dimanche 29 décembre 2013

Elle brule de Mariette Navarro. Mise en scène de Caroline Guiela Nguyen

Un petit intérieur fripé. Les occupants sont sous tension. On découvre dans une pièce attenante le corps sans vie d'une femme. Et le passé d'être sur le champs recomposé. Le mystère de cette mort
sondé. La famille réduite, se composait de Pierre, un  homme qui semblait tenir - avec indulgence et l'esprit souvent narquois - son petit monde à bout de bras. Emma, sa femme semblait avoir la tête dans les étoiles, tentait de dégotter un boulot, ne s'y rendait pas, voulait voler de ses propres ailes. Leur fille est une adolescente au parcours cahoteux. La grand-mère allemande  semble avoir  perdu la raison. Des hommes étaient fréquemment présents. L'un rendait de menus services, l'autre y traînait sa carcasse. Et n'était pas indifférent à Emma qui, un jour céda à cet emportement violent qu'on appelle la passion et découvre des zones de pénombres sensuelles dont elle ignorait l'existence.

La jeune femme se trouva rapidement engluée dans des questions d'argent . Elle connaît l'épreuve des innombrables coups de fil  où une voix menaçante lui enjoint de régler ses dettes. Elle ne tarde pas à s''enferrer dans ses mensonges. Sa vie devenue sans issue ne tient plus qu'à un fil qui ne tarde pas à se rompre. 
Des liens apparaissent évidement avec Madame Bovary mais aussi avec l'Histoire de Jean-Pierre Romand dont Emmanuel Carrère décrit la vie de tromperies dans L'adversaire. Le besoin de réussite est dans nos années devenu si impératif que beaucoup n'ont d'autres choix que de faire mine  de mener grand train. Quand l'amour de plus s'en mêle....

La distribution (Boutaïna El Fekkah, Margaux fabre, Aexandre Michel, Ruth Nuesch, Jean-Claude Oudoul, Pierric Plathier) mérite un coup de chapeau collectif d'autant que le spectacle, qui se démarque grandement de la production courante, a été conçu à partir d'improvisations.  S'il a rencontré un tel succès lors de sa présentation au Théâtre de la Colline à Paris, qui lui vaudra une importante tournée la saison prochaine, c'est qu'il apparaît comme une authentique aventure de théâtre.

Du 7 au 10 janvier Comédie de Saint-Etienne tel 04 77 25 14 14  

jeudi 19 décembre 2013

Gros- Câlin d'Emile Ajar

Si ce n'est dans La promesse de l'aube, Romain Gary n'a pas la réputation d'aimer s'épancher sur son sort ou  sur celui de ses personnages. Dans les livres qu'il signa du nom d'Emile Ajar (que ce soit dans La vie devant soi ou dans Gros calin) il y a en revanche une incontestable tendresse à l'oeuvre.
Célibataire et sans famille, monsieur Voisin s'est épris d'un python lequel n'hésite pas à l'enlacer. Mais sa vie en compagnie du reptile lui vaut quelques désagréments. La dame portugaise qui prend soin de son logement  n'apprécie pas, mais alors pas du tout,  l'animal.Celui-ci est friand de souris. Mais son propriétaire a un faible pour ces bestioles et est bien incapable de les lui faire ingurgiter. Il le nourrira de cochons d'Indes...

L'écrivain portraiture avec brio cet homme désocialisé qui s'éprend de Madame Dreyfus, une voisine qui ne le remarque pas. Sa fréquentation des prostituées lui procure davantage de plaisirs même s'il n'apprécie guère qu'avant le début de leurs ébats ces dames lui lavent  la raie des fesses.

On suit d'autant plus ému l'errance mentale du bonhomme que Jean-Quentin Châtelain qui l'incarne lui assure un relief saisissant. Bérangère Bonvoisin qui n'est jamais meilleure que lorsqu'elle s'attache à des destins à la dérive tient le gouvernail avec une ingénieuse fermeté. L'adaptation du roman fut réalisée par Thierry Fortineau, qui fut lui aussi un surdoué de la scène et reste pour ceux qui ont eu le bonheur de le connaître une figure et une voix à jamais inoubliables.

Oeuvre tel 01 44 53 88 88

dimanche 1 décembre 2013

Déplace le ciel de Leslie Kaplan

Deux femmes dans un bar ou dans tout autre lieu où elles peuvent se trouver à côté d'une télévision allumée. De laquelle s'échappent des propos ineptes. Les deux femmes font, elles, danser les mots, les soupèsent, les refont à neuf. Entre deux évocations d'un certain Léonard, objet d'amour et de haine de l'une d'elles, elles parlent  de vaches, de singes, des théories de Darwin, de la difficulté d'être  et aussi, exemples farfelus à l'appui, de la supériorité de la langue française sur l'anglais... Ce faisant, elles remettent en question des convictions toutes faites et de fil en aiguille osent le face à face avec notre époque. Epuisées par ces échanges souvent burlesques il leur arrive de sombrer dans le sommeil. Et de rêver. Ces rêves qui leur apparaissent évidement idiots  ne sont pas sans les troubler. Elise Vigier et Frédérique Loliée, qui jouent et ont conçu la mise en scène, donnent une beauté inédite à ces moments qui offrent une opportunité à s'atteindre.

Leslie Kaplan a, à l'évidence inventé une  nouvelle écriture scénique. Si son texte est d'une densité intimidante, il est aussi gorgé d'humour. D'un humour souvent âpre. Elle assène surtout la preuve ( comme elle le faisait déjà dans "Duetto-Toute ma vie j'ai été une femme" et dans "Louise, elle est folle" déjà montées et interprétées par les deux mêmes comédiennes) que le théâtre est un champs où la pensée peut gambader, où elle a la liberté de se se déployer.

La salle était ,le soir de la première, majoritairement occupée  par des adolescents. Qui tout au long de la représentation n'ont pas mouftés et ont manifestés, lors des saluts, combien ils avaient été captivés. La preuve que leurs enseignants savent y faire.

Jusqu'au 15 décembre TGP Théâtre Gérard Philipe Centre dramatique national de Saint-Denis tel 01 48 13 70 00

jeudi 28 novembre 2013

Le système Ribadier de Georges Feydeau

 Le système Ribadier semble être l'une des pièces de Feydeau qui se laisse le moins facilement apprivoiser. Ce qui explique pourquoi elle est rarement montée.
La machine infernale est lancée dès les premières répliques. Depuis qu'elle a mis la main sur le carnet de rendez-vous de feu son premier mari, qui collectionnait les aventures extraconjugales alors qu'elle le  croyait d'une fidélité absolue, Angèle se méfie des hommes. Et au premier chef de Ribadier , son second époux à qui elle fait à tout bout de champs des scènes.   Quand il veut endormir  la méfiance de sa chère et tendre, le bonhomme use de ses dons d'hypnotiseur.  L'arrivée impromptue de Thommereux, autrefois amoureux transi  d'Angèle, va provoquer des quiproquos de plus en plus étourdissants.
Difficile de ne pas applaudir l'habilité avec laquelle Zabou Breitman s'est sorti de l'enfilade d'imbroglios imaginé par Feydeau, esprit d'une précision qui constamment frôle l'absurde. Seuls des comédiens doués à l'extrême tels que Laurent Laffite et Laurent Stocker pouvaient interpréter ces personnages emportés  dans un tourbillon de mensonges ou d'un aveuglement phénoménal. Le reste de la distribution est au diapason.
L'humour foudroyant de Feydeau a encore frappé.
Jusqu'au 5 janvier Théâtre du Vieux-Colombier tel 01 44 39 87 00/01

mardi 26 novembre 2013

Mettre en scène

Ses derniers jours en témoignent : la moisson de Mettre en scène, festival créé par François Le Pillouër, directeur depuis 1994 du Théâtre National de Bretagne, a, une fois encore, été revigorante. Si Passim de François Tanguy, La mouette de Tchekhov montée par Yann Joël Collin et Henry VI de Shakespeare à laquelle s'est confronté Thomas Jolly ont, au début de la manifestation, créés l'événement, la suite fut tout aussi enthousiasmante. Grâce notamment à Cédric Gourmelon qui dans Au bord du gouffre réunit plusieurs textes de David Wojnarowicz qu'il interprète avec une fureur au départ  contenue, plus tard implacable.

Mal remis d'une enfance exceptionnellement  sombre, il devint, après avoir connu le trottoir, un des artistes les plus apprécié de l'East village new yorkais des années 80. Ses oeuvres graphiques furent exposées dans des galeries tant américaines qu'européennes. Ses écrits dans lesquels il mit, avec une déchirante ferveur, le cap au pire sont d'un auteur du même bord que Herbert Selby ou Williams Burroughs La manière dont furent considérés pendant les mandats de Reagan les malades du sida (auquel il succomba lui aussi)  lui mirent les nerfs et l'écriture à vif.

Fräulein Julie librement adaptée de la pièce d'August Strinberg est mis en scène par Katie Mitchell qui, ne trouvant pas dans son Angleterre natale les financements pour ses projets - qui mêlent, depuis qu'elle collabore avec le vidéaste Leo Warner, comédiens, équipe de tournage et autres artisans de l'art, - crée dorénavant ses spectacles en Allemagne. Le récit de la funeste passion érotique qu'éprouve la fille d'un aristocrate pour un valet se déroule  ici sous le regard de Kristin, la servante. L'utilisation en direct d'une  caméra vidéo a pour effet que chaque séquence est détaillée sur grand écran. Le spectateur se trouve de ce fait au plus prés des gestes et des sensations des trois personnages. Lesquels sont joués par des membres de la troupe de la Schaubühne de Berlin. Qui ne semble être  constituée que de pointures. La cruauté du climat et des rapports n'est pas sans rappeler celle des oeuvres de Fassbinder

La relève de ces comédiens de première force semble d'ores et déjà assurée par les élèves de l'école  Ernst Busch de Berlin, fondée en 1905 et qui  n'a rien perdu de son prestige. Dirigés par Peter Kleinert huit acteurs novices mais au métier déjà sûr jouent une foule de rôles dans Sainte Jeanne des Abattoirs où Bertold Brecht décrit l'irrésistible ascension puis la chute de Pierpont Mauler, le magnat des abattoirs. Ce spectacle choral a pour cadre  une Amérique à la dérive qui ressemble comme deux gouttes d'eau à l'Allemagne de Weimar.  Nombreux sont ceux qui ont dévalé l'échelle sociale. L'homme d'affaire voit dans ce périlleux contexte  l'occasion de faire fortune. Les chapeaux noirs, une armée de personnes charitables, celle de semer la bonne parole. Jeanne, l'une des leurs saisit combien leur action est trompeuse. Et de se sacrifier à la cause des  miséreux. Le constat que fait Brecht est, on le voit, d'une actualité désespérante... Le public ne s'y est pas trompé qui a fait à ce travail d'école un accueil triomphal.

Mettre en scène tel 02 99 31 12 31
Au bord du gouffre pourra être vu les 4 et 5 avril 2014 à la Manufacture  Atlantique (Bordeaux)


vendredi 22 novembre 2013

Yerma de Federico Garcia Lorca

L'homosexualité de Federico Garcia Lorca était un secret de polychinelle. Ce qui lui valut d'innombrables affronts et le rendit, à coup sûr, particulièrement sensible au sort des femmes de son pays considérées, elles aussi, sans égards. Pas surprenant que ses pièces les plus réputées (Les noces de sang, La maison de Bernarda et Yerma que met aujourd'hui en scène Daniel San Pedro) glorifient des filles issues de milieux traditionnels qui endurent des vies sans espoir.

Jeunes éleveurs mariés depuis deux ans, Jean et Yerma n'ont pas d'enfants. Ce qui semble le laisser, lui, étrangement indifférent mais la fait, elle, intensément souffrir. Le passage des années lui donne le sentiment de vivre sur un tapis d'épines. Cette femme qui n'a peur de rien pas même des rumeurs qui dans le village vont bon train, va chercher des moyens de se ranimer de l'intérieur. Ses convictions morales l'empêchent toutefois de céder à son ami de jeunesse visiblement attaché à elle.

Revisitée par  Daniel San Pedro, Yerma apparaît comme une tragédie hors du temps. La magnifique adaptation de ce texte phosphorescent réalisée par  le metteur en scène lui-même est une merveille dont chaque phrase porte un coup  au coeur. Grâce à des comédiens aussi convaincants que Audrey Bonnet, Claire Wauthion, Daniel San Pedro, Juliette Léger, Hélène Alexandridis, Stéphane Facco et leurs partenaires qui jamais ne déméritent,  à une scénographie qui transforment  les murs de la maison en prison  et aux lumières de Bertrand Couderc qui projettent sur ces mêmes façades des images de paysages arides et plus tard donnent à une  scène de  pèlerinage des allures de cérémonie païenne, la pièce prend un reflet de plus en plus  brutal.

A la sortie un jeune spectateur faisait remarquer combien ce monument du répertoire qu'est Yerma parle aux gens de sa génération, qui effrayés par l'hostilité du monde,  sont souvent tentés de rester sans enfants....

Jusqu'au 24 nov TOP Théâtre de l'Ouest Parisien tel 01 46 03 60 44 puis en tournée notamment au Théâtre des Célestins à Lyon


dimanche 17 novembre 2013

Le tigre bleu de l'Euphrate de Laurent Gaudé

Directeur depuis 9 ans de la Comédie de Béthune, Thierry Roisin y a créé des spectacles d'une bluffante qualité. Lesquels ont été peu vus car à l'inverse de beaucoup de ses confrères il a refusé de programmer des spectacles d'autres artistes à la tête d'une institution afin d'être à son tour reçu dans leurs murs... Avant de céder la place à Cécile Bakès il signe la mise en scène d'un monologue écrit  par un Laurent Gaudé particulièrement inspiré.

Sur le point de rendre son dernier souffle, Alexandre le Grand s'adresse à une ombre. Et celui qui construisit un empire qui s'étendit de la Macédoine aux confins des Indes d'accomplir un voyage au bout de lui-même.  Visage aussi impassible que celui d'un maître Zen, Frédéric Leidgens impose un Alexandre fascinant. Il ne quitte son masque placide que lorsqu'il imite les traits hideux de deux hommes à qui il fit payer cher leur odieuse conduite. Son parcours fut parcouru d'élans de violence. Le moment est venu de soulager sa mémoire, de se souvenir de la répression sans quartier qu'il exerça sur les habitants des villes qui résistaient à ses armées. Il se remémore aussi avoir fait fuir Darius qui régnait sur Babylone et qu'une fois installé dans son palais, dont le raffinement le subjugua, s'être surpris à considéré le vaincu comme son jumeau. A maintes reprises, Alexandre voit surgir un tigre bleu dont il tente de suivre la trace. C'est cette chimère qui l'incite à toujours aller de l'avant.

Laurent Gaudé voit visiblement en Alexandre un conquérant qui fit se rencontrer les cultures grecques et perses. C'est pour cette raison qu'il peut dire au dieu des morts dont il tente de discerner la physionomie : je n'ai pas besoin de toi pour être immortel, je me suis occupé de cela....
Cette adresse à l'insaisissable a pour cadre un espace lumineux (conçu avec une élégance extrême par Olga Karpinsky)  qui évoque certaines scènes orientales. Une façon de poursuivre le croisement des civilisations qui est aux antipodes de ce nivellement qu'on appelle la mondialisation.

Jusqu'au 23 novembre Comédie de Béthune tel 03 21 63 29 19
Les 18 et 19 décembre Théâtre d'Arras 

lundi 11 novembre 2013

Chapitre de la chute de Stefano Massini

Les mises en scène d'Arnaud Meunier, nommé depuis deux ans à la tête de la Comédie de Saint-Etienne, ont une force de percussion qui va en s'accentuant. Il s'est, cette fois, emparé d'une pièce du jeune auteur italien Stefano Massini, qui, comme Pasolini, son aîné vénéré,  se montre décidé à en découdre avec la marche inacceptable du monde. Il relate, pour ce faire, une saga familiale exemplaire : celle des frères Lehman, nés en Bavière dans une famille juive et qui, dans les années 1840 ont jeté l'ancre en Alabama où ils ont fait prospéré un commerce de vêtements. D'heureuses occurrences leur permettent de changer d'activités et de faire, peu à peu,  fortune.

Le flux serré de la narration de cette succes story qui est aussi une marche vers la notabilité  tient trois heures durant autant en haleine qu'un polar. Les frères Lehman, leurs fils et petits fils se boostent tous à l'activité. Alors que l'un devient un financier perspicace qui ne cédant pas à la panique provoquée par le krach de 1929 accroît sa richesse, l'un de ses cousins endosse la fonction de maire de New York. D'un tempérament déterminé, ces messieurs font souvent des mariages de raison. Il faudra attendre l'époque où les divorces hollywoodiens faisaient  la une des journaux, pour que l'un des Lehman - qui finança plusieurs films - épouse successivement trois croqueuses de diamant dont le départ ne l'affecta en rien...

 Les premiers Lehman arrivés aux Etats Unis étaient des juifs observants qui à la disparition de l'un d'eux faisaient Shiva, ne quittaient pas le lieu familial  pendant une semaine, déchiraient un de leur vêtement, disaient la prière du Kaddish matin et soir. Leurs enfants firent encore de même. Leurs descendants, happés par l'intérêt qu'ils portaient au cours de la bourse, abandonnèrent  ces traditions ancestrales. En 1984 l'entreprise familiale fut vendue à des traders. Certains des Lehman faisaient des rêves peuplés de dangers. Ce qui témoigne des émotions qui les habitaient. Le capitalisme à visage, cette fois  brutalement inhumain occupe, dès lors, la place.Et fera les ravages que l'on sait.

Le texte écrit par Stefano Massini est d'un jet, ne comporte aucune indication quand à la façon d'appréhender les rôles. Arnaud Meunier a, lui,  réunit six comédiens aguerris qui jouent chacun plusieurs personnages dont certains féminins. Si ce spectacle captive autant c'est non seulement parce qu'il est d'une splendide facture mais aussi, surtout car il se mêle de ce qui, tous, nous regarde.

Jusqu'au 30 Novembre Théâtre du Rond-Point tel 01 44 85 98 21

samedi 9 novembre 2013

La ronde de nuit par le théâtre Aftaab

Le théâtre Aftaab a vu le jour à Kaboul sous l'impulsion de la citoyenne du monde Ariane Mnouchkine venue avec plusieurs membres de sa troupe y organiser un stage. Il y a quelques mois "La ronde de nuit", création collective de ces comédiens débutants que pilote Hélène Cinque a été accueillie au  Théâtre du Soleil. Le succès fut au delà des espérances. Le spectacle est aujourd'hui repris et devrait bientôt entamer une tournée à travers la France.

Nader, un exilé afghan, a dégotté un boulot de gardien de nuit dans un théâtre désaffecté. Les premières heures qu'il va y passer ne seront pas de tout repos. Ce seront d'abord quelques habitués du lieu qui surgiront de l'obscurité, plus tard une horde apeurée et transie de froid de sans papiers, originaires eux aussi d'Afghanistan. Durant quelques heures ces hommes et ces femmes évoquent leurs périples semés d'embûches. Le sommeil de certains sera troublé par des apparitions de terrifiants ou affriolants fantômes. Il est clair que les interprètes ont puisés de nombreuses scènes dans des souvenirs encore brûlants. Beaucoup entonnent - et c'est là pur bonheur- des chants aux accents ancestraux. Au petit jour tous reprennent leur baluchon.

Bien que le spectacle rappelle que les démunis forment la majorité de notre humanité, les rires sont constamment de la partie. Grâce à "skype" Nader est fréquemment en contact avec ses proches restés au pays. Les scènes où bousculant sa belle-fille, la maman envahit l'écran sont du plus haut comique, cela bien qu'elles rappellent qu'on ne lésine pas avec la tradition familiale. ... Nader et sa femme sont, à l'évidence épris mais ne sentent pas pour autant autorisés à tenir à distance les parents de l'homme.

Parlé tantôt en français, tantôt en farsi (traduit en surtitres!), le spectacle est truffé de séquences où l'on repère la griffe distinctive de Mnouchkine. Comment dès lors s'étonner  qu'il engendre l'enthousiasme?

Jusqu'au 1er décembre Théâtre du Soleil tel O1 43 74 87 13

mercredi 6 novembre 2013

Orlando de Virginia Woolf

Le roman Orlando de Virginia Woolf débute au 17e siècle et s'achève en 1928. Tout du long on suit les tribulations d'un seul personnage : un homme qui à mi chemin de son parcours devient femme. Sa profusion extravagante ne destinait pas ce texte à la scène. Il a pourtant, il y a quelques années, tenté Bob Wilson et inspire aujourd'hui l'immense metteur en scène flamand Guy Cassiers. Lequel a trouvé en Katelyne Damen, une comédienne qui , sans affèteries aucune, mais avec une voix  posée ou enflammée   et une gestuelle minimaliste, nous entraîne dans le sillage d'un être que seul pouvait concevoir un esprit aussi fertile que l'auteur de Mrs. Dalloway.

Cet Orlando dont on suit autant le labyrinthe intime que les pérégrinations à travers l'Europe et les époques en arrive à constater la vanité de la passion dont il-elle  a connu les douceurs et les souffrances.  Vidéaste de première force, Fredérik Jassogne donne, à travers les images qui occupent le fond de scène, un contour au monde en perpétuelle mutation dans lequel évolue cet être dont le seul lien avec la personne qu'il fut dans son jeune âge est un poème écrit de sa main.

On aura compris que ce carrousel chatoyant de péripéties défie les classifications ordinaires et aussi que Guy Cassiers fait montre ici d'un métier qu'il ne cesse de mettre à l'épreuve. Conclusion : le bonheur que procure ce spectacle est à partager d'urgence.

Jusqu'au 10 Novembre Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14

mercredi 30 octobre 2013

Doute de John Patrick Shanley

Le cadre de la pièce (portée en 2008 à l'écran avec dans les rôles principaux Meryl Streep et Philip Seymour Hoffman) est le bureau de la mère supérieure d'une école fréquentée par des enfants des deux sexes. Venue s'enquérir de la santé de l'un de ses élèves, une jeune religieuse se voit reprocher par son aînée son esprit trop ouvert. Il apparaît d'emblée que l'une est tout feu, tout flamme, l'autre corsetée de certitudes. Lorsqu'elle apprend qu'un  prêtre, dont les sermons la hérissent,  a pris sous son aile le seul élève noir  de l'établissement, elle le soupçonne aussitôt du pire. Son obstination belliqueuse coutera cher a chacun.
"Doute" est moins une pièce à thèse sur la pédophilie si répandue au sein du clergé qu'une réflexion haletante sur la complexité bien souvent indéchiffrable de ce que certains nomment l'âme, d'autres la psychée.
Josiane Stoléru, comédienne d'un talent bien trempé, Emilie Chesnais, la religieuse pleine de fougue qui a foi en l'humain et Elphie Pambu, la mère d'une écrasante perspicacité de l'enfant noir donnent au spectacle une séduisante intensité. Un bureau et des chaises constituent l'essentiel du décor. Et c'est très bien. La présence de panneaux fréquemment déplacés est, en revanche, inutile.
Théâtre du petit Hebertot tel 01 42 93 13 04

samedi 26 octobre 2013

Une sacrée boucherie d'Emmanuelle Laborit et Pierre-Yves Chapalain Mise en scène Philippe Carbonneaux

Que le cercle familial soit un creuset de violences a été répété tant et plus. Mais jamais de la manière dont le fait ce spectacle joué, à la fois en langue des signes et en langage parlé.  Il a pour cadre l'arrière-boutique d'une boucherie. Y vivent le couple parental et leur quatre enfants devenus adultes. Persuadée d'être stérile, la mère convainquit son mari d'adopter un môme. Quelques années plus tard elle accoucha de triplés qui vinrent au monde sans pousser un cri. Elevé comme ses soeurs, le garçon, raconte la mère (qui n'en dit jamais mot à ses enfants!), fut toujours, comme elles, vêtu de robes.Une éducation qui porte ses fruits évidement vénéneux.
Mais pas plus que les auteurs, Philippe Carbonneaux  en charge de la mise en scène,  ne fait oeuvre réaliste. La salle où a été créé le spectacle fut longtemps le temple du Grand Guignol. Genre auquel appartient Une sacrée boucherie. Compagnon de route de Joël Pommerat - dont il a adopté le style syncopé -  le maître d'oeuvre réussit une subtile association de burlesque, de tragique et d'épouvante. Le sang parfois jaillit à flot. La scène suivante est immanquablement de farce. 
Comédienne de premier rang, Chantal Liennel est l'incarnation de ces mères si folles qu'elles suscitent chez leurs enfants un insatiables besoin de consolation ou les rendent aussi déments qu'elle. Mais c'est le père absent de ses propres gestes auquel la mère rappelle à tout bout de champs de prendre ses médicament qui est ici désigné comme délirant... 
Spectacle d'une insistante et prenante étrangeté, Une sacrée boucherie termine sa carrière parisienne mais sera à coup sûr repris la saison prochaine. Son succès public a pour conséquence qu'il entame une importante tournée en province.
Jusqu'au 27 octobre IVT - International Visual Theatre tel O1 53 16 18 18
le 3 déc - L'Odyssée (Périgueux), du 26 au 29 mars 2014 - Théâtre National de Toulouse, du 15 au 16 avril Comédie de l'Est (Colmar)

lundi 14 octobre 2013

Ring de Léonore Confino

Léonore Confino a l'art de la saynette. Des couples dont les relations sont faites tantôt d'élan  tantôt de rejet se succèdent sur le plateau. La metteuse en scène, Catherine Schaub, a eu l'idée payante de faire appel à deux comédiens dont les styles s'entrechoquent. Alors qu'Audrey Dana fait montre d'une assurance et d'une vitalité saisissantes, Sami Bouajila la joue plutôt en délicatesse. Il semble du coup au départ avoir le dessous. Mais cet  excellent interprète auquel le cinéma fit souvent les yeux doux ne tarde pas à montrer de quel bois précieux il se chauffe.

Difficile de ne pas prendre plaisir à voir cette suite de  courtes scènes qui sont parfois des passes d'armes d'autre fois des aveux de tendresse et de désir. La verve acide des dialogues a pour résultat que cette exploration des abimes du coeur et de la libido  qui pourrait être convenue n'apparaît pas telle. "Ring" a, à l'évidence, davantage été créée pour faire des entrées que pour des motifs artistiques. Les réactions chaleureuses du public prouvent que ses producteurs pourraient atteindre leur but.

THÉÂTRE  DU petit ST-MARTIN tel 01 42 08 00 32

samedi 12 octobre 2013

L'histoire terrible mais inachevée de Nrodum Sihanouk, roi du Cambodge d'Hélène Cixous

En 1985, six ans après la fin du règne des Khmer rouges qui avaient livrés le Cambodge à la désolation, la metteuse en scène et citoyenne du monde Ariane Mnouchkine proposa à Hélène Cixous d'écrire une pièce sur le roi Sihanouk qui avait été témoin ou acteur de toutes les secousses qu'avait connu son pays. Portée par la flamme de son sujet, elle écrivit un texte qui vingt- cinq plus tard a gardé toute sa puissance. Ce fut à la création  Georges Bigot  qui incarna le souverain khmer. Il cosigne aujourd'hui avec Delphine Cottu un spectacle joué par une troupe de comédiens cambodgiens. Le rôle de Sihanouk est tenu par San Marady, une femme haute comme trois pommes, au  jeu tout en nerfs et à la présence époustouflante et par moments hilarante. Elle est entourée de vingt- cinq comédiens (qui interprètent une soixantaine de rôles!)  et de quatre musiciens, tous âgés d'une vingtaine d'années  qui n'ont donc pas connu les temps génocidaires,  n'ont pas éprouvé leurs terreurs.
On croise au cours de ce  spectacle au long cours applaudi à tout rompre nombre de personnages avec qui Sihanouk eût à se colleté  et qui ont laissé une place - parfois  désastreuse dans l'Histoire - tels que Kissinger, Zhou Enlaï, les maîtres du Kremlin et évidement Pol Pot et sa bande de canailles qui optèrent pour la politique de la terre brûlée et soumirent Sihanouk à des contraintes scélérates. Des apparitions spectrales viennent, elles apporter  du réconfort à ceux qui ne savent plus que faire ou  sont parvenus au dernier stade du désespoir.
Aujourd'hui le Cambodge semble sorti d'affaire. Les derniers compagnons de Pol Pot passent en jugement. Mais c'est oublier que les grandes puissances se sont jetés sur la manne pétrolière qui fait la richesse du pays, lequel se trouve une fois de plus saccagé. Ce que ne voient évidement pas les touristes venus admirer les splendeurs d'Angkor.
Jusqu'au 26 octobre Théâtre du Soleil tel 01 43 74 24 08

dimanche 6 octobre 2013

Vers Wanda un projet de Marie Rémond

Au début des années 70 sortit sur les écrans un film - comme La nuit de chasseur de Charles Laughton - à nul autre pareil. Il s'agissait de Wanda réalisé par Barbara Loden qui était à l'époque la femme d'Elia Kazan. Le personnage central est  inspiré par l'héroïne d'un fait divers  avec laquelle  la cinéaste se sentait, à l'évidence, de profondes affinités. Nulle mieux qu'elle n'aurait donc pu endosser ce rôle d'une femme qui vit de guingois. Dans le spectacle  Marie Rémond  prend la relève. Le prodige du théâtre est que ce petit bout de femme d'emblée ressemble comme deux gouttes d'eau au personnage central du film dont les traits et l'allure sont on ne peut plus éloignés des siens.
L'une des qualités les plus évidentes de cette création collective est qu'elle déjoue les classifications. Elle a, en effet, été conçue à partir d' improvisations réalisées par les trois acteurs : Clément Bresson, Sébastien Pouderoux et  cela va sans dire Marie Rémond  Et l'on passe émerveillé d'une scène du film à un épisode de la vie de cette femme pourvue de dons mais dont l'inadéquation au monde dans lequel elle échoua fut absolue.
Des scènes tragi- comiques  nous éclairent sur ce que furent les relations entre Barbara Loden et Elia Kazan Celui-ci promit à sa femme  de lui faire jouer le rôle de l'amante de Kirk Douglas dans son film "L'arrangement". Rôle qu'il confia, sans en avertir l'intéressée, à Faye Dunawaye Entortillé dans sa mauvaise foi, l'auteur de Sur les quais, A l'est d'Eden et autres splendeurs se montre tel qu'on imagine celui qui balança ses copain à la Commission des activités anti-américaines.
Si l'on ajoute que des friandises mélodiques ponctuent les récits enchevêtrés de ces trajectoires fracassées on mesurera le plaisir que procure cette représentation à la forme si ingénieusement aventureuse.  
Jusqu'au 26 octobre La Colline tel 01 44 62 52 52

mercredi 2 octobre 2013

Le triomphe de l'amour de Marivaux

Accompagnée d'une servante, comme elle déguisée en homme,  la princesse de Sparte, s'introduit  dans la demeure du philosophe Hermocrate qui y vit avec sa soeur, une femme de moeurs austères. Vit camouflé dans les mêmes lieux Agis, le fils des anciens rois,  qu'elle a aperçue dans un bois et dont elle s'est aussitôt éprise.
Avec la désinvolture arrogante des êtres favorisés par la fortune, elle  mijote, avec sa suivante  un plan pour approcher celui qu'elle considère déjà comme son promis. Usant de discours étincelants d'habileté et changeant d'identité sexuelle comme de chemises, elle réussira à faire croire au philosophe comme à la soeur qu'elle (ou il!) en pince pour eux.   Voletant de l'un à l'autre elle en fera les victimes collatérales de son  entreprise.
Le metteur en scène Galin Stoev  s'était déjà mesuré à Marivaux la saison dernière à la Comédie Française où son "Jeu de l'amour et du hasard" reçut un accueil favorable. Il a eu cette fois l'idée extrêmement heureuse de faire endosser tous les rôles par des hommes. Et c'est bonheur de voir Nicolas Maury jouer les prestidigitateurs verbaux, faire mine de roucouler, se refaire une beauté ou  clouer le bec à qui se plaint de ses agissements. Autour de lui virevoltent quelques  personnages  savoureux tels que la soeur tentée de vivre sa vie qu'interprète avec une finesse et un humour exquis Airy Routier et la servante, complice avisée de sa maîtresse à qui Yann Lheureux prête tantôt une grâce toute féminine, tantôt des airs de gamin espiègle. Une mention spéciale aussi à Bjanca Adzic Ursulov dont les costumes sont une merveille
On savait Marivaux fasciné par les ambivalences de l'amour. Comme me le faisait remarquer un ami, il franchit avec cette pièce un tel cap qu'on en arrive à songer à Théorême de Pasolini. Chacun, en effet se retrouve transformé, libéré du rôle dans lequel il s'était enfermé,  par sa rencontre avec la rouée  princesse . Pas plus que ne le fera le poète et cinéaste italien, Marivaux  n'est convaincu que cette transformation soit une aubaine.

Jusqu'au 20 octobre TGP (centre dramatique national de Saint -Denis) tel 01 48 13 70 70

lundi 23 septembre 2013

Au monde de Joël Pommerat

Les efforts de Joël Pommerat pour se forger une identité de metteur en scène particulier ont porté leurs fruits. Il ne se contente pas aujourd'hui d'aligner les succès comme des perles, il s'offre aussi le luxe de tirer du sommeil (comme il l'écrit lui-même) des pièces qu'il écrivit et monta il y a quelques années. Ce qui est le cas de "Au monde" créé en 2006.
La famille au sein de laquelle il nous introduit est celle d'un marchand d'armes dont la vie est en voie d'extinction. Il vit entouré de ses trois filles -  dont l'une a été adoptée pour remplacer une morte...  -  et attend le retour de son plus jeune fils qui a fait carrière dans l'armée. C'est à lui qu'il destine la conduite de ses affaires. Mais ce projet n'emballe à l'évidence guère  cet homme qui semble muré dans un monde intérieur.
La maître d'oeuvre ne se borne pas, on le devine, à brosser le portrait d'une tribu qui appartient à la classe dominante. S'attachant en priorité à l'une des filles devenue présentatrice sur une chaîne de télévision, il réussit le tour de force de faire voir combien est biaisée la perception de la réalité  des favoris de la fortune. On peut reprocher à ce personnage de parler à profusion, ce qui finit par le rendre agaçant. C'est là la seule réserve que peut susciter ce spectacle qui est pour le reste aussi prenant que les productions plus récentes de cet artiste si justement en vue. On y retrouve, en effet, le climat de pesanteur palpable et envoûtante et les soudaines incongruités (comme les brusques apparitions d'une chanteuse à la présence d'une affolante sensualité) qui sont la signature de Pommerat.

Jusqu'au 19 octobre Odéon -Théâtre de l'Europe tel 01 44 85 40 40

dimanche 22 septembre 2013

En v'la une drôle d'affaire

Nathalie Joly a été bien inspirée de commencer le tour de chant qu'elle consacre à Yvette Guilbert, immense chanteuse d'avant-guerre, par un texte du poète  Jean-Louis Laforgue que la dame mit elle - même en musique. Authentique icône de la féminité, l'artiste se fraya son chemin dans des conditions hasardeuses. Ses débuts, elle les fit au Café noir, caf con'c des Grands Boulevards où son répertoire suavement coquin était grandement apprécié.
Des revers de santé l'éloignèrent de la scène. Etablie aux Etats  Unis elle y fonda une école de chants pour jeunes talents désargentés. Et exhuma des centaines de chansons médiévales dont elle se fit l'interprète. Habitée d'une foi ardente, elle se mit aussi à l'étude du Nouveau Testament. Pas étonnant que les chants de cette époque, où la passion joue un rôle central, souvent se fassent prières.
Elle n'en resta pas moins fidèle à son humour caustique. Douée d'une voix tout à tour enveloppante grinçante ou de gorge, Nathalie Joly est la passeuse idéale de ces oeuvres dissemblables.
Parmi les chansons qu'elle a réunies, on retiens en priorité "La pocharde", esquisse d'un personnage qui tient de Zola et de Feydeau et "La morphine" évocation des disciples de Lesbos, toutes à la joie d'avoir découvert des plaisirs qui les enchante.
Enrichi par la présence au piano de Jean-Pierre Gesbert, ce spectacle est pur délice. Qui doit beaucoup à la mise en scène d'une capiteuse fantaisie de Jacques Verzier.
Du 25 septembre au 3 novembre Lucernaire tel 01 45 44 57 34

jeudi 19 septembre 2013

Et jamais nous ne serons séparés de Jon Fosse

Un rire fuse. Celui d'une femme qui marche dans son salon en ressassant  ses pensées à voix haute. "je me débrouille très bien toute seule"  dit-elle puis ajoute"Mais je ne suis pas seule. Je n'ai jamais été seule. J'ai toujours été seule. Je n'ai jamais été pas seule" Puis de se demander :  "Pourquoi il ne vient pas. Il ne rentre jamais aussi tard" Et le spectateur d'éprouver un sentiment d'étrange familiarité. Ces phrases ont maintes fois surgies en lui.

Arrive l'homme. Il est fatigué. Un rien agacé par l'amour dont l'enveloppe la femme. Mais peut-être n'est-il pas présent, n'est-il qu'un souvenir qui a pris corps.  Plus tard il a à ses côtés une autre femme qu'il supplie de ne pas le quitter. Chez le norvégien Jon Fosse, nouveau fleuron de la scène internationale, le passé ou  possiblement le futur ne cesse de s'infiltrer dans le temps  présent. Dans les pièces de cet écrivain, qui semble suivre une voie ouverte par Beckett, le temps se déréalise. Des être absents mais qui habitent nos pensées peuvent être d'une compagnie plus intense que les créatures en chair et en os  qui nous font face.

Le metteur en scène Marc Paquien a su faire résonner et rendre envoûtante la "musique" si singulière écrite par Jon Fosse. Il fallait évidement pour interpréter  cette  partition  des acteurs qui allient le métier à l'intuition. Ce qui est le cas de Ludmilla Mikaël, souvent seule avec ses fantômes sur le plateau, mais aussi de Patrick Catalifo et de la jeune Agathe Dronne.

On connaissait surtout en France l'univers de  Jon Fosse par la vision qu'en a eu son découvreur Claude Régy. On découvre qu'en respectant la vigueur rythmique conseillée par l'auteur dans les notes qui accompagnent le texte les comédiens nous emportent vers des contrées inexplorées.

L'Oeuvre, 55, rue de Clichy Paris 75009 tel 01 44 53 88 88       

jeudi 12 septembre 2013

Invisibles de Nasser Djemaï

Résolu à accomplir les dernière volontés de sa mère le jeune Martin tente de retrouver un homme au nom maghrébin qu'il devine être son géniteur. Ses recherches le conduisent dans un foyer Sonacotra où vivent cinq Chibanis, cinq "cheveux blancs". Celui qu'il recherche est aphasique. Les quatre autres veillent sur lui. Depuis qu'ils ont été mis au rencart, ils mènent une vie rétrécie. Si l'un d'entre eux accueille le visiteur avec chaleur, sa présence  agace prodigieusement l'un des autre occupants du lieu.

Fruit des entretiens avec des travailleurs immigrés qui ont trimé en France depuis leur jeune âge et n'ont gardé avec  les membres de leur famille restés au pays que des liens distendus la pièce a été écrite et mise en scène par Nasser Djemaï. Lequel a le talent de croquer des personnages qui se sont leur vie durant accommodés du pire mais savent à tout bout de champs faire preuve d'humour. Il est ainsi des scènes irrésistibles  telle celle où assis sur un banc ils se gaussent des jeunes de la cité dont les comportement et l'habillement leur apparaît d'un goût douteux. La cassure entre les générations est bel et bien consommée...

Le temps se passe surtout à ferrailler avec l'administration que ne leur verse pas les pensions auxquelles ils ont droit. Mais quant leur visiteur les incite à changer de mode et de lieu d'existence ils refusent net. Ils ne veulent à aucun prix renoncer à leurs habitudes. Finement cernés les personnages sont servis par une solide interprétation.  Angelo Aybar, Azize Kabouche, Kader Kada, Lounès Tazaïrt et Azzedine Bouayad, qui joue le rôle délicat de l'homme prostré, sont ce qu'appelle "des pointures" Ils ont trouvé dans le jeune David Arribe un partenaire à leur mesure.

Réussite frémissante, ce spectacle provoque, à juste titre,  des bouffées d'enthousiasme. L'ovation faite aux comédiens ne faiblit qu'après une dizaine de minutes.

Jusqu'au 20 octobre Théâtre 13/Jardin tel 01 45 88 62 22  

mercredi 11 septembre 2013

samedi 13 juillet 2013

Huis clos de Jean-Paul Sartre

Relégué au purgatoire depuis quantité d'années le théâtre de Sartre n'est pas aussi daté qu'on le prétend. Même si certaines de ses pièces telles que La putain respectueuse ou Morts sans sépulture pèchent par un manichéisme exaspérant. Il en va tout autrement de Huis clos  où un homme et deux femmes se retrouvent après leur mort dans une chambre surchauffée où ils ne tardent pas à se prendre de bec. Le climat d'inimitié qui règne entre eux se détériore davantage encore quand chacun aura vidé son sac et offrira aux deux autres une image peu flatteuse de sa personne. Ils en arrivent vite à constater que s'ils se trouvent réunis c'est qu'ils possèdent la faculté d'être les tourmenteurs les uns des autres.

Qui ne se souvient de la phrase "L'enfer c'est les autres"? Elle n'est pourtant guère généralisable. Les trois quidams contraints de partager un lieu à la physionomie accablante ont été choisies car elles n'ont aucune affinités. Ils serait donc plus judicieux de dire que l'enfer c'est le défilé morne et sans fin des heures. Agathe Alexis, qui joue la lesbienne à la verve assassine, a ordonné une mise en scène qui met le texte sous tension. L'excellence des acteurs est pour beaucoup dans la réussite de la représentation. Bruno Boulzaguet, le seul qui n'a pas attenté à la vie de quiconque a la partition la plus difficile. Mais son personnage nous est rapidement d'une inquiétante familarité.

Un spectacle qui en cette période de programmation chétive vaut la découverte.

Jusqu'au 31 août Le Lucernaire tel 01 45 44 57 34

lundi 8 juillet 2013

Chatte sur un toit brûlant de Tennessee Williams

La seule condition à laquelle sont soumis les metteurs en scène chargés de monter une pièce durant les  mois de juillet et août devant la façade du château de Grignan est de ne pas avoir le goût aventureux. Résultat ce sont immanquablement des comédies  de Molière, de Goldoni, ou de Shakepeare qui sont proposées à un public qui, à chaque représentation, vient en nombre. Il faut donc saluer bien bas Claudia Stavisky qui en portant son choix sur La chatte sur un toit brûlant de  Tennessee Williams rompt avec des habitudes bien ancrées. Qu'on se rassure cependant : cet auteur qui aime décrire des règlement de  compte familiaux sulfureux ne pratique pas de disjonctions narratives et évoque sans détours de bien honteuses manigances.

Un homme nanti, - qui bien qu'en fin de course se délecte à tomber à bras raccourcis sur sa soumise épouse- reçoit la visite de ses deux fils. L'un qui a une jambe cassée et est constamment imbibé a pour épouse une femme que ses poses et propos aguicheurs laissent froid. L'autre, heureux papa de quatre enfant (bientôt de cinq!) attend l'occasion qui, il l'a appris, ne tardera pas, de mettre la main sur les biens   du vieil homme aux colères homériques.  Lequel visiblement, lui préfère son frère. Si des symboles tels que la jambe en piteux état de celui qui refuse de faire l'amour à sa femme sont rudement datés, la représentation ne manque pas de saveur. Grâce essentiellement à Alan Pralon et à Christiane Cohendy qui jouent on ne peut mieux des parents à peine plus marteaux que beaucoup d'autres. Clothilde Mollet est tout autant à applaudir à qui échoit le rôle de la belle fille à la voix souvent mauvaise et à la tripotée d'enfants. Bien que son personnage de fils mal aimé soit plus effacé, Stéphane Olivié Bisson arrive à jouer la fausse bonhommie avec juste ce qu'il faut de sourires contraints.

Si elle n'a pas retrouvé la flamme avec laquelle elle ordonna, il y a quelques mois, La mort  d'un commis voyageur d'Arthur Miller, Claudia Stavisky a su redonner du relief à ce drame qui, pensait-on - contrairement à  d'autres écrits de Tennessee Williams - tombait en poussières. Il ne fait pas de doutes que le spectacle encore un peu vert prendra au fil des semaines de l'épaisseur.

Jusqu'au 24 août Fêtes nocturnes 2013 Château de Grignan tel 04 75 91 83 65
Du 19 septembre au 20 octobre Célestins Lyon tel 04 72 77 40 40  

vendredi 5 juillet 2013

Festival de la correspondance de Grignan

Astucieux de débuter ce festival piloté par Anne Rotenberg et qui, cette année à pour thème l'Amérique, par des lettres envoyées à son paternel, à sa mère et à des amis par le juriste débutant Alexis de Tocqueville qui, en 1831,  partit à la découverte du Nouveau Monde. Curieux d'en  découvrir le système pénitentiaire  et de voir s'il pouvait être imité en France, il fit un séjour à Sing Sing (qui n'avait pas encore la sinistre réputation dont il ne s'est jamais défait) Il trouva à ce lieu d'innombrables vertus. Il fut, en revanche, déçu par New York aux rues alors mal pavées et à l'aspect monotone....  S'il constate sans porter de jugement la passion de faire fortune des habitants du pays on est quelque peu surpris qu'il admire la pureté des moeurs qu'engendre à son avis cette obsession du gain. Ses pérégrinations le conduisent dans des régions souvent d'une beauté chavirante mais où règne une brutalité qui ternit son enthousiasme. S'il décrit brièvement le sort de quelques esclaves noirs il est surtout ulcéré par les conditions de vies criantes d'injustice imposées aux tribus indiennes. Considéré souvent comme un surdoué de la scène, Xavier Gallais transmet ce texte avec une pétulance qui rappelle que son auteur était à l'époque où il envoya ces missives encore palpitant de jeunesse.

Lorsque William Faulkner vient en 1925 s'imprégner de l'air de Paris il est, lui aussi, encore un jeunot.
Impossible de deviner à travers les lettres divertissantes qu'il expédie aux siens l'enfer que sera sa vie auprès d'une femme portée, comme lui, sur la boisson. Le Paris qu'il découvre - même s'il est illuminé par la présence  de Josephine Baker, Picasso, Gertrude Stein, Cocteau, Max Jacob et de nombreux américains venus s'y'encanailler- a encore du mal à cicatriser les plaies laissées par la Grande Guerre. Dans les restaurants qu'il fréquente on sert du lapin de gouttière c'est à dire du chat... L'Angleterre, où il fait un séjour, lui fait une impression carrément désastreuse. C'est Olivier Brunhes,  épaulé par François Peyrony, musicien promis à un bel avenir, qui capte avec subtilité les humeurs du futur auteur d'Absalon, Absalon.

La comédienne et écrivaine Véronique Olmi lit, pour sa part, d'une voix prenante l'adaptation réalisée par Michèle Fitoussi des  lettres de la romancière Carson Mccullers dont il est inutile de rappeler combien son talent en impose. Plus que son oeuvre elle évoque celui avec lequel elle aura vécu 18 ans durant  un fol amour : Reeves Mccullers auquel elle fut mariée deux fois.  L'éblouissement que sa beauté suscita en elle à leur première rencontre jamais ne la quitta. Lorsque devenu une épave alcoolique il mit un terme à sa vie elle garda dans les replis de sa mémoire l'image, dont elle était la seule  à se souvenir, de celui dont les traits l'avait enflammée. Les mots ici nouent la gorge.

C'est  Pio Marmaï, acteur généralement happé par le cinéma qui balance, sous la direction affûtée de Richard Brunel, des textes écrits par le journaliste et inapaisé chronique qu'était Hunter Thompson. Bien  que passionné d'armes à feu, il  professait le plus profond mépris pour ceux qui s'en servent en prenant des humains pour cibles, La mesure n'étant pas son fort Hunter inventa une forme de journalisme insolent et subjectif qui lui valut une gloire dont il n'avait rien à foutre. Ses articles étaient des festivals d'uppercuts verbaux. Ainsi il  ne se priva pas de dénoncer la félonie de Richard Nixon ni à la mort de John Wayne de dire tout le mal qu'il en pensait. Si cette lecture nous laisse sonné c'est évidement grâce au comédien et à celui qui l'a dirigé mais aussi à Jean-Philippe Minart et Serge Sandor qui ont tiré de ces écrits une matière qui en ces temps de déploration fait plaisir à entendre. Mais ne nous laissons pas bercé par l'illusion que  le monde d'hier était plus vivable que le nôtre. Moralement et politiquement ravagé Thompson a devancé l'appel peu après le 11 septembre 2001.

Le festival se poursuit jusqu'au 7 juillet. Le moins qu'on puisse dire est qu'il affiche déjà un beau bilan

Tel 04 75 46 55 83  

vendredi 28 juin 2013

Coco perdu de Louis Guilloux

Ecrivain discrètement majeur, Louis Guilloux (1899-1980) mit la dernière main à son roman "Coco perdu" deux ans avant de trépasser. Puisant au plus intime de son expérience il décrit un homme tout ce qu'il y a d'ordinaire qui, après avoir accompagné à la gare sa femme désireuse de revoir Paris, laisse quelques jours durant dériver son esprit. Le comédien Gilles Kneusé a adapté ce texte dont il est, à juste titre, fou pour la scène et le joue (à merveille)  dans une mise en scène qu'il a conçue avec Thierry Laval.

Le bonhomme retourne dans leur maison, s'y morfond un peu, se rend dans un restaurant où il a ses habitudes,  s'adresse à son voisin de table, se décide à aller boire un coup au bistrot, retourne dans la brasserie du bourg, invite une serveuse à partager son repas. Celle-ci accepte et va s'asseoir à une table située derrière la sienne. Un type démuni  lui demande quelques sous il  les donne et lui caresse le visage en l'appelant "frère"

Plutôt que de se laisser noyer dans son naufrage domestique, notre quidam tend l'oreille, observe ceux qu'il croise, laisse émerger des images de son passé. Il sait que sa vie a basculé, que ce basculement est sans retour. Passé et présent peu à peu se juxtaposent. Il est en proie à la mélancolie, mais une mélancolie retenue. Ce qui a pour effet que son charivari intérieur, les mots qu'il s'adresse ou qu'il adresse à d'autres  peuvent sembler familiers à chacun d'entre nous.

Le bel écrin qu'est la bande son créée par Pipo Gomes rend particulièrement attachante  cette errance dans une ville de province dénuée de pittoresque et dans les méandres de la mémoire.

Jusqu'au 31août Lucernaire 21h tel 01 45 44 57 34

vendredi 7 juin 2013

Demain il fera jour de Henry de Montherlan

Michel Fau s'écarte cette fois des personnages d'une aguichante extravagance ou de meneuse de revue qui ont fait son succès. Dans "Demain il fera jour", une pièce que Montherlan écrivit en 1949, à une époque où le public  appréciait peu d'entendre évoquer  ceux qui durant l'Occupation avaient eu peu scrupules à exercer de rentables activités, il incarne un homme dont le fond sombre constamment apparaît. On connaît l'attrait de  ce comédien de très haut vol  pour les versants les plus noirs de la nature humaine.Sans doute n'avait-on pas vu pareille pourriture depuis celle que campait Noiret dans le film Coup de torchon de Tavernier ou Michel Galabru dans Uranus de Claude Berri
Familier d'une langue ourlée, la grand bourgeois George Carrion a manifestement assidument fréquenté les salons. Ce qui lui permet de prétendre à sa femme pantelante d'amour pour son fils unique, comme à ce dernier qu'il n'est  habité à leur égard que d'intentions louables. Il en arrive même à dire à ce garçon de 17 ans qu'il comprend ses sympathies communistes. Il a en réalité tout à gagner à avoir un fils   qui a gagné le maquis. Mais Michel Fau n'est pas comédien à donner à ses interprétation. une couleur unique. Alors qu'il pousse au pire des périls  celui qu'il considérait jusqu'à présent comme son bâtard on devine en lui la peur de le perdre.
Un décor à la rampe qui nimbe de lumière les visages rappelle que cette pièce appartient à un temps révolu. Si Michel Fau a trouvé en Léa Drucker une partenaire honorable, il nous faut  surtout applaudir les costumes de David Belugou, le décor de Bernard Fau et les maquillages de Pascale Fau
L'Oeuvre tel 01 44 53 88 88

jeudi 30 mai 2013

Quand je pense qu'on va vieillir ensemble

Voici plusieurs années que le collectif Chien de Navarre que dirige Jean-Christophe Meurisse épate la galerie. Ses spectacle restent le plus souvent joué peu de temps dans une salle. Averti du  succès que rencontre la troupe  Le théâtre des  Bouffes du nord a accueilli sa dernière création "Quand je pense qu'on va vieillir ensemble" pour une durée plus longue. Et le triomphe  fut au rendez-vous.
Les premières séquences sont, de fait, on ne peut plus divertissantes. Entretiens d'embauche et castings en tous genres où des disons responsables d'un entrain exaspérant mettent à mal des candidats d'une maladresse désarmante. Alors qu'ils les acculent dans les cordes, les embaucheurs  coulent  fortes sourires à des bonshommes et bonnes femmes à la recherche frénétique d'emploi.  Il leur arrive, qui s'en étonnera?, d'exercer sur eux un sadisme à peine déguisé. Tout cela serait désopilant si les  sans emplois n'étaient  aujourd'hui pas réellement contraint de courber l'échine devant ceux qui sont censés les sortir de la mouise. Le rire que provoque ces scènes est donc souvent crispé.
Les comédiens pour la plupart s'autodirigent. Les répliques qui fusent changent d'une représentation à l'autre. Et sont quelquefois extrêmement drôles. On déplore néanmoins que le  maître d'oeuvre n'ait pas sabrer quelques scènes dans la dernière partie. Les moments où un comédien (par ailleurs doué d'un extraordinaire don de présence ) joue avec son sexe sous l'oeil étonné et gourmand d'une partenaire, elle aussi, comme elle l'a montré par ailleurs interprète de qualité, sont d'une longueur assez lassante
Du 19 au 21 août Festival d'Aurillac
Les 10 et 11 octobre Théâtre du Gymnase Marseille
Une foule de dates suivront

samedi 11 mai 2013

Oblomov de Ivan Alexandrovitch Gontcharov

Oblomov, descendant d'une famille de la noblesse russe mène une existence  retranchée, on pourrait même carrément dire assoupie.Il passe, c'est vrai, le plus clair de son temps  réfugié dans le sommeil. Ses songes le ramènent à Oblomovska, la maison de son enfance dont  le metteur en scène Volodia Serre a eu l'heureuse idée de faire découvrir l'aspect cossu et les proportions appréciables dans un film vidéo projeté en fond de scène. Zakhar qu'il appelle dès qu'il ouvre l'oeil est sa seule compagnie, son souffre douleur mais surtout une sorte de nounou qui est à ses côtés depuis qu'il est né. Ces deux hommes qui ne cessent de s'asticoter visiblement s'adorent.  Stolz, un ami de jeunesse, venu rendre visite à Oblomov va employer toute son énergie qu'il a importante à tenter de le ragaillardiser. On apprend ainsi qu'avant de vivre étendu sur son canapé rideaux tirés le bonhomme débordait de vitalité.

A Stolz, incarnation de l'homme nouveau, qui lui vante les vertus d'une vie hyper-active, Oblomov n'a aucun mal à lui en démontrer l'inanité. Cette discussion raisonne avec une singulière force à une époque, comme la nôtre, où l'impératif de réussir  a pris des proportions si effarantes. Seule le fera sortir de son inertie résolue et lui mettra le coeur à vif, l'apparition de Olga Sereïevna. Entonnant d'une voix qui lui met les larmes aux yeux Casta diva, sublime aria tiré de la Norma de Bellini, la jeune fille lui apparaît, - comme le personnage de l'opéra - capable  d'adoucir ses tourments. Ce qui est évidement démesuré.

Créée par Ivan Alexandrovitch Gontcharov (1812 -1891) le contre - héros  Oblomov est devenu une figure incontournable de la littérature russe, une sorte d'incarnation de ce que l'on appelle l'âme slave. Comme le feront les personnages de Tchekhov (qui avait pour son aîné une immense admiration) Oblomov rêve davantage sa vie qu'il ne la vit. On se souvient que les Trois soeurs rêvent d'un Moscou qui n'existe que dans leurs souvenirs.

Volodia Serre a su pousser les comédiens au meilleur d'eux-mêmes. Guillaume Gallienne impose un Oblomov d'une saveur exceptionnelle. Son jeu aux ruptures toutes en finesse est celui d'un immense interprète.  Yves Gasc, revenu jouer au Français dont il fut l'un des acteurs phares, compose un Zakhar d'une truculence égale à celle de son "maître". Quant à Marie - Sophie Ferdane, qui a la tâche difficile de jouer une femme de rêve mais aussi un être d'une implacable lucidité, elle est d'une prestance qui ne peut s'oublier.

Jusqu'au 9 juin Théâtre du Vieux Colombier tel 01 44 39 87 00/01

mercredi 1 mai 2013

Iphis et Iante d'Isaac de Benserade

Créé en 1634 à l'Hôtel de Bourgogne érigé à l'initiative du peu saint homme mais esprit puissant qu'était Richelieu, Iphis et Iante est l'une des quatre pièces que fourbit à 24 ans Isaac de Benserade qui devint  ensuite poète et rentra à l'académie française. Mis au courant de l'existence de cette oeuvre écrite alors que Corneille faisait ses gammes, par des spécialistes du théâtre des débuts du 17e siècle, Jean-Pierre Vincent prit avec d'autant de plaisir l'initiative de la mettre en scène qu'elle pouvait être jugée malséante.
Jugez en : née fille alors que son père voulait à tout prix un garçon Iphis grandit déguisée par les soins de sa mère en garçon. Son cas se corse quand à l'adolescence le pseudo jeune homme s'éprend de l'avenante Iante. Laquelle trouve la situation à son goût.

Balançant constamment entre la comédie de moeurs et le drame fantastique le texte fourmille de retournements de situations. D'autant que pantelant d'amour un jouvenceau prénommé Ergaste poursuit Iphis de ses assiduités... Joué avec malice  par des comédiens aguerris tels que Charlie Nelson et Eric Frey et des acteurs récemment sortis de l'école du Théâtre National de Stasbourg, le spectacle bénéficie aussi des talents de Bernard Chartreux et de Jean-Paul Chambas fidèles dramaturges et scénographes des créations de Jean-Pierre Vincent Si la pièce, à en croire le metteur en scène se perdait parfois en afféteries, il a eu l'ingénieuse idée de lui donner quelques coups de rabots. Le résultat est savoureux. Il ne plaira, on s'en doute, que médiocrement aux culs bénis qui viennent de faire des leurs.

On imagine sans mal combien le maître d'oeuvre s'est plu à montrer que transformée par les soins d'une déesse en mâle Iphis fait montre d'une vanité confiante annonciatrice d'un machisme décomplexé (un terme dont  certains hommes politiques se gobergent si volontiers)
Jusqu'au 6 mai Théâtre Gérard Philipe tel 01 48 13 70 00  

mercredi 17 avril 2013

Huis clos de Jean Paul Sartre

Relégué au purgatoire depuis quantité d'années le théâtre de Sartre n'est pas aussi daté qu'on le prétend. Même si certaines de ses pièces telles que La putain respectueuse ou Morts sans sépultures pèchent par un manichéisme trop résolu. Il en va tout autrement de Huis clos où un homme et deux femmes se retrouvent après leur mort dans une chambre surchauffée et ne tardent pas à se prendre de bec. Le climat d'inimitié qui règne entre eux se détériorera davantage encore quand chacun recomposera son passé  et offrira aux deux autres une image avilie de lui- même. Ils ne tardent pas de constater que s'ils se trouvent réunis c'est qu'ils possèdent la faculté d'être le bourreaux les uns des autres.
Qui ne se souvient de la fameuse phrase "l'enfer c'est les autres "? Elle est pourtant difficile à généraliser. Les trois personnes contraintes de partager un lieu sans charme ont été choisies car elles n'ont aucune affinités. Il serait plus juste de dire "l'enfer c'est l'éternité".  Le grand fleuve du temps s'est figé
Agathe Alexis qui assure la mise en scène et interprète la vindicative Ines a eu la riche idée de concevoir une mise en scène bi-frontale. Ce qui permet de ne pas se sentir à l'étroit comme le trio de malheureux qui prennent conscience de l'adversité de leur sort. L'excellence des acteurs est pour beaucoup dans la réussite de la représentation. Anne Le Guernec est avec conviction une bourgeoise aussi coquette que sans scrupules. Bruno Boulzaguet, le seul que n'a pas attenté à la vie de quiconque a la partition la plus difficile. Dont il se sort avec panache.
On peut parler à propos de Huis-Clos de chef d'oeuvre intemporel. Les nombreux lycéens qui assistaient au  spectacle sont arrivés  en se lançant des vannes. Quand les acteurs se sont pointés ils sont, jusqu'au bout, restés coi.La preuve que sous la direction d'Agathe Alexis et Alain Alexis Barsacq la pièce développe toute son insolite puissance.
Jusqu'au 12 mai Théâtre de l'Atlante tel 01 46 06 11 90

samedi 13 avril 2013

La ronde de nuit par le Théâtre Aftaab

Le Théâtre Aftaab a vu le jour à Kaboul il y a quelques années à l'issue d'un stage organisé dans la capitale afghane par Ariane Mnouchkine et des membres de sa troupe. Il parcourt depuis des régions épargnées par la montée du despotisme religieux. Le  Théâtre du Soleil, qui fait un peu figure de grand frère, accueille aujourd'hui "La ronde de nuit", sa dernière création collective que met en scène Hélène Cinque.

Nader vient de trouver un emploi de gardien de nuit dans un théâtre désaffecté. Les premières heures qu'il va y passer seront agitées. Ce seront d'abord quelques habitués du lieu qui surgiront de l'obscurité ensuite un cortège de sans papiers originaires, comme lui, d'Afghanistan que le froid polaire a poussé à chercher un refuge. Durant quelques heures ces hommes et ces femmes vont évoquer leurs trajectoires semées d'embûches, être assaillis par des peurs archaïques, avoir le sommeil troublé par l'apparition fantasmée d'une belle de nuit. Il est clair que de nombreuses scènes ont jaillies des effluves de la mémoire des acteurs. Certains entonnent aussi -et cela à notre plus vif bonheur - des chants aux accents séculaires. Quand le jour pointe tous reprennent leur baluchon.

Bien que le propos du spectacle soit loin d'être réjouissant, l'humour constamment pointe. Grâce à "Skype" Nader est en contact fréquent avec sa famille. Les scènes où bousculant sa belle-fille, sa mère se met devant l'écran sont hilarantes mais en disent aussi long sur les  traditions  familiales 'encore bien ancrées dans d' innombrables contrés de la planète. Nader et sa femme sont  à l'évidence épris l'un de l'autre mais  ont le plus grand mal a tenir les parents de l'homme  à distance.

Parlé tantôt en français, tantôt en perse (traduit en surtitres) le spectacle est truffé de scènes dont le pouvoir d'attraction ne trompe pas. On y reconnait, en effet, la griffe si talentueuse de Mnouchkine.
Bien que  par moments un brin maladroit et  naïf ce jeune théâtre afghan nous procure un plaisir qu'on ne peut qu'invité à partager.

Jusqu'au 28 avril Théâtre du Soleil Cartoucherie de Vincennes tel 01 43 74 24 08
   

mercredi 10 avril 2013

Les revenants d'Henrik Ibsen

Comme grand nombre d'écrivains et de cinéastes nés dans les contrées  du nord de l'Europe - citons parmi eux Stig Dagerman, Dreyer, Bergman mais aussi nos contemporains Lars Nören et Jon Fosse- Ibsen n'a eu de cesse d'explorer les abimes de l'âme ou si l'on préfère de la psyché. C'est peut être dans sa pièce "Les revenants" qu'il approche de plus prés les tumultes intérieurs de ses personnages.
La veuve Alving qui a recueilli Régine, la fille du menuisier du village, reçoit  pour un temps indéterminé la visite d'Osvald,  son fils, parti faire une carrière artistique et mené une vie de patachon à Berlin.  L'arrivé au même moment du pasteur Mandres avec lequel elle entretient depuis de nombreuse années une relation complexe va la pousser à repêché dans les tréfonds de sa mémoire des souvenirs cuisants. En quelques heures les évènements vont se précipiter et chacun aura à se battre contre des fantômes dont il ignorait la présence et le pouvoir.  La violence pulsionnelle de l'honorable veuve et de ceux qui l'entourent laissera le spectateur - tout informé qu'il puisse être de nos assujettissements à des forces inconscientes - interdit.
L'allemand Thomas Ostermeier, qui a su avec constance rénové les canons de la mise en scène, fait montre quand il se mesure à Shakespeare d'une virtuosité époustouflante, quand il s'attaque à Ibsen d'une profondeur de vue qui nous fait découvrir combien l'univers de cet auteur trouve des résonances en nous. Il a pu, c'est clair,  disposé de larges moyens financiers. Qu'il a utilisé à bon escient. Son spectacle scintille d'instants magnifiques. En priorité ceux où Valérie Dréville et Eric Caravaca forment le plus monstrueux et irradiant des couples mère-fils.
Cette adaptation modernisée par Ostermeier lui même et Olivier Cadiot est créée au Théâtre Nanterre - Amandier  dont Jean-Louis Martinelli, le directeur, vient d'être remercié par la ministre de la Culture. Sans doute ignore t'elle qu'il est, entre autres qualités, l'un des rares metteurs en scène placés à la tête d'un théâtre de la banlieue parisienne dont la programmation concerne autant les populations qui vivent au delà du périphérique que les parisiens...
Jusqu'au 27 avril Théâtre Nanterre-Amandier  tel 01 46 14 70 00

samedi 30 mars 2013

Solness le constructeur d'Henrik Ibsen

Alain Françon aime explorer divers pans de l'oeuvre des auteurs dont il se sent proche. A savoir Edward Bond, Tchekhov et Ibsen. C'est apparemment quand il se mesure à ce dernier qu'il est à son meilleur. Le constructeur Solness est un homme à qui tout semble réussir. Pourtant, comme Aline, sa femme qui, elle, ne masque pas sa dépression, il est manipulé par des ombres. Depuis l'incendie de  la maison où ils vivaient, et dans laquelle elle a grandi, chacun est persuadé que l'autre est fou.
L'arrivée de Hilde, une jeune fille exaltée que Solness a connu quand elle était une enfant va pousser le constructeur à évoquer des souvenirs qu'il gardait comprimés en lui. Il ne tarde pas à l'entraîner dans la sinuosité de sa pensée. S'il semble au départ tourmenté de remords il reconnaît vite qu'il n'en est peut être rien. La vision qu'a Hilde du grand homme s'altère quand elle découvre qu'il entretient une relation d'une foncière  perversité avec son dessinateur et qu'il est incapable de monter au somment d'une tour qu'il a fait bâtir. C'est un exploit semblable réalisé autrefois sous ses yeux qui l'avait rendu amoureuse de lui.
On retrouve des thèmes présents dans "Hedda Gabler "et "Le petit Eyolf",  les deux pièces d'Ibsen déjà montées par Françon. Le mal de vivre d'Aline est aussi ravageur que celui d'Hedda. Comédienne dont on admire souvent la virtuosité, Dominique Valladié n'en use pas mais  fait ressentir comme personne le tragique qui habite les deux femmes. La maison dont  Solness est le maître d'oeuvre possède trois chambres d'enfants alors qu'il n'est, apparemment père d'aucun Qui a vu le petit Eyolf se souvient que cette pièce tourne, elle également, autour d'un petit fantôme.
Comédien d'un talent bien trempé, Vladimir Yordanoff donne à cet homme las de lui même et qui croit avoir trouvé l'occasion de renaître qu'est Solness une densité prodigieuse. Face à lui Adeline Dhermy, qui démarre en trombe une carrière qu'on pressent  d'une forte singularité apparaît comme  une figure tout ensemble solaire et menaçante.
Si Ibsen et Françon font si bon ménage c'est vraisemblablement parce  qu'ils sont tous deux fascinés par le caractère abyssal de nos ténèbres.
Jusqu'au 25 avril La Colline - théâtre national tel 01 44 62 52 52

mardi 26 mars 2013

Le prix Martin d'Eugène Labiche

On peut être surpris que Peter Stein réputé pour avoir prodigieusement mis en scène des écrivains tels que Tchekhov, Von Kleist, Goethe ou  Botho Straus, avec lesquels  il se sentait en résonance profonde,  se frotte aujourd'hui à une pièce de Labiche. C'est ignorer -  comme je le faisais-  qu'il  a jadis monté en allemand La cagnotte du même auteur. Plutôt que de dépeindre, comme il est d'usage,  des  personnages un peu vains entraînés dans un tourbillon de quiproquos, il décrit avec une suave férocité la  bourgeoisie pantouflarde de la fin du XIXe siècle.
Martin passe le plus clair de son temps à jouer aux cartes avec son meilleur ami. Son épouse  a un amant qui lui chamboule le coeur. Un cousin arrivé d'Amérique latine, qui se prétend roi d'un peuple indien inconnu au bataillon, joue les farauds. Le domestique rappelle, quant à lui, constamment au maître de maison qu'il est son frère de lait. Le scandale éclate quand l'immensément naïf Martin a la révélation de son infortune.
L'intérêt de cette pièce, l'avant dernière de Labiche, est qu'elle fait se croiser des jeunes mariés dont les hormones ne cessent de prendre feu, une femme d'un âge plus avancé que son insatisfaction sexuelle jette dans les bras du premier homme qui lui déclare sa flamme et deux hommes au seuil de la vieillesse qui découvrent la force de leur amitié.
La réussite de spectacle tient pour l'essentiel à la subtile direction d'acteurs de Peter Stein. Sous sa férule attentive Jacques Weber se montre d'une cocasserie inattendue.  Laurent Stocker et Jean-Damien Barbin y vont de tout leur talent. Ils entraînent sans mal dans leur sillage les jeunes Rosa Bursztein, Manon Combes et Julien Campani Et les répliques au rasoir de faire constamment mouche.
Jusqu'au 5 mai Théâtre de l'Odéon tel 01 44 85 40 40

 

vendredi 22 mars 2013

Cri et Ga cherchent la paix de Philippe Minyana

On a connu Philippe Minyana plus sombre. Lui qui cultive, non sans malice, le plus noir des pessimismes nous offre, cette fois, une pièce rassérénante. Cri et Ga sont deux potes qui découvrent un lieu de rêve, se goinfrent de fruits, vomissent tripes et boyaux puis entament une promenade d'un fragment de mémoire à l'autre. Ce voyage les mènent  d'un musée où une peinture d'Ucello les laisse médusés à un village où Ga se livra autrefois  à de réjouissants jeux sexuels. Au cours de leurs pérégrinations ils croisent un neveu dont le mari a mis les bouts, des femmes à barbe qui prétendent être des parentes de Cri, une vieille connaissance qui a la réputation d'être la reine de la paupiette...  Il arrive aussi que des fantômes viennent à leur rencontre.
Comme toujours chez cet écrivain éminemment recommandable qu'est Minyana la mort rôde. Mais elle ne crée pas d'effroi. Les deux compères  rendent visite à une vieille femme dont la vie touche à sa fin. Qui sera sereine. Cri et Ga peuvent poursuivre leur route paisiblement Ils ont appris que la mort peut être douce et savent dorénavant  qu'ils ont trouvé dans l'autre l'âme soeur.
On devine dès le départ que le metteur en scène Frédéric Maragnani se sent dans cet univers comme un poisson dans l'eau.  Son spectacle d'une foisonnante richesse  est interprété avec un joyeux entrain par Christophe Huysman (qui pousse délicieusement la chansonnette) et Gaëtan Vourc'h pour lesquels l'auteur l'a manifestement écrit. Marion Camy-Palou, Juliette Savary et Moustafa Benaïbout,  jouent d'aussi  savoureuses façon que les "héros" de cet hymne à l'amitié  les  multiples personnages qui jalonnent leur parcours.
Jusqu'au 28 avril Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21

mardi 19 mars 2013

Le couloir des exilés Texte de Michel Agier et Catherine Portevin

Le couloir des exilés dont il est ici question n'a pas de sortie. Il est celui où se trouvent faits comme des rats ceux que les convulsions politiques ou religieuses ou tout bonnement la misère ont jetés sur les routes qui mènent à des contrées florissantes. Où  la montée de  la précarité et la vulgate économique du  moment transforment les migrants en indésirables. Au début c'est l'écrivain afghan Atiq Rahimi qui détaille sa trajectoire. laquelle en dit long sur l'inhumanité de nos temps. Par les voix de l'acteur Marcel Bozonnet et et de la chanteuse Nawel Ben Kraiem d'autres récits surgissent tout aussi accablants.
Le texte du spectacle a été remodelé à partir d'un essai de l'anthropologue Michel Agier. Ce travail, qu'on ne  peut que trouver magistral car évitant  tout apitoiement il est d'une rigueur qui enchante, a été accompli par la journaliste Catherine Portevin et l'auteur lui même.  Une citation de Kafka et un extrait  du roman de Marie NDiaye "Trois femmes puissantes" où une jeune réfugiée africaine qui après d'aberrantes péripéties découvre soudain qu'elle en a fini avec la vie, élargissent davantage encore le propos.
Le visage maquillé de bleu Marcel Bozonnet dont la vie de comédiens est marquée par l'interprétation de prodigieux monologues incarne ces innombrables humains qui arpentent le monde sans avoir l'opportunité de se fixer. Sans presque s'arrêter il parcours en courant un couloir inhospitalier au bord duquel les spectateurs ont pris place. Sa route sans fin est parsemée de quelques objets nécessaires à sa survie. Sa prestation est de celles qui ne peuvent s'effacer de la mémoire. La scénographie de Renato Bianchi, les photographies de chercheurs d'asile de toutes origines réalisées par Sara Prestianni comme la présence de la vidéo proposée par Judith Ertel et Pierre Hubert concourent à ce que les destins évoqués inspirent, comme l'écrivit Primo Lévy, la honte d'être un homme.
Jusqu'au 22 mars Maison de la culture d'Amiens tel 03 22 97 79 77
Une tournée on l'espère conséquente est prévue la saison prochaine

mardi 26 février 2013

Visite au père de Roland Schimmelpfennig

Une toute jeune fille tente sans succès de changer l'image d'accueil de son portable. Celle d'un phare qui ressemble à s'y méprendre à un mirador. Lequel fait - puisqu'on est en Allemagne - immanquablement songer aux camps d'extermination. Auteur dramatique prolifique, Roland Schimmelpfennig avait à peine vingt ans lors de la chute du mur en 1989. Il n'exige donc pas de ses ainés  comme le faisait par exemple Fassbinder, qu'ils avouent avoir été complices de l'abomination que l'on sait. Il est, en revanche, convaincu que l'air restera à jamais irrespirable.  Si un canard sauvage abattu par un personnage de la pièce risque d'être porteur de la grippe aviaire il s'agit bien sûr d'un clin d'oeil à nos temps pollués mais aussi du rappel que la nature autrefois tant exaltée empeste la mort.
La vaste propriété qu'on devine décatie, où une violence d'abord sourde finit par jaillir,  est d'ailleurs surnommée par un membre du groupe "le caveau de famille". Un garçon de 20 ans à l'esprit à l'évidence irrespectueux y fait irruption. Il serait le fils venu du lointain  à pied  du seul mâle de la maison. Sa présence va mettre le feu aux poudres. Mais la psychologie est fort heureusement la grande absente des féroces joutes orales et physiques qui se déroulent sous nos yeux. Les personnages sont tous nimbés de mystère. Seule une amie venue en visite, visiblement originaire de la partie du pays qui fit partie du bloc communiste, dévide des souvenirs qui en disent long.
La haine que voue le "père" à l'ancienne puissance dominante se traduit par un rejet souvent cocasse de la littérature russe. Ce qui est d'autant plus ironique que cet homme, qui se montre tantôt fragile, d'autres fois, quand il met en acte son angoisse, d'une menaçante véhémence, semble droit sorti d'une oeuvre de Tchekhov.  Comme lui chacun des comédiens bénéficie d'une partition nuancée à l'extrême. Dirigés avec une intelligence peu commune par le jeune metteur en scène Adrien Béal, ils composent des personnages nimbés d'un fascinant mystère. L'écrivain émérite qu'est Schimmelpfennig a eu la superbe idée de faire dialoguer chacun tantôt avec un partenaire, tantôt avec lui même.
Etrenné au théâtre de Vanves et aujourd'hui à l'Echangeur de Bagnolet (il s'agit des deux salles de la région parisienne dont la programmation est la plus sûre) cette Visite au père mérite largement d'être poursuivie.
Jusqu'au 10 mars L'ECHANGEUR à Bagnolet (métro Gallieni) tel 01 43 62 71 20  

samedi 16 février 2013

Les tribulations d'une étrangère d'origine d'Elisabeth Mazev

La comédienne Elisabeth Mazev se remémore les images qui ont pris place dans sa mémoire de l'âge de trois ans à aujourd'hui. Fille d'émigrés d'opinion bulgares, elle entendit constamment évoquer le paradis perdu du pays natal des siens où elle se rendit pour la première fois lorsqu'elle était une enfant de dix ans. Elle avait avant la découverte de la terre des ancêtres eût la visite d'une grand -mère dont la parole caressante l'avait bercée. De ce premier voyage elle garde essentiellement le souvenir de la rencontre avec ses cousines jumelles avec lesquelles elle restera liée et des agapes si abondantes qu' au grand dam de ses parents, elle revint en France le visage et la taille sérieusement enrobées.
Ses pérégrinations suivantes furent moins réjouissantes. Le pays s'était ouvert à l'économie de marché.Les natifs étaient passés maîtres dans l'art de plumer les touristes fussent-ils originaires de l'ancienne patrie du bonheur obligatoire. Elle eût aussi la déplorable idée de faire venir celui qui était son mari et sur lequel la société dont elle était issue provoqua une cocasse répulsion. Le surgissement des maffias et le défilé des filles sans le sou qui se vendaient pour quelques devises étrangères sont des phénomènes connus. Le reproche qu'on peut adresser à ce récit des liens qui unissent la comédienne au pays dont étaient issus ses parents et dont ils conservèrent la nostalgie est qu'il ne dépasse pas les idées toutes faites.
Elisabeth Mazev plante sur sa tête de divertissantes perruques, pousse délicatement la romance bulgare, fait montre,  d'un tempérament d'une prodigieuse richesse mais même si l'on sait pertinemment que pour ce qui est de la vérité des faits on repassera, on aurait apprécié que l'émotion ne soit pas aussi absente de cette somme de souvenirs. Cela d'autant que dans "Mémoires pleines" publiées aux Solitaires Intempestifs qui est à l'origine du spectacle les détails qui font vibrer sont légions;
Jusqu'au 2 mars Théâtre Ouvert tel 01 42 55 74 40

Les tribulations d'une étrangère en France de Elisabeth Mazev

mercredi 13 février 2013

Les criminels de Ferdinand Bruckner

Sous l'intrigue des Criminels de l'autrichien Ferdinand Bruckner (1891 - 1958) s'annoncent les fantômes de chefs d'oeuvre tels que "Les Légendes de la forêt viennoise" de Odön von Horvath et de l'oeuvre  majeure du cinéaste  Visconti "Les Damnés". Si les personnages ici présents ne vivent pas dans le luxe éclaboussant de la famille d'industriels qui peuplent le film, ils vivent, comme eux, dans la fétidité morale. Tous habitent le même  immeuble et ont un vernis social qui, quand il se fend laisse apparaître un très sérieux  penchant au mensonge, à la lâcheté, à la corruption et au crime.
On reconnaît sans mal l'Allemagne des années vingt en route vers l'abîme. On trouve parmi ces hommes et femmes qui survivent au coeur d'un effarant chaos géopolitique un serveur à l'assurance un peu gouape et aux besoins sexuels inapaisables, une femme que la jalousie mène à d'inimaginables extrémités, des fils indignes, un couple dont la rudesse des temps aura raison et aussi, ce qui est à l'époque pas croyable, un jeune homosexuel qui se considère comme un paria mais tente de vivre sa vie. Des procès menés par des juges et avocats incompétents ou malhonnêtes dévoileront la folie dormante de l'ordre établi.
Il était nécessaire pour interpréter des personnages qui se débattent dans une société sous aussi haute tension des comédiens d'une forte identité. Ce qui est le cas de Claude Duparfait, Mathieu Genet, Laurence Roy, Valérie Laroque, Angélique Clairand, Thibault Vinçon et leurs nombreux partenaires. Grâce au metteur en scène Richard Brunel et à l'admirable traduction de Laurent Muhleisen cette pièce développe toute son impressionnante puissance.
Jusqu'au 2 mars Théâtre National de la Colline tel 01 44 62 52 52   Du 13 au 15 mars Théâtre national de Toulouse Du 27 au 28 mars Comédie de Clermond- Ferrand DU 4 au 12 avril Théâtre du Nord Lille

mercredi 6 février 2013

Inventaires de Philippe Minyana

Vingt six ans après sa création cette pièce qui lança la carrière de Philippe Minyana est remise sur le métier par la même équipe de comédiennes (Judith Magre, Edith Scob, Florence Giorgetti) que dirige Robert Cantarella, le metteur en scène qui les avait rassemblées. Les coups de râteau n'ont pas été épargnés aux  trois  femmes qui participent au marathon de la parole , une émission grand public au cours de laquelle elles racontent des fragments d'un passé enseveli. Leurs épanchements verbaux sont régulièrement interrompus par l'animateur de l'émission. Ce qui ne semble guère gêner ces dames dont le verbe parfois à la limite de l'obscène est pur délice.
Minyana s'est inspiré pour esquisser  le portrait ces bonnes femmes (pour reprendre le titre d'un film particulièrement réussi de Claude Chabrol) de personnes qu'il a côtoyé et dont il a évidement modifié le caractère et le parcours.  Quelle que soit sa déroute, aucune jamais ne geint. Leurs paroles affranchies les aident visiblement à passer à pertes et profits les coups de semonces de l'existence.
Chacune se pointe  avec  un objet (un lampadaire pour l'une, une cuvette pour une autre, une robe aux couleurs stridentes à la mode du début des années cinquante pour la troisième) qui fait remonter des grands fonds un flot de souvenirs. Surgissent ainsi d'une fourmilière d'anecdotes un mari cogneur, un autre militant politique portugais réfugié en France, des enfants volatilisés, une tuberculose qui a pu être soignée...
A sa création  ce spectacle avait ébloui par la virtuosité dont faisaient preuve les comédiennes. Aujourd'hui il nous touche au plus profond. La pièce n'a , il est vrai, pas pris une ride et les interprètes sont si délectables qu'on serait tenté de conseiller aux apprentis comédiens d'aller découvrir de quel bois elles se chauffent.
Jusqu'au 24 janvier Théâtre de Poche Montparnasse tel 01 45 44 50 21

mercredi 30 janvier 2013

La réunification des deux Corées de Joël Pommerat.

Une femme demande le divorce car elle ne veut plus mener une vie ordonnée mais sans amour. Une autre quitte l'homme  qu'elle aime pour la bonne raison que l'amour ne suffit pas. A travers une vingtaine de vignettes qui s'enchâssent Joël Pommerat scrute le comportement d'hommes et de femmes dont la réalité se met soudain à trembler. Comme dans toutes ses créations il s'attache à des personnes dont le langage est celui du quotidien et dont les nerfs sont en déroute. Le jour de ses noces une mariée apprend que son promis a eu une amourette avec chacune de ses quatre soeurs. Un mec vient déranger l'intimité de la femme qu'il quitta dix ans plus tôt et disparaît aussi sec sans que, au grand dam de son nouveau compagnon, son ex y trouve à redire. Une secrétaire somme son patron au jeu souvent trouble de lui dire si profitant  de son sommeil peut être alcoolisé il a couché avec elle. Un curé propose à la prostituée     qu'il veut bouter hors de sa vie de la dédommagée. Elle ne l'entend pas de cette oreille.
Si grand nombre de ces scènes sont d'une causticité qui fait mouche d'autres apportent de perturbantes  lueurs sur l'aventure de nos existences.  Un instituteur est pris à parti par les parents d'un élève pour lequel il éprouve une tendresse peut-être excessive. Rentrant d'une soirée en ville un couple de grands bourgeois accuse la baby-sitter d'avoir fait disparaître les enfants dont elle avait la charge. La malheureuse prétend, elle, que ces enfants n'existent pas. Cette succession de séquence d'une étrangeté intempestive forment un spectacle dont la force d'éblouissement est sans pareille.
Le public réparti sur deux rangées de gradins qui se font face est de bout en bout scotché par ce spectacle ponctué de noirs, bercé tout du long par des musiques choisies avec un goût sûr et dont les neuf comédiens, qui chacun change constamment de peau, jouent avec une force de conviction peu commune.
Jusqu'au 3 mars Théâtre de l'Odéon - Ateliers Berthier tel 01 44 85 40 40

jeudi 24 janvier 2013

Naissance de Julien Guyomard

Pour ses presque débuts dans l'écriture et la mise en scène qu'il signe avec Samuel Vittoz, Julien Guyomard nous introduit au sein d'une communauté d'hommes de la campagne. Une campagne qui ne  donne plus que de maigres  récoltes. Celui qui a  accédé au pouvoir ne tarde pas à se prendre pour une sorte d'augure. Des antagonismes apparaissent. Les bonshommes se trouvent attirés par un fatras de croyances par lesquels on croit rendre une assise au monde. Comme tous ceux qui ont eu leur comptant de frustration, ils s'en prennent à l'un ou plusieurs des leurs lesquels porteraient la guigne.  La petite société, dans laquelle une femme fait une perturbante apparition, file un bien mauvais coton. On ne peut que penser à ces groupes  de plus en plus nombreux d'humains que leur piètres condition d'existence rend si perméables aux idéologies ou croyances meurtrières.
A la génération précédente de jeune auteurs dramatiques caressaient des utopies sociales. On assiste au contraire dans ce texte tout en nerfs et situé à une époque indéterminée à  la peinture d'un monde où la barbarie re-pointe son groin. Le résultat est hypnotisant. Ceux qui sont en quête d'un auteur qui ne mâche pas ses mots mais les laisse jaillir du plus profond de lui et sait s'entouré de complices qui partagent sa démesure intérieur, seront comblés.
Jusqu'au 25 janvier Maison du Développement Culturel de Gennevilliers, 16, rue Julien  Mocquart Genevilliers tel 01 40 85 60 92  

mardi 22 janvier 2013

Sortir de sa mère de Pierre Notte

Assis devant un piano, Pierre Notte pose à sa mère, dont on entend la voix, des questions on peut plus directes sur les sentiments qui l'animent et l'ont souvent fait avaler des couleuvres. Comme à son habitude l'auteur de "Moi aussi je suis Catherine Deneuve" signe les textes, les chansons et la mise en scène du spectacle. Lequel tourne, on ne s'en étonnera pas, autour d'un terreau familial inspiré de celui dans lequel il a grandi. S'il arrive à gommer les origines tourmentées de son oeuvre c'est que son humour résolument gamin met l'émotion à distance.
Cette épopée intime comme l'appelle le sieur Notte a pour personnages centraux une mère atteinte d'Alzeimer, sa fille et son fils. Le paternel a déserté le foyer. Ses enfants  tentent d'être informé sur son compte. Ce qu'ils apprendront ne les rendra pas jouasse. Et surtout risque de créer entre eux un fossé infranchissable. Mais les situations les plus inextricables se terminent immanquablement en chansons chez cet auteur dramatique qui compte parmi les plus originaux apparu ces dix dernières années. Plus hardi qu'il ne l'a jamais été pour ce qui est de l'inventivité langagière, il émaille ses phrases de titres d'oeuvres réputées rappelant ce faisant combien notre mémoire - et notre pensée - est  encombrée de formules toutes faites, parfois succulentes.
Pierre Notte qui, avec des mines de gavroche joue une partition délicate, est entouré de trois jeunes comédiens-chanteurs à la présence tout bonnement exquise : Tiphaine Gentilleau, Brice Hillaret et Chloé Olivères.  Comme les contes  l'histoire - où l'on croise non plus Deneuve mais Elisabeth Taylor -   d'un fils disgracié, d'une fille au tempérament de peste et d'une mère plus clairvoyante qu'on l'aurait soupçonné se termine de joyeuse façon.
Jusqu'au 9 février  18h30 Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21
La chair des tristes culs est joué par la même équipe dans le même lieu à 21H

dimanche 20 janvier 2013

Protée de Paul Claudel

Dieu aussi fantasque que peu sourcilleux sur les moyens d'obtenir ce qui lui chante, Protée  tient prisonnière dans l'île de Naxos la nymphe Brindosier. Fine mouche, celle-ci tente de tirer parti du passage dans les lieux de Ménélas et d'Hélène  à leur  retour de Troie, pour prendre la poudre d'escampette. Elle se fait passer aux yeux de ce grand nigaud  de Ménélas pour la véritable Hélène et persuade cette dernière, que l'évocation de Paris, son défunt amant,  rend toute frétillante, de rester à Naxos auprès de Protée.
Nettement moins tenté par le sacré que dans Le soulier de satin ou L'otage, Claudel se révèle dans cette farce mythologique quasi jamais mise en scène, d'une espièglerie explosive. Son humour culmine dans la scène où s'exprime la rivalité mutine des deux femmes. On est aussi amusé par le ton énergique de la fausse Hélène (Eléonore Joncquez) que par l'allure statufiée  de la vraie (Marie Micla)  laquelle finit par descendre de son socle.
La décapante fantaisie dont fait preuve Claudel a visiblement inspiré Philippe Adrien (qui mit autrefois magnifiquement en scène Le soulier de satin)  dont le spectacle ravi un public qui, malgré les rigueurs de la saison, vient en nombre. Il est vrai que la distribution (laquelle comprend aussi les endiablés Jean-Jacques Moreau, Matthieu Marie et Dominique Gras) tout comme les costumes (signés Elena Ant) sont des régals et que les images vidéos situent cette histoire de fous dans des paysage d'une immuable splendeur.
Jusqu'au 24 février la Tempête Cartoucherie tel 01 43 28 36 36

jeudi 17 janvier 2013

R. & J TRAGEDY texte et mise en scène Jean-Michel Rabeux

Jean-Michel Rabeux est un metteur en scène qui ne se borne pas à renverser les conceptions scéniques  traditionnelles mais a créé un style qui n'appartient qu'à lui. Ce style, il l'a, dans cette oeuvre nouvelle qui ne  renie aucunement  ses origines shakespearienne, superbement affiné. S'appuyant sur le Roméo et Juliette du grand homme et assurément sur ses propres émois de jeunesse il a façonné  un texte qui se situe dans un temps non identifiable. Imprévisible alchimie entre le tragique, le burlesque et le musical, son spectacle fait voir et l'exacerbation des sentiments et le déchaînement hormonal d'une passion adolescente. Laquelle n'est contrariée que par les haines recuites dont se gobergent les adultes qui n'ont pas préservé leur part d'enfance.
Si on retrouve tout au long de la représentation la fougue sanglante de l'âge élisabéthain, une salutaire ironie est aussi constamment de la partie. Il est même des moments d'un comique irrésistible tels ceux où Frère Laurent (délicieux Marc Mérigot) se trompant de flacon met dans la main de l'impétueuse Juliette un poison foudroyant. Chez Rabeux, la nudité des corps rappelle à la fois la venue au monde et notre finitude. Dans une pièce dont les personnages principaux perdent la  vie à peine celle-ci est elle  ébauchée cette nudité s'imposait plus que jamais.
L'auteur - metteur en scène a réuni pour cette production d'une beauté convulsive de jeunes et moins jeunes comédiens et chanteurs qui tous entretiennent un lien à la musique. Si à l'issue de la représentation, qui se donne, c'est heureux, dans une jauge réduite, on se sent un moment délivré du malaise que produit notre régressive époque,  Vilama Pons (Juliette), Sylvain Dieuaide (Roméo), Laure Wolf (Mercutio), Hubertus Biermann (Capulet) et leurs partenaires sont en droit de se dire qu'ils y sont pour quelque chose.
Jusqu'au 29 janvier MC 93 Bobigny tel 01 41 60 72 72

mercredi 16 janvier 2013

La Mouette de Tchekhov

Le début ne laisse rien présager de bon. Un instituteur tient un  discours long et fumeux à la jeune fille qu'il convoite. Le problème est qu'il s'exprime à toute blinde et que le public ne voit que son dos. Impossible dans ces conditions d'entendre un traitre mot. Le public est heureusement happé dans les scènes suivantes au cours desquelles Kostia, fils d'Arkadina, comédienne de théâtre renommée, a monté un texte né de sa plume qu'il fait jouer par Nina, une jeune voisine qu'il chérit. Amoureux des mots, il cherche en matière d'écriture dramatique de nouvelles formes. Ce qui n'est pas du goût de son monstre aimé de mère. La représentation suscite chez elle un enthousiasme des plus mesuré. Ce qui va accroître l'irritable mélancolie de son fils.
On se trouve comme  toujours chez Tchekhov face à des personnages aux vies rétrécies qui ressassent avec une délectation certaine leurs désillusions. Ils ont aussi en commun de n'avoir connu que des passions tristes. Celle de Kostia pour Nina est d'emblée de jeu (c'est le cas de le dire) vouée à l'échec. La jeune fille n'a d'yeux que pour l'écrivain à succès  Trigorine (Christian Benedetti par ailleurs metteur en scène du spectacle),  l'amant de l'égocentrique Arkadina. Tchekhov, on le sait, ne portait pas les célébrités faussement modestes dans son coeur. Le penchant de celle qu'il a élu pour un homme si visiblement désarmé va nourrir à l' égard  de celui-ci l'acrimonie de Kostia.  L'amour immodéré que lui inspire sa mère s'exprime au cours de leur seul face à face. Poursuivi par ses souvenirs, l'auteur en herbe, évoque un temps qui n'est plus et dont Arkadina ne se souvient guère. 
Si quelques comédiens chargent avec trop de méthode leur personnage, on ne peut qu'applaudir la prestation de Jean-Pierre Moulin, qui incarne un vieil homme qui pressent pour Kostia un avenir funeste et n'arrive pas à alerter Arkadina, sa soeur dont le coeur est indifférent mais les comptes bien fournis. Philipe Crubézy compose, pour sa part et de subtile façon  un médecin plus averti des souffrances de l'âme que de celles du corps. Le rôle de Kostia a échu à Alexandre Zambeaux dont la  poignante retenue en dit si long sur la déroute intime de cet enfant d'une civilisation finissante. Christian Benedetti a enfin eu l'heureuse idée de confier le rôle de Nina à Céline Milliat Baumgartner. Le récit nimbé de souffrances qu'elle fait de sa vie est de ces moments qui ne s'oublient pas. 
Du 25 au 27 janvier Scène Nationale de Cavaillon
du 5 au 9 février Théâtre de deux Rives Centre Dramatique régional de Rouen
du 20 au 23 avril Théâtre de l'Ouest Parisien Boulogne Billancourt   

lundi 14 janvier 2013

Jeu de carte 1 : pique

Artiste qui a d'innombrables cordes à son arc puisqu'il est à la fois l'auteur, le metteur en scène et parfois  l'un des interprètes de ses spectacles, le canadien Robert Lepage a pris le parti de faire évoluer ses personnages sur un espace circulaire. Les scènes se déroulent pour la plupart à Las Vegas où se croisent  des hommes et des femmes d'origine et de sensibilités variées et à Bagdad où, après les bombardements décidés par l'administration Bush, des soldats de nationalités diverses rongent leur freins. Ces deux villes ont la particularité d'avoir été bâties au coeur d'un désert.
Comme il se plaît souvent à le faire Lepage tire les ficelles de plusieurs intrigues dont l'imbrication est un régal. Se relaient un couple de Québécois qui, après cinq ans de relations sans nuage, sont venus se marier dans la ville vouée au jeu, un flambeur britannique aux abois que sa maîtresse française est venue rejoindre, un militaire danois venu s'entraîner avant d'être envoyé au combat et une femme de chambre sans papiers qui semble accablée par une maladie. Le parcours de  ces braves ou moins braves gens va être marqué par la rencontre de drôles de pistolets parmi lesquels un officier qui camoufle ses penchants homosexuels sous une allure martiale et des paroles de haine et un être indécidable qui va mettre le coeur et les sens de la mariée en fusion. Six comédiens de première force se partagent cette multitude de rôles.
Utilisateur inventif de nouvelles technologies, Robert Lepage, dont la bonne réputation est aujourd'hui planétaire, réussit une séduisante symbiose  entre la technique et le récit. La créativité visuelle de ce premier volet d'un projet qui en comportera quatre est son principal atout.
Au final la parole est donnée à une sorte de mage qui fait songer à l'ange  resplendissant de sexualité qui dans le film Théorême de Pasolini révélait à chacun son désir  le plus enfoui. Il devient à cet instant  (mais c'est heureusement le dernier de la représentation!)   plus difficile de suivre la pensée de l'artiste...
Jusqu'au 19 janvier Célestins Lyon (Studio 24) tel 04 72 40 00
Les 25 et 26 janvier Maison de la Culture d'Amiens
du 19 mars au 14 avril Odéon - Théâtre de l'Europe Paris (salle Berthier)

vendredi 11 janvier 2013

L'épreuve de Marivaux

Plus qu'une épreuve c'est une torture qu'inflige Lucidor, jeune aristo très nanti à Angélique qui a son âge mais ne possède pas sa fortune. Comme souvent chez Marivaux le maître ordonne au serviteur de se substituer à lui afin d'éprouver les sentiments de celle avec laquelle il envisage de faire sa vie. Eprise de Lucidor, qu'elle a veillé alors qu'il était au plus mal, elle rejette vigoureusement le faux prétendant. Pas assuré encore de l'attachement d'Angélique, le garçon de ses pensées fait mine de vouloir l'unir à maître Blaise, un paysan hypersensible à l'attrait de l'argent.
Faire épouser à un subordonné la fille d'une classe inférieure avec laquelle un "fils de famille"  a passé du bon temps était, sous l'Ancien Régime, une pratique courante. Qui a, à l'évidence, inspiré le canevas de cette pièce en un acte. Nostalgique des premières morsures de l'amour, Marivaux la baigne dans un climat pré-romantique. Metteur en scène et directeur d'acteurs aussi subtil qu'averti des avanies de l'existence, Clément Hervieu-Léger a ménagé un final qui prend à la gorge.
Si Audrey Bonnet et Loïc Corbery interprètent avec une grâce  véhémente un couple d'amants en proie à des tourments, le reste de la distribution les égale. On retrouve notamment avec joie Nada Stancar qui donne au rôle de la mère d'Angélique, le plus souvent incarné comme une femme dure et qui ne songe qu'à amasser des ressources, une rayonnante humanité.
Jusqu'au 20 janvier TOP théâtre de l'ouest parisien tel 01 46 03 60 44

jeudi 10 janvier 2013

Le misanthrope de Molière

Un sol noir qui scintille, surmonté de ballons et jonché de chaises et de lustres. Dans ce décor d'une saisissante vastitude conçu par Daniel Jeanneteau, qui a l'art de donner de l'esprit aux lieux, on discerne sur l'un des sièges un homme vêtu de rouge. Il s'agit de Philinte. Lequel est bientôt rejoint sur le devant de la scène par son compère Alceste.  Ce dernier déplore la monumentale duplicité  des gens de sa condition. Son interlocuteur combat cette  vision, qu'il juge trop austère, des rapports sociaux. La visite du dénommé Oronte à qui importe l'avis de son estimé Alceste sur un sonnet qu'il a confectionné va être révélatrice du fossé qui sépare les deux amis. Alors que Philinte se confond en compliments l'homme droit dans ses bottillons dit à son vaniteux visiteur tout le mal qu'il pense de ses vers.
Le malheureux Alceste s'est, comme de bien entendu,  épris à la folie d'une femme qui n'est pas son genre. Célimène est une coquette qui joue à aller de coeur en coeur et qui débine avec un talent consommé les membres de son entourage qui ont commis l'imprudence de ne pas être présents.  Ses impératifs moraux ne sont évidemment pas du goût de sa belle qui trouve qu'il a l'amour chagrin.
Le metteur en scène Jean-François Sivadier aime bousculer les codes, détecter ce qu'à de cocasse une situation considérée d'ordinaire comme sérieuse. Loin de glorifier Alceste il en fait un personnage tout ensemble décalé, grotesque et attachant. Catalyseur d'énergie il a réuni une troupe d'acteurs (dont beaucoup sont des fidèles) qui ont le pouvoir d'illuminer les mots, en l'occurrence les alexandrins. Découvrir dans un "classique" des comédiens tels que Nicolas Bouchaud, Norah Krieff, Vincent Guédon,  Stephen Butel, Christophe Ratandra,  Cyril Bothorel, Christèle Tual et Anne-Lise Heimburger, qu'on a vu pour la plupart se frotter à des univers plus contemporains, est un bonheur à ne pas manquer.
Jusqu'au 19 janvier Théâtre national de Bretagne- Rennes tel 02 99 31 12 31
Le spectacle sera ensuite en tournée à Bordeaux, Reims, Bourges, Lille, Paris....