à pied  du seul mâle de la maison. Sa présence va mettre le feu aux poudres. Mais la psychologie est fort heureusement la grande absente des féroces joutes orales et physiques qui se déroulent sous nos yeux. Les personnages sont tous nimbés de mystère. Seule une amie venue en visite, visiblement originaire de la partie du pays qui fit partie du bloc communiste, dévide des souvenirs qui en disent long.
La haine que voue le "père" à l'ancienne puissance dominante se traduit par un rejet souvent cocasse de la littérature russe. Ce qui est d'autant plus ironique que cet homme, qui se montre tantôt fragile, d'autres fois, quand il met en acte son angoisse, d'une menaçante véhémence, semble droit sorti d'une oeuvre de Tchekhov.  Comme lui chacun des comédiens bénéficie d'une partition nuancée à l'extrême. Dirigés avec une intelligence peu commune par le jeune metteur en scène Adrien Béal, ils composent des personnages nimbés d'un fascinant mystère. L'écrivain émérite qu'est Schimmelpfennig a eu la superbe idée de faire dialoguer chacun tantôt avec un partenaire, tantôt avec lui même.
Etrenné au théâtre de Vanves et aujourd'hui à l'Echangeur de Bagnolet (il s'agit des deux salles de la région parisienne dont la programmation est la plus sûre) cette Visite au père mérite largement d'être poursuivie.
Jusqu'au 10 mars L'ECHANGEUR à Bagnolet (métro Gallieni) tel 01 43 62 71 20  

samedi 16 février 2013

Les tribulations d'une étrangère d'origine d'Elisabeth Mazev

La comédienne Elisabeth Mazev se remémore les images qui ont pris place dans sa mémoire de l'âge de trois ans à aujourd'hui. Fille d'émigrés d'opinion bulgares, elle entendit constamment évoquer le paradis perdu du pays natal des siens où elle se rendit pour la première fois lorsqu'elle était une enfant de dix ans. Elle avait avant la découverte de la terre des ancêtres eût la visite d'une grand -mère dont la parole caressante l'avait bercée. De ce premier voyage elle garde essentiellement le souvenir de la rencontre avec ses cousines jumelles avec lesquelles elle restera liée et des agapes si abondantes qu' au grand dam de ses parents, elle revint en France le visage et la taille sérieusement enrobées.
Ses pérégrinations suivantes furent moins réjouissantes. Le pays s'était ouvert à l'économie de marché.Les natifs étaient passés maîtres dans l'art de plumer les touristes fussent-ils originaires de l'ancienne patrie du bonheur obligatoire. Elle eût aussi la déplorable idée de faire venir celui qui était son mari et sur lequel la société dont elle était issue provoqua une cocasse répulsion. Le surgissement des maffias et le défilé des filles sans le sou qui se vendaient pour quelques devises étrangères sont des phénomènes connus. Le reproche qu'on peut adresser à ce récit des liens qui unissent la comédienne au pays dont étaient issus ses parents et dont ils conservèrent la nostalgie est qu'il ne dépasse pas les idées toutes faites.
Elisabeth Mazev plante sur sa tête de divertissantes perruques, pousse délicatement la romance bulgare, fait montre,  d'un tempérament d'une prodigieuse richesse mais même si l'on sait pertinemment que pour ce qui est de la vérité des faits on repassera, on aurait apprécié que l'émotion ne soit pas aussi absente de cette somme de souvenirs. Cela d'autant que dans "Mémoires pleines" publiées aux Solitaires Intempestifs qui est à l'origine du spectacle les détails qui font vibrer sont légions;
Jusqu'au 2 mars Théâtre Ouvert tel 01 42 55 74 40

Les tribulations d'une étrangère en France de Elisabeth Mazev

mercredi 13 février 2013

Les criminels de Ferdinand Bruckner

Sous l'intrigue des Criminels de l'autrichien Ferdinand Bruckner (1891 - 1958) s'annoncent les fantômes de chefs d'oeuvre tels que "Les Légendes de la forêt viennoise" de Odön von Horvath et de l'oeuvre  majeure du cinéaste  Visconti "Les Damnés". Si les personnages ici présents ne vivent pas dans le luxe éclaboussant de la famille d'industriels qui peuplent le film, ils vivent, comme eux, dans la fétidité morale. Tous habitent le même  immeuble et ont un vernis social qui, quand il se fend laisse apparaître un très sérieux  penchant au mensonge, à la lâcheté, à la corruption et au crime.
On reconnaît sans mal l'Allemagne des années vingt en route vers l'abîme. On trouve parmi ces hommes et femmes qui survivent au coeur d'un effarant chaos géopolitique un serveur à l'assurance un peu gouape et aux besoins sexuels inapaisables, une femme que la jalousie mène à d'inimaginables extrémités, des fils indignes, un couple dont la rudesse des temps aura raison et aussi, ce qui est à l'époque pas croyable, un jeune homosexuel qui se considère comme un paria mais tente de vivre sa vie. Des procès menés par des juges et avocats incompétents ou malhonnêtes dévoileront la folie dormante de l'ordre établi.
Il était nécessaire pour interpréter des personnages qui se débattent dans une société sous aussi haute tension des comédiens d'une forte identité. Ce qui est le cas de Claude Duparfait, Mathieu Genet, Laurence Roy, Valérie Laroque, Angélique Clairand, Thibault Vinçon et leurs nombreux partenaires. Grâce au metteur en scène Richard Brunel et à l'admirable traduction de Laurent Muhleisen cette pièce développe toute son impressionnante puissance.
Jusqu'au 2 mars Théâtre National de la Colline tel 01 44 62 52 52   Du 13 au 15 mars Théâtre national de Toulouse Du 27 au 28 mars Comédie de Clermond- Ferrand DU 4 au 12 avril Théâtre du Nord Lille

mercredi 6 février 2013

Inventaires de Philippe Minyana

Vingt six ans après sa création cette pièce qui lança la carrière de Philippe Minyana est remise sur le métier par la même équipe de comédiennes (Judith Magre, Edith Scob, Florence Giorgetti) que dirige Robert Cantarella, le metteur en scène qui les avait rassemblées. Les coups de râteau n'ont pas été épargnés aux  trois  femmes qui participent au marathon de la parole , une émission grand public au cours de laquelle elles racontent des fragments d'un passé enseveli. Leurs épanchements verbaux sont régulièrement interrompus par l'animateur de l'émission. Ce qui ne semble guère gêner ces dames dont le verbe parfois à la limite de l'obscène est pur délice.
Minyana s'est inspiré pour esquisser  le portrait ces bonnes femmes (pour reprendre le titre d'un film particulièrement réussi de Claude Chabrol) de personnes qu'il a côtoyé et dont il a évidement modifié le caractère et le parcours.  Quelle que soit sa déroute, aucune jamais ne geint. Leurs paroles affranchies les aident visiblement à passer à pertes et profits les coups de semonces de l'existence.
Chacune se pointe  avec  un objet (un lampadaire pour l'une, une cuvette pour une autre, une robe aux couleurs stridentes à la mode du début des années cinquante pour la troisième) qui fait remonter des grands fonds un flot de souvenirs. Surgissent ainsi d'une fourmilière d'anecdotes un mari cogneur, un autre militant politique portugais réfugié en France, des enfants volatilisés, une tuberculose qui a pu être soignée...
A sa création  ce spectacle avait ébloui par la virtuosité dont faisaient preuve les comédiennes. Aujourd'hui il nous touche au plus profond. La pièce n'a , il est vrai, pas pris une ride et les interprètes sont si délectables qu'on serait tenté de conseiller aux apprentis comédiens d'aller découvrir de quel bois elles se chauffent.
Jusqu'au 24 janvier Théâtre de Poche Montparnasse tel 01 45 44 50 21