dimanche 24 juin 2012

Le bourgeois gentilhomme de Molière

Dans cette comédie-ballet, l'une des dernières conçue avant que ce genre ne tombe en désuétude, Molière renoue avec l'art de la farce qui fit son succès à l'entame de sa carrière. La pièce est une succession de gags au cours desquels Monsieur Jourdain, bourgeois qui se rêve homme de qualité, apparaît comme un parfait nigaud. Ce qui n'est pas le cas de Georges Dandin ou de Monsieur de Pourceaugnac dont  la touchante naïveté attire de bonnes âmes qui ne songent qu'à les soulager de leurs avoirs. 

Denis Podalydes a réussi un spectacle qui, malgré ses longueurs, met le public en joie. Il nous convie à une sorte de fête qui jamais ne prend fin. On peut, comme je le fais, la goûter modérément si l'on est peu sensible à la musique omniprésente, dansée et jouée en live de Lully. On ne peut, en revanche, qu'apprécier les costumes fastueux créés par Christian Lacroix.Et surtout être subjugué par une scène où deux couples d'amoureux que jouent Alexandre Steiger, Thibault Vinçon, Leslie Menu et Manon Combes s'entrelacent de délectable façon. 

Jusqu'au 21 juillet Théâtre des Bouffes du Nord tel 01 46 07 34 50 Puis en tournée durant huit mois...

vendredi 22 juin 2012

En v'là une drôle d'affaire d'après les chansons d'YvetteGilbert

Nathalie Joly a été bien inspirée de commencer le deuxième tour  de chant qu'elle consacre à Yvette Gilbert, chanteuse fameuse de l'avant - guerre, par "l'Eternel féminin" poème de Jules Laforgue que l'artiste mit en musique. Icône de la féminité avant que cette expression ne fut en vogue, la dame traça, avant de devenir une célébrité, son chemin dans des conditions extrêmes. Ses débuts , elle les fit en se produisant au Chat noir, caf conc des Grands Boulevards, où son répertoire d'une cocasserie suavement coquine état grandement apprécié.

De graves ennuis de santé l'éloignèrent de la scène. La solitude dans laquelle elle se retrouva la poussa a changé de cap. Elle partit durant plusieurs années aux états Unis où elle fonda une école de chants pour de jeunes talents désargentés. Elle exhuma aussi des centaines de chansons médiévales dont elle se fit l'interprète. Elle fut aussi à cette époque saisie d'une soif de transcendance qui l'incita à étudier le nouveau testament. Pas étonnant que les chants de cette époque, où la Passion devint le  thème central , souvent se fassent prières.

Elle resta néanmoins fidèle à son humour laconique et connut à nouveau la gloire. Douée d'une voix tour à tour caressante, grinçante ou enténébrée, Nathalie Joly est l'interprète idéale de ces oeuvres si dissemblables. On retiendra parmi les chanson qu'elle nous fait découvrir "La pocharde" où elle dépeint un personnage qui tient à la fois de Feydeau et de Zola et cette merveille qu'est "La  morphinée" où elle évoque ces femmes, souvent disciples de Lesbos,  qui avaient découvert des plaisirs inédits.    Enrichi par la présence complice de Jean -Pierre Guesbert son pianiste - qui n'hésite pas à lui balancer de piquantes  répliques - ce spectacle est un délice. Qui doit beaucoup à la mise en scène d'une fervente fantaisie de Jacques Verzier.

Yvette Gilbert disparut en 1944 à l'âge de 79 ans après avoir eu des ennuis avec la gestapo car mariée à un savant  d'origine juive.

Jusqu'au 24 juin Théâtre de la Tempète Cartoucherie tel 01 43 28 36 36 ensuite du 7 au 28 juillet Théâtre du Petit chien Avignon puis du 28 nov au 31 déc Théâtre de la Vieille Grille Paris 75005



samedi 16 juin 2012

La pitié dangereuse de Stefan Zweig

Alors que Freud tentait de saisir les causes du mal être de ses patients, son contemporain Stefan Zweig, qui appartenait comme lui à la communauté juive de Vienne, se lança dans l'écriture de romans dont les personnages ignoraient tout de leur zone d'opacité. La pitié dangereuse, la première de ses oeuvres, se déroule à la veille de la première guerre mondiale. Un jeune officier de cavalerie qui a le sentiment d'avoir offensé une jeune paralytique s'inquiète d'elle, vient de plus en plus fréquemment lui tenir compagnie. Il n' a pas conscience qu'il s'avance, ce faisant en terrain boueux.

Il ne voit pas les yeux plein d'attente de la jeune handicapée que la présence du militaire débordant de santé exalte. Prenant plaisir  à converser avec cette richissime héritière à l'intelligence survoltée mais sujette aussi aux coups de lune, il ne prend pas garde aux propos de son médecin (sorte de double de l'auteur) qui tente de lui faire entendre que la pitié qui l'anime aura fatalement des conséquences désastreuses sur une âme autant en peine que celle de sa patiente.
On ne peut qu'applaudir à l'adaptation théâtrale qu'a réalisé à partir du volumineux roman de Zweig Elodie Menant qui incarne aussi l'amoureuse transie. Stéphane Olivié Bisson qui signe la mise en scène a pris garde de laisser deviner les pestilences de l'air de ce temps où l'antisémitisme polluait déjà l'atmosphère. Un spectacle qui ne peut que plaire à un public amateur et de romanesque et de plongée dans ce temps que l'écrivain dans son écrit ultime appela "Le monde d'hier"

Jusqu'au 3O septembre Lucernaire tel O1 45 44 57 34

samedi 2 juin 2012

Peer Gynt de Henrik Ibsen

S'éloignant des drames naturalistes dans lesquels il excellait, Ibsen décrit  dans  Peer Gynt le parcours d'un  homme qui tout au long de sa tumultueuse vie s'enfonce davantage dans ce que Victor Hugo  nomma "l'hilarité des ténèbres" Petit bonhomme réfractaire et éprouvé  vivant dans un village norvégien avec une mère à la personnalité impétueuse, il commet de si nombreux impairs qu'il finit par fuir vers les lointains du monde. Sa route sera semée de rencontres extravagantes comme celle des trolls, peuplade issue de vestiges de légendes nordiques. Avant de revenir sur les lieux de sa jeunesse, il connaîtra les délices de Capoue, se retrouvera même dans la peau d'une florissante canaille qui fait commerce d'esclaves, deviendra empereur et essuiera au cours d'une traversée une tempête où il se montrera sous un jours qu'on peut difficilement qualifié de glorieux.

Eric Ruf qui fit déjà preuve d'un beau talent lorsqu'il monta il y a quelques années avec une bande de copains "Du désavantage du vent" a choisi pour mettre en valeur cette épopée un lieu étincelant : le salon d'honneur du Grand Palais. Il ne s'est, ce faisant, pas rendu la tâche facile. Le  praticable sur lequel se déroule l'action  est d'une telle longueur que les comédiens se trouvent dans l'obligation de constamment l'arpenter. Son avantage est qu'il favorise les parades de l'étrange dont le spectacle est émaillé.

Si l'effet de troupe (celle de la Comédie Française) est garanti on est surtout subjugué par Hervé Pierre dont la palette ne cesse de s'élargir. Il fallait une nature aussi engagée dans son art que la sienne pour donner autant de consistance à l'homme intranquille et pas particulièrement aimable qu'est Peer Gynt. A ses côtés Catherine Samie qui incarne celle qui lui a donné le jour est, comme elle le fut toujours, d'une présence quasi irréelle. Le moment de ses funérailles est d'une émotion à ne pas croire. On ne peut aussi qu'applaudir à la composition savoureuse de Serge Bagdassarian, roi tout puissant, puis réduit à la débine, des trolls. Un autre  moment clé de ce spectacle fleuve est celui où Eric Genovèse incarne un homme de dieu qui tient avec une délicatesse inouïe et  la force des convaincus une oraison funèbre peu orthodoxe. Contrairement à Peer Gynt, le disparu, un homme simple, su être lui- même.

On a compris qu'il s'agit d'un spectacle coup de maître lequel doit aussi beaucoup aux costumes somptueux de Christian Lacroix et à l'adaptation émerveillante de François Regnault;

Jusqu'au 14 juin Salon d'Honneur du Grand Palais tel O8 25 10 16 80

vendredi 1 juin 2012

Emily Dickinson, la belle d'Amherst de William Luce

Documentariste majeur, Frederick Wiseman s'en prend  dans ses films à la société américaine si peu tendre aux impécunieux. Bizarrement lorsqu'il s'affronte à la scène - ce qu'il ne fait semble t'il qu'en France - c'est pour mettre en valeur un puissant monologue. Il fit ainsi jouer à Catherine Samie, dont on n'a plus à vanter le talent, "La dernière lettre", celle qu'envoya du ghetto avant d'être assassinée la mère de Vassili Grossman, l'écrivain de Vie et destin. C'est cette fois la poétesse Emilie Dickinson (1830 - 1886) - dont Nathalie Boutefeu se fait le porte voix toute en délicatesse - qui prend la parole. Le texte écrit par William Luce rassemble des fragment de son oeuvre, des lettres d'une pénétrante beauté qu'elle adressait à des personnes croisées ou admirées et des anecdotes recueillies par l'auteur de la pièce.

Soeur de sort de ces romancières d'un talent confondant que furent Flannery O Connor et Carson Mc Cullers, Emilie Dickinson, si elle ne fut pas comme elles d'une santé désastreuse, mena, elle aussi, une vie retranchée que sa fébrilité mentale rendit féconde.

Comme toute personne qui se  complait dans la  solitude - dans son cas  entourée d'une parenté souvent toxique et d'un rigorisme religieux qu'elle ne partageait pas - elle était condamnée au souvenir. Consciente de la vanité de nos affairement, cette femme à qui l'amour charnel semble avoir été refusé, jouit  aujourd'hui  aux Etats Unis d'autant de ferveur que Rimbaud, Baudelaire ou Verlaine sous nos latitudes. Où l'on aimerait que cette représentation d'une belle tenue concourt à la faire mieux connaître.
Jusqu'au 7 juillet Lucernaire tel 01 45 44 57 34