mercredi 30 janvier 2013

La réunification des deux Corées de Joël Pommerat.

Une femme demande le divorce car elle ne veut plus mener une vie ordonnée mais sans amour. Une autre quitte l'homme  qu'elle aime pour la bonne raison que l'amour ne suffit pas. A travers une vingtaine de vignettes qui s'enchâssent Joël Pommerat scrute le comportement d'hommes et de femmes dont la réalité se met soudain à trembler. Comme dans toutes ses créations il s'attache à des personnes dont le langage est celui du quotidien et dont les nerfs sont en déroute. Le jour de ses noces une mariée apprend que son promis a eu une amourette avec chacune de ses quatre soeurs. Un mec vient déranger l'intimité de la femme qu'il quitta dix ans plus tôt et disparaît aussi sec sans que, au grand dam de son nouveau compagnon, son ex y trouve à redire. Une secrétaire somme son patron au jeu souvent trouble de lui dire si profitant  de son sommeil peut être alcoolisé il a couché avec elle. Un curé propose à la prostituée     qu'il veut bouter hors de sa vie de la dédommagée. Elle ne l'entend pas de cette oreille.
Si grand nombre de ces scènes sont d'une causticité qui fait mouche d'autres apportent de perturbantes  lueurs sur l'aventure de nos existences.  Un instituteur est pris à parti par les parents d'un élève pour lequel il éprouve une tendresse peut-être excessive. Rentrant d'une soirée en ville un couple de grands bourgeois accuse la baby-sitter d'avoir fait disparaître les enfants dont elle avait la charge. La malheureuse prétend, elle, que ces enfants n'existent pas. Cette succession de séquence d'une étrangeté intempestive forment un spectacle dont la force d'éblouissement est sans pareille.
Le public réparti sur deux rangées de gradins qui se font face est de bout en bout scotché par ce spectacle ponctué de noirs, bercé tout du long par des musiques choisies avec un goût sûr et dont les neuf comédiens, qui chacun change constamment de peau, jouent avec une force de conviction peu commune.
Jusqu'au 3 mars Théâtre de l'Odéon - Ateliers Berthier tel 01 44 85 40 40

jeudi 24 janvier 2013

Naissance de Julien Guyomard

Pour ses presque débuts dans l'écriture et la mise en scène qu'il signe avec Samuel Vittoz, Julien Guyomard nous introduit au sein d'une communauté d'hommes de la campagne. Une campagne qui ne  donne plus que de maigres  récoltes. Celui qui a  accédé au pouvoir ne tarde pas à se prendre pour une sorte d'augure. Des antagonismes apparaissent. Les bonshommes se trouvent attirés par un fatras de croyances par lesquels on croit rendre une assise au monde. Comme tous ceux qui ont eu leur comptant de frustration, ils s'en prennent à l'un ou plusieurs des leurs lesquels porteraient la guigne.  La petite société, dans laquelle une femme fait une perturbante apparition, file un bien mauvais coton. On ne peut que penser à ces groupes  de plus en plus nombreux d'humains que leur piètres condition d'existence rend si perméables aux idéologies ou croyances meurtrières.
A la génération précédente de jeune auteurs dramatiques caressaient des utopies sociales. On assiste au contraire dans ce texte tout en nerfs et situé à une époque indéterminée à  la peinture d'un monde où la barbarie re-pointe son groin. Le résultat est hypnotisant. Ceux qui sont en quête d'un auteur qui ne mâche pas ses mots mais les laisse jaillir du plus profond de lui et sait s'entouré de complices qui partagent sa démesure intérieur, seront comblés.
Jusqu'au 25 janvier Maison du Développement Culturel de Gennevilliers, 16, rue Julien  Mocquart Genevilliers tel 01 40 85 60 92  

mardi 22 janvier 2013

Sortir de sa mère de Pierre Notte

Assis devant un piano, Pierre Notte pose à sa mère, dont on entend la voix, des questions on peut plus directes sur les sentiments qui l'animent et l'ont souvent fait avaler des couleuvres. Comme à son habitude l'auteur de "Moi aussi je suis Catherine Deneuve" signe les textes, les chansons et la mise en scène du spectacle. Lequel tourne, on ne s'en étonnera pas, autour d'un terreau familial inspiré de celui dans lequel il a grandi. S'il arrive à gommer les origines tourmentées de son oeuvre c'est que son humour résolument gamin met l'émotion à distance.
Cette épopée intime comme l'appelle le sieur Notte a pour personnages centraux une mère atteinte d'Alzeimer, sa fille et son fils. Le paternel a déserté le foyer. Ses enfants  tentent d'être informé sur son compte. Ce qu'ils apprendront ne les rendra pas jouasse. Et surtout risque de créer entre eux un fossé infranchissable. Mais les situations les plus inextricables se terminent immanquablement en chansons chez cet auteur dramatique qui compte parmi les plus originaux apparu ces dix dernières années. Plus hardi qu'il ne l'a jamais été pour ce qui est de l'inventivité langagière, il émaille ses phrases de titres d'oeuvres réputées rappelant ce faisant combien notre mémoire - et notre pensée - est  encombrée de formules toutes faites, parfois succulentes.
Pierre Notte qui, avec des mines de gavroche joue une partition délicate, est entouré de trois jeunes comédiens-chanteurs à la présence tout bonnement exquise : Tiphaine Gentilleau, Brice Hillaret et Chloé Olivères.  Comme les contes  l'histoire - où l'on croise non plus Deneuve mais Elisabeth Taylor -   d'un fils disgracié, d'une fille au tempérament de peste et d'une mère plus clairvoyante qu'on l'aurait soupçonné se termine de joyeuse façon.
Jusqu'au 9 février  18h30 Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21
La chair des tristes culs est joué par la même équipe dans le même lieu à 21H

dimanche 20 janvier 2013

Protée de Paul Claudel

Dieu aussi fantasque que peu sourcilleux sur les moyens d'obtenir ce qui lui chante, Protée  tient prisonnière dans l'île de Naxos la nymphe Brindosier. Fine mouche, celle-ci tente de tirer parti du passage dans les lieux de Ménélas et d'Hélène  à leur  retour de Troie, pour prendre la poudre d'escampette. Elle se fait passer aux yeux de ce grand nigaud  de Ménélas pour la véritable Hélène et persuade cette dernière, que l'évocation de Paris, son défunt amant,  rend toute frétillante, de rester à Naxos auprès de Protée.
Nettement moins tenté par le sacré que dans Le soulier de satin ou L'otage, Claudel se révèle dans cette farce mythologique quasi jamais mise en scène, d'une espièglerie explosive. Son humour culmine dans la scène où s'exprime la rivalité mutine des deux femmes. On est aussi amusé par le ton énergique de la fausse Hélène (Eléonore Joncquez) que par l'allure statufiée  de la vraie (Marie Micla)  laquelle finit par descendre de son socle.
La décapante fantaisie dont fait preuve Claudel a visiblement inspiré Philippe Adrien (qui mit autrefois magnifiquement en scène Le soulier de satin)  dont le spectacle ravi un public qui, malgré les rigueurs de la saison, vient en nombre. Il est vrai que la distribution (laquelle comprend aussi les endiablés Jean-Jacques Moreau, Matthieu Marie et Dominique Gras) tout comme les costumes (signés Elena Ant) sont des régals et que les images vidéos situent cette histoire de fous dans des paysage d'une immuable splendeur.
Jusqu'au 24 février la Tempête Cartoucherie tel 01 43 28 36 36

jeudi 17 janvier 2013

R. & J TRAGEDY texte et mise en scène Jean-Michel Rabeux

Jean-Michel Rabeux est un metteur en scène qui ne se borne pas à renverser les conceptions scéniques  traditionnelles mais a créé un style qui n'appartient qu'à lui. Ce style, il l'a, dans cette oeuvre nouvelle qui ne  renie aucunement  ses origines shakespearienne, superbement affiné. S'appuyant sur le Roméo et Juliette du grand homme et assurément sur ses propres émois de jeunesse il a façonné  un texte qui se situe dans un temps non identifiable. Imprévisible alchimie entre le tragique, le burlesque et le musical, son spectacle fait voir et l'exacerbation des sentiments et le déchaînement hormonal d'une passion adolescente. Laquelle n'est contrariée que par les haines recuites dont se gobergent les adultes qui n'ont pas préservé leur part d'enfance.
Si on retrouve tout au long de la représentation la fougue sanglante de l'âge élisabéthain, une salutaire ironie est aussi constamment de la partie. Il est même des moments d'un comique irrésistible tels ceux où Frère Laurent (délicieux Marc Mérigot) se trompant de flacon met dans la main de l'impétueuse Juliette un poison foudroyant. Chez Rabeux, la nudité des corps rappelle à la fois la venue au monde et notre finitude. Dans une pièce dont les personnages principaux perdent la  vie à peine celle-ci est elle  ébauchée cette nudité s'imposait plus que jamais.
L'auteur - metteur en scène a réuni pour cette production d'une beauté convulsive de jeunes et moins jeunes comédiens et chanteurs qui tous entretiennent un lien à la musique. Si à l'issue de la représentation, qui se donne, c'est heureux, dans une jauge réduite, on se sent un moment délivré du malaise que produit notre régressive époque,  Vilama Pons (Juliette), Sylvain Dieuaide (Roméo), Laure Wolf (Mercutio), Hubertus Biermann (Capulet) et leurs partenaires sont en droit de se dire qu'ils y sont pour quelque chose.
Jusqu'au 29 janvier MC 93 Bobigny tel 01 41 60 72 72

mercredi 16 janvier 2013

La Mouette de Tchekhov

Le début ne laisse rien présager de bon. Un instituteur tient un  discours long et fumeux à la jeune fille qu'il convoite. Le problème est qu'il s'exprime à toute blinde et que le public ne voit que son dos. Impossible dans ces conditions d'entendre un traitre mot. Le public est heureusement happé dans les scènes suivantes au cours desquelles Kostia, fils d'Arkadina, comédienne de théâtre renommée, a monté un texte né de sa plume qu'il fait jouer par Nina, une jeune voisine qu'il chérit. Amoureux des mots, il cherche en matière d'écriture dramatique de nouvelles formes. Ce qui n'est pas du goût de son monstre aimé de mère. La représentation suscite chez elle un enthousiasme des plus mesuré. Ce qui va accroître l'irritable mélancolie de son fils.
On se trouve comme  toujours chez Tchekhov face à des personnages aux vies rétrécies qui ressassent avec une délectation certaine leurs désillusions. Ils ont aussi en commun de n'avoir connu que des passions tristes. Celle de Kostia pour Nina est d'emblée de jeu (c'est le cas de le dire) vouée à l'échec. La jeune fille n'a d'yeux que pour l'écrivain à succès  Trigorine (Christian Benedetti par ailleurs metteur en scène du spectacle),  l'amant de l'égocentrique Arkadina. Tchekhov, on le sait, ne portait pas les célébrités faussement modestes dans son coeur. Le penchant de celle qu'il a élu pour un homme si visiblement désarmé va nourrir à l' égard  de celui-ci l'acrimonie de Kostia.  L'amour immodéré que lui inspire sa mère s'exprime au cours de leur seul face à face. Poursuivi par ses souvenirs, l'auteur en herbe, évoque un temps qui n'est plus et dont Arkadina ne se souvient guère. 
Si quelques comédiens chargent avec trop de méthode leur personnage, on ne peut qu'applaudir la prestation de Jean-Pierre Moulin, qui incarne un vieil homme qui pressent pour Kostia un avenir funeste et n'arrive pas à alerter Arkadina, sa soeur dont le coeur est indifférent mais les comptes bien fournis. Philipe Crubézy compose, pour sa part et de subtile façon  un médecin plus averti des souffrances de l'âme que de celles du corps. Le rôle de Kostia a échu à Alexandre Zambeaux dont la  poignante retenue en dit si long sur la déroute intime de cet enfant d'une civilisation finissante. Christian Benedetti a enfin eu l'heureuse idée de confier le rôle de Nina à Céline Milliat Baumgartner. Le récit nimbé de souffrances qu'elle fait de sa vie est de ces moments qui ne s'oublient pas. 
Du 25 au 27 janvier Scène Nationale de Cavaillon
du 5 au 9 février Théâtre de deux Rives Centre Dramatique régional de Rouen
du 20 au 23 avril Théâtre de l'Ouest Parisien Boulogne Billancourt   

lundi 14 janvier 2013

Jeu de carte 1 : pique

Artiste qui a d'innombrables cordes à son arc puisqu'il est à la fois l'auteur, le metteur en scène et parfois  l'un des interprètes de ses spectacles, le canadien Robert Lepage a pris le parti de faire évoluer ses personnages sur un espace circulaire. Les scènes se déroulent pour la plupart à Las Vegas où se croisent  des hommes et des femmes d'origine et de sensibilités variées et à Bagdad où, après les bombardements décidés par l'administration Bush, des soldats de nationalités diverses rongent leur freins. Ces deux villes ont la particularité d'avoir été bâties au coeur d'un désert.
Comme il se plaît souvent à le faire Lepage tire les ficelles de plusieurs intrigues dont l'imbrication est un régal. Se relaient un couple de Québécois qui, après cinq ans de relations sans nuage, sont venus se marier dans la ville vouée au jeu, un flambeur britannique aux abois que sa maîtresse française est venue rejoindre, un militaire danois venu s'entraîner avant d'être envoyé au combat et une femme de chambre sans papiers qui semble accablée par une maladie. Le parcours de  ces braves ou moins braves gens va être marqué par la rencontre de drôles de pistolets parmi lesquels un officier qui camoufle ses penchants homosexuels sous une allure martiale et des paroles de haine et un être indécidable qui va mettre le coeur et les sens de la mariée en fusion. Six comédiens de première force se partagent cette multitude de rôles.
Utilisateur inventif de nouvelles technologies, Robert Lepage, dont la bonne réputation est aujourd'hui planétaire, réussit une séduisante symbiose  entre la technique et le récit. La créativité visuelle de ce premier volet d'un projet qui en comportera quatre est son principal atout.
Au final la parole est donnée à une sorte de mage qui fait songer à l'ange  resplendissant de sexualité qui dans le film Théorême de Pasolini révélait à chacun son désir  le plus enfoui. Il devient à cet instant  (mais c'est heureusement le dernier de la représentation!)   plus difficile de suivre la pensée de l'artiste...
Jusqu'au 19 janvier Célestins Lyon (Studio 24) tel 04 72 40 00
Les 25 et 26 janvier Maison de la Culture d'Amiens
du 19 mars au 14 avril Odéon - Théâtre de l'Europe Paris (salle Berthier)

vendredi 11 janvier 2013

L'épreuve de Marivaux

Plus qu'une épreuve c'est une torture qu'inflige Lucidor, jeune aristo très nanti à Angélique qui a son âge mais ne possède pas sa fortune. Comme souvent chez Marivaux le maître ordonne au serviteur de se substituer à lui afin d'éprouver les sentiments de celle avec laquelle il envisage de faire sa vie. Eprise de Lucidor, qu'elle a veillé alors qu'il était au plus mal, elle rejette vigoureusement le faux prétendant. Pas assuré encore de l'attachement d'Angélique, le garçon de ses pensées fait mine de vouloir l'unir à maître Blaise, un paysan hypersensible à l'attrait de l'argent.
Faire épouser à un subordonné la fille d'une classe inférieure avec laquelle un "fils de famille"  a passé du bon temps était, sous l'Ancien Régime, une pratique courante. Qui a, à l'évidence, inspiré le canevas de cette pièce en un acte. Nostalgique des premières morsures de l'amour, Marivaux la baigne dans un climat pré-romantique. Metteur en scène et directeur d'acteurs aussi subtil qu'averti des avanies de l'existence, Clément Hervieu-Léger a ménagé un final qui prend à la gorge.
Si Audrey Bonnet et Loïc Corbery interprètent avec une grâce  véhémente un couple d'amants en proie à des tourments, le reste de la distribution les égale. On retrouve notamment avec joie Nada Stancar qui donne au rôle de la mère d'Angélique, le plus souvent incarné comme une femme dure et qui ne songe qu'à amasser des ressources, une rayonnante humanité.
Jusqu'au 20 janvier TOP théâtre de l'ouest parisien tel 01 46 03 60 44

jeudi 10 janvier 2013

Le misanthrope de Molière

Un sol noir qui scintille, surmonté de ballons et jonché de chaises et de lustres. Dans ce décor d'une saisissante vastitude conçu par Daniel Jeanneteau, qui a l'art de donner de l'esprit aux lieux, on discerne sur l'un des sièges un homme vêtu de rouge. Il s'agit de Philinte. Lequel est bientôt rejoint sur le devant de la scène par son compère Alceste.  Ce dernier déplore la monumentale duplicité  des gens de sa condition. Son interlocuteur combat cette  vision, qu'il juge trop austère, des rapports sociaux. La visite du dénommé Oronte à qui importe l'avis de son estimé Alceste sur un sonnet qu'il a confectionné va être révélatrice du fossé qui sépare les deux amis. Alors que Philinte se confond en compliments l'homme droit dans ses bottillons dit à son vaniteux visiteur tout le mal qu'il pense de ses vers.
Le malheureux Alceste s'est, comme de bien entendu,  épris à la folie d'une femme qui n'est pas son genre. Célimène est une coquette qui joue à aller de coeur en coeur et qui débine avec un talent consommé les membres de son entourage qui ont commis l'imprudence de ne pas être présents.  Ses impératifs moraux ne sont évidemment pas du goût de sa belle qui trouve qu'il a l'amour chagrin.
Le metteur en scène Jean-François Sivadier aime bousculer les codes, détecter ce qu'à de cocasse une situation considérée d'ordinaire comme sérieuse. Loin de glorifier Alceste il en fait un personnage tout ensemble décalé, grotesque et attachant. Catalyseur d'énergie il a réuni une troupe d'acteurs (dont beaucoup sont des fidèles) qui ont le pouvoir d'illuminer les mots, en l'occurrence les alexandrins. Découvrir dans un "classique" des comédiens tels que Nicolas Bouchaud, Norah Krieff, Vincent Guédon,  Stephen Butel, Christophe Ratandra,  Cyril Bothorel, Christèle Tual et Anne-Lise Heimburger, qu'on a vu pour la plupart se frotter à des univers plus contemporains, est un bonheur à ne pas manquer.
Jusqu'au 19 janvier Théâtre national de Bretagne- Rennes tel 02 99 31 12 31
Le spectacle sera ensuite en tournée à Bordeaux, Reims, Bourges, Lille, Paris....