vendredi 28 décembre 2012

Blackbird de David Harrower

Une jeune femme fait irruption sur le lieu de travail jonché de canettes d'un travailleur qui pourrait être son père. Ses phrases se bousculent hachées, rageuses peut être incohérentes. Son interlocuteur, manifestement sur la défensive, tente de la faire quitter les lieux. En vain. Il apparaît bientôt à travers leurs échanges vindicatifs qu'ils ont été amants alors qu'elle avait 12 ans et lui plus du double. Il fut incarcéré, elle vécut emprisonnée par ses souvenirs. "Tu as fait de moi un fantôme" lui balance t'elle.
Le dramaturge écossais David Harrower cultive l'art de quitter les sentiers rebattus. D'où son succés. Il explore ici jusqu'au vertige la relation qu'ont entretenu l'enfant et l'adulte. Marquée par les paroles de sa mère et vraisemblablement des policiers et psychologues qui se sont penchés sur "son cas" elle tient le langage de l'institution. Mais des mots qu'il lui a autrefois dits survivent dans sa mémoire. Leurs corps, eux aussi, se souviennent.
Dirigés avec une remarquable sagacité par Régine Achille-Fould, Charlotte Blanchard (au départ raide comme la justice) et Yves Arnault (ne sachant quelle contenance prendre)  incarnent avec une telle conviction ces personnages traumatisés que le spectateur se découvre, au terme de la représentation, déstabilisé. Y a-t-il meilleur compliment?
Jusqu'au 19 janvier Lucernaire tel 01 45 44 57 34

samedi 22 décembre 2012

Par hasard et pas raté Spectacle- concert

Serge Gainsbourg était un drôle d'outil. Né, comme il le disait, sous une bonne étoile .... jaune, il avait l'humour de ceux qui ne se font pas d'illusions.  Mis en scène par Camille Grandville, Philippe Duquesne, qui fut autrefois de la mémorable aventure des Deschiens, interprète des fragments du répertoire du chanteur poète. De fait il glisse constamment d'un refrain parfois séditieux à des harangues exaltées.
Accompagné de trois jazzman d'une fichue force (Joël Bouquet, Patrice Soler et Guillaume Arbonville) et de deux comédiennes chanteuse (Célia Catalifo et Adeline Walter) qui campent avec un aplomb confondant les partenaires parfois célèbres, comme BrigitteBardot ou Jane Birkin, de l'homme à la tête de chou, Phillipe Duquesne fait briller d'un nouvel éclat des chansons qu'on pourrait pour la plupart fredonner avec lui. Dans sa jeunesse Gainsbourg avait ce que ses camarades de classe appelaient "un physique naze"Il s'en arrangea si bien qu'il fut plus tard,  considéré comme un homme d'un  glamour irrésistible. Son ironie carnassière, son art de faire la nique aux convenances  devaient y être pour beaucoup.
Gainsbarre, comme il a fini par se faire appeler, a cassé sa pipe en 1991 à l'âge de 63 ans. Le faire revivre dans un spectacle musical d'une joyeuse tenue - dans lequel est intégré un numéro du tonnerre de  Yolande Moreau - donne un peu de peps à  cette fin d'une année peu jouasse.
Jusqu'au 19 janvier Le Montfort théâtre tel 01 56 08 33 88

lundi 17 décembre 2012

Les optimistes, une création du théâtre Majaz

Faut-il que les membres du théâtre Majaz, qui réunit des comédiens israéliens, palestiniens, libanais... soient portés par une foi désespérée en l'avenir pour osé s'aventurer à monter Les optimistes. Cette production  a eu l'heur de plaire à Ariane Mnouchkine qui a mis une de ses salles de la Cartoucherie de Vincennes à sa disposition. Le spectacle s'ouvre avec l'arrivé à Jaffa d'un avocat français trentenaire venu vendre la maison de Beno, son grand-père qu'il n'a pas  connu et dont il n'a même jamais entendu parler.  Il n'aura dès lors de cesse de sonder le passé de son aïeul, un juif polonais qui après avoir été pris dans l'étau de la guerre emprunta le chemin de la terre dite promise et se retrouva dans une maison située dans la partie palestinienne de Tel Aviv. Il ignore que ses anciens habitants en ont été chassés.
Beno s'adapte sans trop de mal à son nouvel environnement et embrasse la carrière de journaliste. Plus rétive au mode de vie rustique qui lui est imposé, sa femme retourne en Europe.  Une lettre, un jour, arrive au domicile de Beno. Elle a été envoyée par les anciens propriétaires de la maison qui ont échoués dans un camp de réfugiés au Liban. Avec la complicité de voisins israéliens et palestiniens ainsi que celle d'un pope qui profitant de son laisser passer va jouer les messagers, il va leur faire croire que leur exil n'est pas sans retour. Tous  ont le sentiment que l'histoire qu'ils leur raconte n'est pas plus biaisée que celle qui nie qu'un peuple occupait cette terre avant la proclamation de l'Etat Hébreux.  Bien qu'il soit tout du long question d'un passé irrémédiablement perdu, de conflit territorial et de discrimination les comédiens auteurs ne se laissent pas abattre. Ces jeunes gens qui s'expriment en français, en hébreux ou en arabe (les propos tenus dans ces deux langues sont surtitrés!)  ont fait le pari de se montrer à l'unisson et font fréquemment s'esclaffer le public. Ils arrivent, en effet, à rendre légères des situations on ne peut plus tendues. Un ami qui m'accompagnait parlait d'un spectacle d'une rare probité. Je ne peux que lui donner raison.
Jusqu'au 22 décembre Théâtre du Soleil  tel 01 43 74 24 08
L'émission Changement de décor sur France Culture tournera le 23 déc à 2OH3O autour du théâtre Majaz et le spectacle  Les optimistes. Elle peut être postdcastée  

lundi 10 décembre 2012

Exposition d'une femme d'après Blandine Solange

Il faut entendre le mot exposition du titre dans les deux acception du mot. Blandine Solange qui souffrait de troubles bi-polaires et  tint un journal s'y expose, s'y dévoile on ne peut guère plus. Peintre elle expose aussi ses puissantes toiles lesquelles sont projetées sur le mur du fond de la salle. Dans le spectacle concocté par Philipe Adrien la comédienne Marie Micla incarne plus qu'elle ne joue cette femme engluée dans ses tourments. Artistes dont les oeuvres peuvent s'apparentées à celles d'Egon Schiele, elle proposait à des inconnus de poser pour elle, vêtements ôtés. Ce qui lui donnait à l'égard des hommes un sentiment de surpuissance.
Avant de renoncer à la vie elle décida d'écrire à son psychanalyste (qu'elle abreuva, on ne s'en étonnera pas, régulièrement d'injures) de décrire ses années de furie, de restituer en détail des épisodes décisifs de son existence.  Ainsi cette relation passionnelle qu'elle eût avec un allemand. Mais la vie quotidienne, constata-t-elle, fatigue l'amour. Après l'exaltation ce fut, comme toujours l'effondrement. La prise de médicaments psychotropes ne changea rien à l'affaire. Ses peintures accrochées, elle décrocha.
Cet écrit, on pourrait dire ce long cri du coeur, a été adapté par la psychosociologue Domnique Frischer qui a eu l'heureuse initiative de demander à Adrien, dont de nombreuses créations  tournaient autour de personnage assujettis à des forces inconscientes, de le porter à la scène. Mettre en scène l'émergence du délire, comme il le fait au cours d'un moment mémorable où Marie Micla se couvre de peintures comme si elle était elle même un tableau, ne pouvait que le tenter. Le spectacle qui a le mérite exceptionnel de s'interroger sur les liens qui unissent ou désunissent l'art et la maladie mentale capte de bout en bout l'attention. Il y a quelque chance qu'il soit repris l'été prochain en Avignon. Ce qu'il mérite largement
Jusqu'au 16 décembre la Tempête Cartoucherie tel 01 43 28 36 36

vendredi 7 décembre 2012

Tu tiens sur tous les fronts d'après Christophe Tarkos

Pour une surprise c'en est une. De surcroit magnifique. L'histoire est celle d'une rencontre entre deux univers à priori inconciliables. L'un qu'incarne Hervé Pierre, sociétaire du Français, est atteint de logorrhée, l'autre  que joue l'acteur trisomique Pascal Duquenne (repéré en 1996 dans le film de Jaco Van Dormael Le huitième jour pour lequel il obtint conjointement avec Daniel Auteuil le prix d'interprétation au festival de Cannes) est muet, solaire, espiègle et s'active sans relâche. Le plus sidérant dans ce spectacle conçu avec un véritable génie inventif par le percussionniste et compositeur Roland Auzet est qu'il ne soit  pas arcbouté à une recherche de sens. Et c'est un immense plaisir  que de découvrir un  texte qui ressemble bien davantage à une partition musicale qu'à un fragment littéraire.
Ce texte que le metteur en scène a tiré d'une oeuvre de 300 pages a pour auteur le poète Christophe Tarkos (1963 - 2004) qui contribua grandement au renouveau de cet art discrètement majeur. Dans la filiation évidente tant de Beckett que de Gertrud Stein, il crée , plus qu'eux encore,  des situations drôlatiques. Au début le bonhomme dans les nerfs duquel se glisse Hervé Pierre a des mots accablés. Puis apprend, peut être  au contact de son comparse, à se réjouir, à partager des jeux de mômes. Ils finiront, tous deux, le visage peinturluré.
Les deux zigues échangent non des mots mais des sentiments et du courage. Au début celui dont l'inflation verbale est si bluffante injurie son partenaire. Un peu plus tard il le prendra dans ses bras. Comédien d'une  chaleur humaine peu fréquente, Hervé Pierre arrive, quand il s'adresse aux spectateurs,  à les mettre autant à l'aise que s'ils avaient affaire à des personnes bienveillantes de leur entourage.
Ce spectacle en perpétuelle métamorphose bénéficie d'un  dispositif scénique incroyablement créatif.Un piano joue seul, les murs se transforment en écrans d'ordinateur sur lesquel défilent des phrases de Tarkos.  Doué comme pas deux, le scénographe Goury nous offre la vision d'un monde déréalisé. Où seules les relations- fussent elles improbables-  ont le pouvoir d'intensifier la vie.
Jusqu'au 21 décembre Théâtre de la Commune Aubervilliers tel 01 48 33 16 16

mardi 4 décembre 2012

Remue-méninges

Organisée depuis quelque 12 ans par Lieux publics, une institution qui soutient les artistes - dont l'imagination et le savoir faire se déploient dans la rue et autres lieux  auxquels chacun peut avoir accès sans verser une thune et à la tête duquel a été placé l'entreprenant et sagace Pierre Sauvageot - Remue - méninges s'est, comme toujours depuis sa création, déroulé à Pigna, un minuscule village de Haute Corse à la  beauté inentamée. Le but est de réunir des directeurs de compagnie armés  d'un projet de spectacle  pour lequel il souhaiterait trouver un financement.
Se trouvèrent réunis  lors de la dernière édition, qui se déroula du 14 au 18 novembre, cinq artistes (terme un peu passe-partout mais je n'en  trouve pas de plus adéquat) à savoir Jean-Raymond Jacob metteur en scène de la compagnie" Oposito", Julien Marchaisseau qui a créé le collectif pluridisciplinaire "Rara Woulib", Roger Bernat lequel a eu l'initiative de mettre en place des dispositifs où le public occupe la scène et devient de ce fait le personnage central, Léa Dant dont le "Théâtre du voyage intérieur"lance aux spectateurs une invitation à évoquer ce qui les turlupine et  Mohamed El Hassouni dont le "Théâtre nomade", qui se réclame d'une tradition séculaire, est constitué de parades qui traversent des quartiers défavorisés de Salé au Maroc.  
Si tous les projets sollicitent la participation du public et seront à l'évidence réalisés avec des moyens mesurés il est carrément impossible de les situer dans un même catégorie. Alors que Jean-Raymond Jacob met depuis de nombreuses années sur pied de gigantesques et ebourriffantes  parades qui sillonnent la planète, Julien Marchanseau -  qui a passé quelques années de sa jeune vie en Haïti et dit y avoir  découvert, à travers sa fréquentation des rituels  vaudous,  le pays des ombres et des voix - a rassemblé une équipe qui compte  des  musiciens, des artificiers et des plasticiens. Tous d'une belle envergure. D'un enthousiasme  contagieux, il  arrive à rassembler et à faire se déplacer  des foules de noctambules auxquels il donne le sentiment de maintenir le lien avec ceux qui ont rejoint l'au delà. Lequel semble se situer à Marseille où ses complices et lui sont établis...
Mohamed El Hassouni paraît tout aussi capable d'enflammer les foules. Après avoir fait ses armes en France avec des metteurs en scène d'un théâtre de textes il s'en est retourné au Maroc dont il est originaire et a créé des événements à cheval sur le théâtre et la fête. Il a surtout su se faire apprécier et des autorités et de la population.
Roger Bernat a, lui, présenté un projet qui marque un changement de cap. Alors qu'il regroupait un public nombreux il tente, cette fois, de mettre au point une machine qui ressemble à s'y méprendre à celles où à l'aide de la carte bleue on retire de l'argent. La différence est que celle-ci  réduit cet argent en poussières. Ce geste iconoclaste et politique a évidement suscité des discussions enflammées.
Cette foison de rêves sur le point de se réaliser est la preuve que ce qu'on appelle le théâtre de rue a des jours certes difficiles mais aussi exaltants devant lui.
Lieu public centre national de création Marseille tel O4 91 03 81 28