lundi 26 décembre 2011

Un soir/une ville... de Daniel Keene

On connaît le savoir-faire d'une précision à couper le souffle du metteur en scène Didier Bezace. C'est pourquoi ses mises en scène mettent si bien en valeur l'oeuvre de l'australien Daniel Keene toute entière peuplée de personnages en profonde inadéquation avec le monde dans lequel il leur faut vivre.

Un soir/une ville est le produit du montage de trois courtes pièces qui ont en commun de dépeindre les relations de deux personnes que les liens familiaux ou le hasard ont réunis. Un père à la ramasse passe quelques heures avec son jeune fils. Son penchant pour la bouteille et ses accès d'exaspération ne suffisent pas à le rendre odieux aux yeux de l'enfant. Il en va de même pour la femme qui, venue chercher sa mère, dont la perception de la réalité s'est altérée, s'efforce de ne pas manifester son trouble face à ses humeurs et hésitations.

Le troisième volet décrit la rencontre tarifiée entre deux hommes d'âge évidement différent. Il apparaît bientôt que vivre est au delà des forces du "client" dont les intonations sont d'emblée celles d'un homme blessé. Le rideau régulièrement se ferme. Ces courts temps de latence permettent de mieux cerner le spectacle de ces amours moins désolantes qu'elles semblaient l'être au départ.

Il fallait pour incarner des personnages au départ plutôt misérables des acteurs à très forte présence. Ce qui est le cas de Geneviève Mnich comme de Patrick Catalifo, Sylvie Debrun, Daniel Delabesse et Thierry Levaret qui est le seul à n'avoir jamais joué sous la conduite avisée de Didier Bezace.

Du 4 au 29 janvier Théâtre de la Commune Centre dramatique national d'Aubervilliers tel 01 48 33 16 16

jeudi 8 décembre 2011

Coeur ténébreux d'après Joseph Conrad

Il arrive - exceptionnellement encore qu'avec plus de fréquence depuis deux mois - qu'une salle de spectacle soit la proie d'un enchantement. Dans l'adaptation de l imposant roman de Joseph Conrad qu'a réalisé Guy Cassiers, avec la complicité de l'acteur Josse De Pauw, il s'agit de magie qui tend vers le noir. Marlow, le narrateur décrit les obstacles qu'il dût franchir pour pénétrer au coeur des ténèbres.Fasciné par l'abominable il en aura son content.

Tout au long de la traversée du continent noir - devenu le champs de tir des européens qui voulaient en prendre possession - il entend parler, à bord du vapeur qui n'arrête de subir des avaries, d'un certain Kurtz qui fait commerce d'ivoire et vit au fin fond de la forêt dans une solitude indéfectible. Lorsqu'il arrivera à le rencontrer, l'homme ne lui livrera qu'un minuscule aperçu de son être profond. Il apprendra qu'il rédige un traité de civilisation pour les peuples qui l'entoure alors qu'il est, lui, toujours davantage subjugué par la sauvagerie. Devenu un tout puissant potentat, il viole toutes les règles et situe son action au delà du bien et du mal.Mi-anglais, mi-français Kurtz est un pur produit de l'Occident dont Conrad pointe les penchants criminels. Sa fin est sans doute l'un des moments les plus suffoquant qu'on ait vu sur un plateau de théâtre. Projeté sur un écran son visage s'efface, son esprit emprunte le Grand Passage

Pour raconter ce voyage au bout de l'enfer Guy Cassiers accumule les trouvailles acoustiques et visuelles. Josse De Pauw est seul sur scène mais sur l'écran il interprète les rôles de tous ceux que le narrateur croise lors de son périple. Authentique génie de la scène le maître d'oeuvre arrive à créer l'illusion qu'il a réussit à apaiser les forces de l'ombre

Dans le cadre du Festival d'automne Jusqu'au 11 décembre Théâtre de la Ville tel 01 42 74 22 77

dimanche 4 décembre 2011

Bullet Park d'après John Cheever

L'écrivain John Cheever (1912 -1982) décrit dans ses nombreuses nouvelles et romans les existences ternies d'hommes et de femmes appartenant à la moyenne bourgeoisie américaine et établis dans des maisons de banlieue où l'abondance d'appareils ménagers et la possession d'une piscine leur donne l'illusion d'être au nombre des heureux du monde.

Constatant combien ce mode de vie séduit les européens, Rodolph Dana et Katja Hunsiger ont cédé à la tentation de porter à la scène le roman le plus emblématique de son auteur. Et comme on s'en serait douté la tranquillité acquise par ceux qui ont choisis ce mode de vie se révèle sacrément mortifère.

Les personnages sont les habitants de deux pavillons voisins. Dans l'un vit un couple, parents d'un fils qui, l'adolescence venue, vivra confiné au lit. Dépassée par les événements, la mère fait appel à un gourou. Les nouveaux occupants de l'habitation la plus proche sont des trentenaires dont les relations se sont déjà aigries. On songe en constatant que chaque parole ou silence est source de conflit aigu à "Qui a peur de Virginia Woolf" d'Edward Albee. C'est là que le bât un peu blesse. Le texte à l'évidence date. Non seulement parce qu'il rappelle un brin trop les écrits des riches années soixante mais surtout pour la rude raison que le seuil de tolérance au pire s'est lamentablement élevé.

Ce petit monde où les adultes boivent à tire larigot et où les plus jeunes sont menacés d'affections psychiques est incarné on ne peut mieux par les comédiens du collectf Les possédés dont on a déjà pu apprécié le métier sûr et la vaillance lorsqu'ils se sont mesurés à des dramaturges aussi différents que Jean-Luc Lagarce et Tancred Dorst. Les découvrir ou les retrouver est un rare bonheur.

Dans le cadre du Festival d'Automne Jusqu'au 22 décembre Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14

mercredi 30 novembre 2011

L'école des femmes de Molière

Le coeur gai et les idées bien arrêtées, Arnolphe, un bourgeois au déclin de sa jeunesse a élevé Agnès (délicieuse Julie-Marie Parmentier), une toute jeune fille qu'il a laissé ignorante de tout. Lorsque la pièce débute il confie à un ami qu'il a l'intention d'épouser sa docile pupille. Le comparse se récrie. Le barbon n'en a cure. Et va au devant de sérieuses déconvenues.

Lorsqu'il écrit cette pièce Molière avait connu une violente et vaine passion pour Armande Béjart, la fille de Madeleine, sa compagne. Et paya cet embrasement, au prix de grandes souffrances narcissiques. A travers l'infortuné Arnolphe c'est de lui-même qu'il se gausse. Mais s'il moque d'une plume décidée l'homme mûr qui veut enserrer une jeunesse dans ses filets, il se montre plus féroce encore à l'égard d'Horace (désopilant Jérémy Lopez), le jeune prétendant aux yeux de crapaud mort d'amour qui lui est préféré. Ce gandin en herbe se montre non seulement d'une vertigineuse niaiserie, il se révèle également d'une lâcheté achevée. Et ce pauvre tendron d'Agnès de découvrir, le regard dans le vague, que le parti qu'elle a choisi n'est pas aussi enthousiasmant qu'elle se l'était imaginé.

Le metteur en scène Jacques Lassalle et le comédien Thierry Hancisse, qui interprète Arnolphe, ont en commun d'être capables du meilleur comme de tentatives beaucoup moins glorieuses. On se souvient avec quel bonheur Lassalle mis en scène La locandiera et La bonne mère de Goldoni ou L'homme difficile de Hugo von Hofmanstahl. Il monta en revanche d'affligeante manière La vie de Galilée de Brecht. Il en va de même pour l'acteur qui fut un Mackie messer dénué de grâce dans l'Opéra de quat'sous du même Bertold Brecht. Ils se montrent ici tous les deux sérieusement à leur avantage. On ne saurait donc trop conseiller aux adultes qui veulent faire goûter aux jeunes pousses le charme irrésistible du théâtre de Molière de les faire découvrir cette Ecole des femmes.

Jusqu'au 6 janvier 2012 Comédie française Salle Richelieu tel O8 25 10 16 80

dimanche 27 novembre 2011

Cendrillon texte original de Joël Pommerat

Après avoir revisité ces autres contes pour enfants que sont Le petit chaperon rouge et Pinocchio, Joël Pommerat - devenu en une bonne dizaine d'années l'un des metteurs en scène les plus apprécié de la scène française - se mesure à cette fausse souillon de Cendrillon. Comme on peut se l'imaginer on est dans la version qu'il nous a concocté à mille lieues de la mièvre adaptation réalisée par Walt Disney à partir de l'oeuvre de Charles Perrault.

Sa mère partie vers l'au delà la môme croit devoir penser constamment à elle afin qu'elle vive agréablement son nouvel état. Elle l'évoque donc sans cesse ce qui a le don de rendre chèvre la nouvelle compagne de son père. Cette marâtre a deux filles qui comme elle prennent d'emblée la petite fille à la langue agile en grippe. Elle est, il est vrai, franchement exaspérante, alors qu'elle apparaissait, jusqu'à ce que Pommerat s'en mêle, d'une angélique douceur. Le prince charmant,joué par une fille plutôt replète, a lui aussi perdu sa maman mais la croit en voyage et attend depuis de nombreuses années chaque soir son coup de téléphone... La rencontre des deux orphelins n'a rien d'un coup de foudre mais leur permet de se guérir l'un l'autre du chagrin qui les mine.

L'humour est heureusement de la partie. La promise du papa est une gorgonne quinquagénaire qui se croit d'une irrésistible beauté. Lorsqu'elle apprend que le roi cherche à marier son rejeton, elle se met à rêver de s'installer dans les ors du royaume. Ses ambitions seront rapidement douchées. Plusieurs comédiens ont été recrutés en Belgique. Leur accent qu'ils soulignent avec délectation enlève aux situations leur aspect parfois effrayant.

Si les acteurs sont, comme toujours dans les productions de Pommerat, d'un niveau élevé c'est notamment grâce à Eric Soyer dont la scénographie et les lumières comptent parmi les plus géniales qu'ils nous ait été donné d'admirer. Au vu de tant de merveilles on ne peut que souhaiter que le spectacle soit fréquemment repris. Il semble qu'il n'y ait déjà plus de places à vendre.

Jusqu'au 26 décembre Odéon- Ateliers Berthier tel 01 44 85 40 40

samedi 26 novembre 2011

Sodome, ma douce de Laurent Gaudé

Une femme nue est assise dans la pénombre. On pourrait dire dans la fosse aux lions. Tant Stanislas Nordey, son metteur en scène, l'a mise en danger. Elle incarne l'unique rescapée de Sodome, ville à laquelle le pire est advenu. Dans sa bouche les mots se pressent pour décrire de quelle perverse façon la population de cette cité réputée pour son goût de la fête et de la luxure fut décimée.

Hanté par le souvenir des déflagrations (guerres, génocides, épidémies)qui ont changé le cours de l'Histoire, Laurent Gaudé use - là où les envolées lyriques étaient tentantes - d'un style sobre, d'une langue imagée. Et le récit, que poursuit la jeune femme, incarnée avec une énergie confondante par Valéry Lang, n'en devient que plus intense.

Bras levés elle se remémore les multiples événements qui ont précédés l'arrivée d'un émissaire ennemi tout doux, tout miel reçu avec faste et qui ne fit pas prier pour fricoter avec les femmes et les hommes qui s'offraient à lui. A sa suite surgirent des armées de soldats fous de leur dieu et exercés à l'insensibilité. Et la narratrice d'être transformée en statue de sel.

Il est bien accablant qu'il faille, en ces prudes temps présents en passer par l'Ancien Testament pour exalter, à travers la peinture d'une société où il fait bon vivre, la force salvatrice du désir. Difficile aussi en écoutant ce texte interprété avec un mélange de douleur et de fureur imprécatrice de ne pas songer à l'épidémie de sida qui a transformé nos modes de vies, les a rendus infiniment plus étriqués

Si ce spectacle suscite une réserve, elle concerne la fin qui toilettée serait plus décapante. Puissance de vie intacte, la conteuse repart en chasse.

Jusqu'au 3 décembre Théâtre Ouvert tel 01 42 55 74 40

vendredi 25 novembre 2011

L'histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge d'Hélène Cixous

Cette pièce en deux parties fut crée par Ariane Mnouchkine en 1985, à une époque où on était, comme l'écrit son auteure Hélène Cixous, "au milieu du champs chaotique de l'histoire d'un pays qui a été pris dans le cyclone politique mondial, piétiné, bombardé de toutes parts ... voué à un génocide auto-immunitaire..." En retraçant le destin brutalement scellé de son roi de droit divin elle eût à coeur de faire retrouver une identité aux survivants d'un peuple martyrisé.

Vingt six ans plus tard Delphine Cottu comédienne du Théâtre du Soleil et Georges Bigot, à qui fut à l'époque confié le rôle de Sihanouk, mettent, mais cette fois avec des acteurs cambodgiens, la pièce en scène. Ces jeunes interprètes étaient parfaitement ignorants des terrifiants évènements ici relatés.

Désireux d'être aimé de ses sujets pour la plupart paysans, Sihanouk apparaît au début comme une sorte de roi Salomon rendant justice aux plus démunis. Mais écartelé entre les extrémistes de droite et de gauche, il n'arrête de changer de stratégies qui toutes se révèlent inopérantes. D'un naturel buté il reste sourd aux arguments de ses proches mais pique des colères monumentales quand il devine que la partie est perdue.

Le rôle de ce personnage aux facettes innombrables est assuré par une comédienne d'un talent monstre : San Marady. Dirigés avec un doigté qui doit beaucoup à Ariane Mnouchkine, ses partenaires, comédiens et musiciens, sont eux aussi stupéfiants de justesse et d'inventivité. Mais le plus surprenant est que les metteurs en scène aient réussi à restituer le climat d'un monde où coexistent le quotidien et le surnaturel.

La première partie de cette fresque qui en compte deux se clôt avec l'entrée de Sihanouk, trahi de toutes parts, dans la nuit de l'exil. Porté par un ultime espoir il accepte l'alliance qui lui proposent les khmers rouges. Il est des spectateurs dont les larmes, alors, jaillissent à l'horizontale.

Dès ses premiers pas dans la tragédie Hélène Cixous se montre à la hauteur des maîtres de la Grèce Antique. Voilà qui doit sembler bien pompeux. On ne peut donc que conseiller d'aller y voir

Jusqu'au 4 décembre Théâtre du Soleil tel 01 43 74 24 08

Tout est normal mon coeur scintille de Jacques Gamblin

Animé d'une ardeur teintée de mélancolie, ce juvénile quinquagénaire de Jacques Gamblin est l'un des rares acteurs qu'on ose qualifier de magnétique. Comme dans "Quincaillerie", "Le toucher de la Hanche" et "Entre courir et voler il n'y a qu'un pas papa" tirés de livres par lui écrit, il joue sa dernière création en solo. Enfin pas tout à fait puisqu'il va chercher parmi le public deux personnes - des barons comme on dit dans le langage forain - qui se révèlent des danseurs, comme lui, illuminés jusqu'à l'éclat. Ils ont pour nom Claire Tran et Bastien Lefèvre.

La représentation est ainsi jalonnée de pas de trois d'une irréelle élégance. Pour le reste Gamblin nous fait suivre le fil d'une pensée vagabonde. Ses périlleuses voltiges langagières, ses réflexions toujours inattendues sur le cou des girafes, la place où se situe le coeur, la femme pour laquelle il bat alors qu'il en est des milliards d'autres donnent le sentiment qu'il nous ouvre les portes de son monde intérieur. Conscient ô combien que notre personnes est faite d'innombrables parcelles il en arrive à se bricoler un vêtement de femme comme à former un tendre duo dansant avec chacun de ses partenaires.

Les musiques choisies avec un soin amoureux, la douceur émerveillantes des éclairages et des paysages peints qui se succèdent en fond de scène achèvent de faire de ce spectacle d'une délicatesse inouïe - à la mise en scène duquel a largement collaboré Anne Bourgeois, complice attitrée du comédien - un remède contre la brutalité des temps.

Jusqu'au 3 décembre Théâtre du Rond_Point tel 01 44 95 98 21

lundi 14 novembre 2011

Festival Mettre en scène à Rennes

Place aux jeunes! Alors que leurs aînés sont à la peine plusieurs chorégraphes et metteurs en scène dont les noms sont encore peu connus triomphent lors de cette 15e édition du festival initiée par François Le Pillouér, capitaine assuré de Théâtre National de Bretagne.

Zombie Aporia du chorégraphe Daniel Linehan, 29 ans en paraissant 15, qui se fit remarquer en 2008 lors de la même manifestation avec Not about everything, où il renouait avec la tradition ancestrale des Derviches Tourneurs, s'est aujourd'hui entouré de deux partenaires qui ont l'âge de tous les possibles. Le trio enchaîne huit séquences chantées à capella et dansées. La jeune fille du groupe est si talentueuse que ressurgit en l'écoutant la phrase que répétait Jeanne Moreau dans "Le tourbillon ":"elle chantât d'une voix qui si tôt m'enjôla" A la fois touchant et ludique, ce spectacle demande de ses interprètes une si considérable énergie qu'il ne peut être conçu que par des minots...

Lazare dont on parle abondamment est, lui, un drôle de pistolet. Avec "Au pied du mur sans porte" il plonge en eaux autobiographiques. l y raconte par bribes son histoire de fils d'émigrés qui après avoir été considéré comme débile connut une existence de cancre puis de délinquant, qu'il fut mis à la porte du domicile maternel, dormit dans une cave glaciale et fit des rencontres qui le sortirent de la mouise et de l'illettrisme. irrigué par une foi inouïe dans le pouvoir de la scène, son spectacle aux bouts de chandelles, soutenu par une musique de toute beauté jouée in live, évite soigneusement les clichés sur la banlieue et est parsemé de mots d'enfants tel que "ailleurs, c'est loin" Son seul, défaut mais d'importance, est d'être trop long. S'il accepte qu'une personne avisée lui propose quelques coupes, il apparaîtra comme l'un des plus sûrs espoirs de demain.

Fidèle à ceux qu'il contribua largement à faire connaître, Le Pillouér a aussi programmé François Tanguy qui dans "Onzième" n'arrive pas à retrouver l'inspiration qui nous l'avait tant fait aimer. Avec ses personnages au débit ininterrompu, ce spectacle qui fait de trop multiples références à Cantor, nous égare dans les méandres de récits inspirés par les écrits si foisonnants mais jamais anecdotiques de Dostoïevski.Pour les besoins de Courts-circuits François Verret utilise, comme Tanguy,de multiples écrans et quantité d'idiomes. Ce qui ne donne pas à sa création, pourtant ponctuée de quelques moments de flamboyance,les sensations intenses de plaisir auquel il avait habitué son public.

On ne parlera pas de Swinning Poules et Flying Cocqs de Philippe Decouflé qui a le culot de citer ces génies d'élégances que furent Pina Bausch et Busby Berkley mais réalise un show qu'on aurait vu sans surprise sur TF1. On dira, en revanche deux mots sur Sul Concetto di volto nel Figlio di Dio de Romeo Castellucci qui continue à provoquer l'ire des fondamentalistes chrétiens. Lesquels sont non seulement d'une inacceptable intolérance mais aussi d'une ignorance crasse. Le visage du Christ apparaît, selon les éclairages, anéanti ou serein devant les épreuves que traversent les humains ou l'agressivité que déploient les plus jeunes d'entre eux.

Jusqu'au 19 novembre tel 02 99 31 12 31

mardi 8 novembre 2011

Dark spring de Unica Zürn

On le sait, on pense différemment selon les âges de la vie. L'étonnant avec Dark spring (Sombre printemps) est que ce texte qui décrit avec une folle acuité les émois intimes d'une enfant a été écrit par Unica Zürn (1916- 1970) au soir de son existence Désireuse toutefois de garder des distances avec la petite fille (proche c'est l'évidence de celle qu'elle fut) elle utilise la troisième personne pour raconter son cheminement.

Père absent, mère mal aimante, frère qui la viole, l'enfant se réfugie dans des ruminations vengeresses et des fantasmes de sévices lesquels sont, aurait dit herr Sigmund Freud, des recours contre l'effondrement psychique. L'éclosion d'un premier amour la sortira de la dépression. Mais ne la protégera pas de l'hydre familiale.

Avec Bruno Geslin (dont "Mes jambes si vous saviez quelle fumée" d'après Pierre Moulinier et "Je porte malheur aux femmes mais je ne porte pas bonheur aux chiens"d'après Joê Bousquet nous avaient déjà bluffés)le théâtre sort, pour notre plus grand profit, de ses limites. Cette fois il a réuni une comédienne, Claude Degliame, qui a l'art si peu répandu d'illuminer les mots et Coming soon, un groupe de jeunes, très jeunes rockers anglophiles dont la richesse de l'invention mélodique ferait vibrer une bûche. Ecriture musicale et chansons ont été composées à partir du texte. Et l'on est tout au long de la représentation émerveillés de constater avec quelle aisance ils se sont trouvés l'un l'autre.

Si les débuts de la saison théâtrale étaient, à l'image de la France de Sarkozy, plutôt moroses, elle a, avec des spectacles tels que Chroniques d'une haine ordinaire de Pierre Desproges mis en scène par Michel Didym et Dark Spring, enfin prit son envol.

Jusqu'au 17 nov Paris - Villette 01 40 03 72 23

dimanche 6 novembre 2011

Lulu de Frank Wedekind

Voilà des lustres, plus exactement depuis "Einstein on the beach" (que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître...) que Robert Wilson ne nous avait convié à pareille fête. Après un chapelet de spectacles d'un maniérisme exacerbé, il a puisé dans Lulu de Frank Wedekind, l'un des plus brillants représentants de l'expressionnisme allemand, une source nouvelle d'inspiration.

Pour ce faire il a renoué les liens privilégiés qu'il a eu naguère avec Lou Reed, dont l'oeuvre est décidément composée de trésors d'envoûtements mélodiques et avec cette comédienne d'exception qu'est Angela Winkler à qui il a confié le rôle titre. Rôle qu'elle interprète avec une grâce aussi indéniable que celle de Louise Brooks dans l'immortelle Loulou de Georg Wilhelm Pabst.

Si on retrouve ici la lubricité fiévreuse de l'écrivain elle est mise par les soins méticuleux de Wilson dans l'écrin que forment des décors et des éclairages d'une splendeur à ne pas croire. Acteurs et chanteurs dirigés de main de maître sont, eux aussi, sidérants de savoureuse précision.

La pièce qui baigne dans le noir de son temps (les périlleuses années 20) relate, comment ne pas s'en souvenir, les passions jalouses que provoque une jeune femme, incarnation pour Wedekind du continent noir de la sexualité féminine. Bien que le diable semble mener la danse, les talents de Wilson et de Reed se conjuguent pour donner du piquant au destin tragique de Lulu et des personnages au parcours opaque qui l'entourent.Et le public d'exulter comme il ne l'a pas fait depuis les spectacles des allemands Peter Stein et Grüber.

Dans le cadre du festival d'Automne Jusqu'au 13 novembre théâtre de la Ville tel 01 42 74 22 77

samedi 5 novembre 2011

Chronique d'une haine ordinaire de Pierre Desproges

"Plus je connais les hommes plus j'aime mon chien, plus je connais les femmes moins j'aime ma chienne" Ce qu'il fait bon en ces temps d'hibernation intellectuelle où domine le politiquement correct de réentendre Pierre Desproges faire la nique aux bien pensants avec une ironie qui fait blêmir. Disparu en 1988 à l'âge de 48 ans il avait, comme l'écrit Michel Didym qui signe le spectacle, le courage de la haine. il n'arrête de fait de tenir des propos séditieux, de dézinguer à tout va.

il pousse l'effronterie jusqu'à injurier le public, cette "assemblée de zozos" et surtout à railler la maladie qui l'emportera. il est de nombreux moments où l'on rit jaune. Adversaire résolu de la "beaufitude" il accable de sarcasmes les homophobes, les antisémites mais aussi les tempéraments pusillanimes.

Ecrire que Christine Murillo et DOminique Valadié sont excellentes est nettement en dessous de la vérité. On n'imagine pas meilleures passeuses de ces textes dynamiteurs que ces deux comédiennes que n'intimident aucune subtilités du langage ou de la pensée.

La Pépinière théâtre tel 01 42 61 44 16

jeudi 27 octobre 2011

Les chaises d'Eugène ionesco

Les chaises occupent dans l'oeuvre d'ionesco une place de choix. Prenant par les cornes sa vieille obsession du vieillissement et du néant, il met en scène un couple de nonagénaires qui remâchent des bribes de souvenirs et de récits. Leur mémoire leur joue évidement des tours. Elle se souvient de leur fils qui quitta la maison à sept ans, l'âge de raison dit-elle. il a, lui, effacé cet épisode décisif de sa mémoire. il se remémore, en revanche, d'avoir laissé sa mère mourir seule alors que sa compagne se persuade qu'il fut un fils admirable.

La pièce atteint son point d'ébullition quand se présentent à leur porte un nombre grandissant d'invités invisibles venus écouter le message que le vieil homme souhaite révéler à l'humanité. A chacune des arrivée les deux vieillards se dépensent en courbettes et flatteries. Tandis qu'il s'entretient avec ses anciennes connaissances, sa femme apporte une impressionnante quantité de chaises afin que les fantômes puissent prendre place. Mais ceux-ci se font si nombreux que l'homme et la femme se trouvent séparés. Ce qui leur est insupportable.

Maquillages soutenus, parler contraint Alexis Rangheard et Monica Companys, comédienne sourde incarnent avec une délicatesse stupéfiante ces êtres sur le point de disparaître. La mise en scène d'un Phillipe Adrien des grands jours et la splendide scénographie de Gérard Didier contribuent aussi largement à ce que cette pièce souvent montée apparaisse sous un jour plus irréel et attachant que d'ordinaire. L'apparition dans une lumière d'une poignante douceur de l'acteur aveugle Bruno Netter clôt le spectacle en beauté.

Jusqu'au 5 novembre La Tempête Cartoucherie tel 01 43 28 36 36

mercredi 12 octobre 2011

La nuit arabe/Le dragon d'or de Roland Schimmelpfennig

A travers La nuit arabe et Le dragon d'or, écrites à dix ans d'intervalle et qui toutes deux se déroulent dans des immeubles habités par une population peu fortunée Roland Schimmelpfennig figure phare du jeune théâtre allemand, règle ses comptes avec notre temps. Mais contrairement aux dramaturges des années 70 tel que Franz Kroetz, il ne se contente pas de reproduire le quotidien de ses contemporains les moins choyés par le sort. La particularité de son théâtre est que réalité et merveilleux ne s'y lâchent pas d'une semelle.

S'il rappelle constamment que la barbarie est au coeur de la civilisation, il a le chic pour rendre cocasse les situations les plus intolérables. Qu'ils soient faits de chair et de nerfs ou droits sortis d'un conte des mille et une nuit comme dans La nuit arabe ou de la fable La cigale et la fourmi dans Le dragon d'or, les personnages traversent d'abominables épreuves. Mais la maîtrise et l'humour dont font preuve les comédiens (Jean-Claude Durand, Claire Wauthion, Agathe Molière, Alexandre Zambeaux, Clément Carabédian, Marianne Pommier) sont tels qu'on se surprend souvent à rire. Dans Le dragon d'or, la plus réussie et récente des deux pièces, chacun des acteurs joue plusieurs rôles, change régulièrement d'identité sexuelle et s'affronte à un texte abondant dans lequel alternent dialogues, récits et soliloques.

Une structure métallique à trois étages oblige les interprètes à constamment monter et descendre des escaliers.Ce qui en dit long sur la difficulté d'être des innombrables personnages qui peuplent les lieux. Employé dans la cuisine d'un restaurant thaï-chinois-vietnamien, un jeune émigré clandestin qui souffre d'une rage de dents connaît le destin le plus tragique. L'auteur dénonce via ce malheureux la violence d'Etat qui s'exerce aujourd'hui contre les sans papiers.

Fine mouche, la metteuse en scène Claudia Stavisky a saisi que Schimelpfennig est le dramaturge contemporain le plus à même de faire respirer l'air des temps accablants que nous vivons. Grâce aux acteurs qu'elle a choisi avec discernement l'ironie dont il fait preuve pour renforcer son propos est présente de bout en bout.

Jusqu'au 16 octobre Célestins Lyon tel 04 72 77 40 00 puis du 3 au 10 novembre Théâtre de la Manufacture - Nancy, les 22 et 23 novembre Nouveau Théâtre d'Angers, du 29 nov au 3 déc La Criée - Théâtre national de Marseille, du 13 au 16 déc Théâtre national de Bordeaux

vendredi 7 octobre 2011

Tokyo bar de Tennessee Williams

Lorsqu'il écrit Tokyo bar Tennessee Williams vit des temps orageux. Il a perdu depuis peu l'homme de sa vie, noie sa tristesse dans l'alcool et s'est fait interner par son frère en hôpital psychiatrique. Le peintre renommé et déchu qui a échoué dans un hôtel luxueux de Tokyo est à l'évidence son double. Myriam, sa femme, accompagne son crépuscule ou plutôt le fuit en se jetant au cou ou plus exactement sur la braguette des hommes qu'elle rencontre.

On connaît le penchant de l'auteur pour les personnages sulfureux. Comme la Blanche Dubois d'Un tramway nommé désir ou La chatte sur un toît brûlant, Myriam est une dévoreuse d'hommes qui masque sous ses airs conquérants un inguérissable mal de vivre. Christine Boisson trouve enfin là un rôle à sa démesure. On ne pourra oublier de si tôt l'éclat animal de son regard quand elle fait flamber sa rage. Ni sa voix altérée lorsqu'elle se laisse aller à monologuer un texte aussi peu clair que l'esprit de son personnage. Jean-Marie Besset s'est retrouvé face à un texte parfois obscur. Mais adaptateur de talent il a su rendre attachante l'incohérence de certains propos.

S'il a fait preuve de discernement en choisissant Christine Boisson pour jouer Myriam, le metteur en scène Gilbert Désveaux a eu la main moins heureuse en confiant le rôle de Mark, son peintre à bout de force et de désir de mari, à Robert Plagnol.Peu habité par ce rôle, il le surjoue ou si l'on préfère joue en force la fragilité.Ce qui est une gageure. Dont on se serait volontiers passée

Ecrite au début des années 60, Tokyo bar n'avait jamais été montée en France. Ce qui est d'autant plus surprenant qu'il s'agit d'une oeuvre majeure où l'écrivain va au bout de ses hantises.

Jusqu'au 14 octobre Théâtre des 13 vents Montpellier tel 04 67 99 25 00 puis en tournée et du 27 avril au 2 juin 2012 Théâtre de La Tempête Paris

jeudi 29 septembre 2011

La pluie d'été de Marguerite Duras

Le cas est assez rare pour être souligné. En 1984, Marguerite Duras signe un film, Les enfants, qui ne ressemble en rien à ses longs métrages précédents. Le personnage central, Ernesto, annonce à ses parents qu'il ne veut plus se rendre à l'école car on y apprend des choses qu'il ne sait pas. Dix ans plus tard elle écrit Pluie d'été dans lequel elle étoffe les personnages du film. Aujourd'hui Emmanuel Daumal tire de ce roman un spectacle de théâtre.

Le thème de l'étranger si cher à l'écrivaine née au bord du Mékong est ici constamment présent. La mère vient des Carpathes, le père de la plaine du Pö. Sans un sou, ils vivent à Vitry dans un bidonville, ont fait sept enfants et passent de nombreuses soirées à se bourrer la gueule. Leur fils aîné Ernesto , 12 ans, apparaît comme l'enfant sauvé des eaux de la littérature. L'ancien testament est constamment présent puisque le môme qui a rompu avec le système scolaire cite abondamment l'un des fils du roi David qui, après avoir fait de multiples incursions dans les domaines du savoir en arrive à la conclusion que tout se vaut. Ernesto n'en devient pas moins un esprit d'immense envergure. La preuve que le génie ne s'apprend pas...

Les personnages sont tous d'une singularité irréductible. La mère est tentée d'abandonner ses enfants mais a pour Ernesto une affection si grande qu'elle lui permet de comprendre ses mots aux oreilles des autres si énigmatiques. Le père a, lui, une préférence marquée pour Jeanne l'aînée de ses filles. Quant à Ernesto il se rend soudain compte qu'il aime sa soeur d'amour. Comme cette passion est réciproque, ils couchent avec le plus grand naturel ensemble. On se souvient à cet instant de la tendresse débordante de Duras pour l'un de ses deux frères.


Joué avec un entrain contagieux par Claude Mathieu (magistrale), Christian Gonon, Eric Genovèse, Marie -Sophie Ferdane et les jeunes et bigrement talentueux Jérémy Lopez et Adeline d'Hermy ce spectacle au cour duquel ne fleurissent que des situations saugrenues en dit aussi long sur la transformation si mal conçues des banlieues ouvrières.

Les écrits de Duras sont toujours montés et joués dans un climat respectueux sinon pompeux. Le metteur en scène donne au contraire de cette oeuvre qu'elle a fait jaillir d'elle à la fin de sa vie, une vision chaloupée. Ce qui déplaît à certains. Et met beaucoup d'autres en joie.

Jusqu'au 30 octobre Théâtre du Vieux -Colombier tel 01 44 39 87 00

dimanche 25 septembre 2011

L'ouest solitaires de Martin Mcdonagh

Deux coeurs solitaires. Lesquels appartiennent à deux frères qui partagent sous le même toît le vide de leur existence. Seule donne quelque couleur à la dite existence la haine irréductible qu'ils se vouent depuis l'enfance et qui non seulement les pousse à se balancer des bordées d'injures mais aussi à se jouer les tours les plus pendables. Le prêtre du village, aussi soiffard qu'eux, vient parfois leur tenir compagnie et leur fait part des dernières tragédies qui ont endeuillé sa paroisse. Cet homme candide s'est donné pour mission d'apaiser leurs conflits. En vain. De son côté il ne voit pas qu'une jeune fille, qui porte le surprenant prénom de Girleen, cache sous ses airs bravaches l'amour qu'il lui inspire.

Originaire de comté de Galway dans l'oues de l'Irlande, l'auteur dont la pièce se situe dans la lignée du Baladin du monde occidental de John Millington Synge - dans laquelle les personnages sont aussi malveillants et rapias que les frères ennemis - doit sa renommée non seulement au théâtre du Royaume Uni dont il est vite devenu une des figures de pointe mais ausi, surtout à Bons baisers de Bruge, film dont les "héros sont deux tueurs à gage qui ont foiré leur coup, qui a connu un succès amplement mérité.


Directeur d'acteurs et adaptateur d'un talent certain , Ladislas Chollat nous entraîne dans un univers qui tient à la fois de la tragédie et de la farce paysanne.Véritable boule de ressentiment, Dominique Pinon confirme qu'il est un comédien d'exception, face à lui un Bruno Solo aux accents inédits fait lui aussi merveille. On ne saurait oublier la scène qui couronne le spectacle où fourrageant dans le passé les deux ostrogots allument un feu d'artifices de révélations.On en sort tout retourné.

Théâtre Marigny tel 08 92 222 333

mercredi 21 septembre 2011

Madame de ... Vilmorin d'Annick Le Goff et Coralie Seyrig

Louise de Vilmorin navigua tout au long de sa vie (1902-1969) parmi les heureux du monde. Dès la première scène au cours de laquelle Coralie Seyrig lit des lettres où la dame implorait, avec force mensonges, son frère ou ses amis de lui envoyer de l'argent en ajoutant chaque fois que celui -ci la ruinait... on apprend cependant que, dépensière sans compter,elle ne vivait que des largesses de ses proches. Se retrouvent parmi son escouade d'amis et d'amants qui l'accompagnèrent de leurs encouragements Saint Exupéry Cocteau, Jean Hugo, Gaston Gallimard, René Clair et évidement Malraux

Si Louise de Vilmorin fut une épistolière pleine d'esprit, elle fut aussi l'auteur de plusieurs romans dont les exquis Julietta et Madame de... qui fut divinement porté à l'écran par Max Ophuls. Bien qu'elle les écrivit avec un talent bien trempé, elle n'avait que peu d'estime pour ses travaux de romancière. Seuls trouvaient grâce à ses yeux les poètes (elle publia plusieurs recueils de poèmes dont deux sont dits par la comédienne qui s'accompagne elle- même au piano) et les illustrateurs de leur temps au premier rang desquels elle place Balzac et Proust.

Son incurable lucidité on la retrouve lorsqu'elle évoque des épisodes intimes de son parcours. Elle aurait, dit elle, été ravie d'être fidèle mais se trouva toujours en butte aux reproches des hommes qu'elle aima, reproches qui lui étaient odieux. Elle ajoute, mutine, que la passion, elle, ne survivait pas à la vue des pores dilatés de la peau de celui qui la veille l'avait ébloui...

Toujours prompte à bousculer les idées reçues de son temps, elle n'hésite pas à dire qu'il n'y a guère que les prêtres et les homosexuels qui veulent se marier. Une phrase qui trouve aujourd'hui un piquant échos. D'une sagesse plus grande qu'on aurait pu l'imaginer elle accepte les réalités de l'âge, constate, les années ayant passées, qu'elle n'est plus dans le circuit.

Coralie Seyrig incarne avec une délicatesse infinie cette femme qui ne fut pas une intellectuelle mais se montre dans le moindre de ses écrits d'une profonde intelligence. Avec la complicité experte d'Annick Le Goff elle a su transformer en un monologue d'un charme discret les entretiens qu'accorda au journaliste et biographe André Parinaud celle qui fut l'égérie de nombre de ses plus étincelants contemporains.

On a compris que ce spectacle est à particulièrement recommander à ceux pour qui la littérature reste du pain vivant

Petit Montparnasse tel 01 43 22 77 74

mercredi 14 septembre 2011

Ombres portées de Arlette Namiand

La dramaturge Arlette Namiand et le metteur en scène Jean-Paul Wenzel sont tous deux des artistes de la résistance à l'ordre. Mais, on le sait, les chemins de la liberté sont hérissés de difficultés. Qu'ils affrontent avec hardiesse. Les personnages portent tous le corps d'un autre. Un autre qui n'est pas comme dans "Tambours sur la digue", spectacle impérissable d'Ariane Mnouchkine, une marionnette mais bien un être de chair. Vivant ou mort.

Le texte est composé de cinq histoires qui toutes rappellent qu'on porte tous avec soi ou en soi un être cher, un mari, une épouse, un amour, un frère de sang ou de coeur ou la trace qu'ils ont laissée dans notre mémoire. Le spectacle débute par la vision d'un couple de jeunes mariés. Pas question pourtant, comme le veut la tradition, que l'homme porte sa femme dans ses bras pour franchir le seuil de leur nouveau logis. Les personnages de la pièce ne se sentent attachés à aucune convenance, à aucun sacrement. Leurs liens parfois indicibles, comme dans le cas où une jeune fille porte son père sur le départ probable de la vie, sont le plus souvent nourris au lait de la tendresse humaine.

Lors d'une scène plus insolite un soldat porte la dépouille d'un ennemi.Une femme s'interpose, lui assène des reproches. On songe évidement à l'Antigone de Sophocle. La scène est suivie de l'apparition spectrale, du guerrier vaincu maculé de sang. Si le spectacle reste par instants insaisissables, il séduit par la présence charnelle des corps. Il est vrai que Thierry Thieû Lang, dont les chorégraphies sont d'une grâce à ne pas croire, à apporter son concours à Jean-Paul Wenzel. Lequel a eu l'excellente idée d'opter pour un dispositif bi-frontal, ce qui a pour effet de réverbérer les situations.

Alors qu'elle semble faite de moments épars, la représentation se termine en boucle avec l'heureuse réapparition du couple du début.

Jusqu'au 2 octobre Cartoucherie - Théâtre de La tempête tel 01 43 28 36 36

samedi 10 septembre 2011

L'homme inutile ou la conspiration des sentiments de Iouri Olecha

Bernard Sobel n'a pas son pareil pour sortir de l'oubli des auteurs dramatiques mis au rencart. Sa préférence va depuis toujours à des créateurs réfractaires aux dogmes. Ce qui est le cas de Iouri Olechaqui (1899 - 1960) qui connut la renommée dans les années vingt et trente puis eût, en raison de son peu d'enthousiasme pour les idéaux communistes relookés par Staline, quelques différents avec la censure. Il finit, non pas comme beaucoup de ses pairs au goulag ou passé par les armes, mais dans la misère.

Le metteur en scène a la particularité d'être un penseur subtil et un piètre directeur d'acteurs. Ce qui a pour conséquence qu'il monte des spectacles captivants lorsqu'il engage (comme il le fit, entre autres, pour La forêt d'Ostrowsky) des comédiens qui ont métier et talent. Alors que la plupart des jeunes comédiens semblent un peu égarés, John Arnold qui marche sur les traces de Le Vigan et Pascal Bongard dont la force magnétique ne ressemble à celle de personne, sont prodigieux en frères ennemis. L'un se targue d'appartenir au vieux monde et fait, dans un pays où l'imagination est réduite au silence, l'apologie de la liberté de parole et de pensée tandis que l'autre est partisan de la rénovation de l'homme. La passion que leur inspire à tous deux la même jeune fille ne peut évidement qu'attiser leur haine.

Alors qu'il est à son affaire dans les scènes réalistes, Sobel ne l'est plus du tout lorsque la pièce bascule dans l'onirisme. Ecrite dans les mêmes années que celles où Nicolaï Erdman dressait dans "Le suicidé" un tableau peu glorieux de la chaotique période post-révolutionnaire, cette pièce méconnue fait, elle aussi, le constat que la société soviétique dérive vers le pire.

Jusqu'au 8 octobre La Colline- théâtre national tel 01 44 62 52 52

vendredi 9 septembre 2011

Tes yeux se voilent de Laurent Cazanave

C'est alors qu'il joue seul en scène, sous la direction électrisante de Claude Régy, Brume de Dieu, extrait Des oiseaux, un roman de Tarjeï Vasaas, que l'on a découvert le jeune Laurent Cazanave. Artiste tous terrains il dirige cette fois quatre comédiens aussi novices que lui dans une pièce dont il est l'auteur et dont le propos percute le spectateur.

Le texte en question est constitué de trois formes courtes dont le "personnage" central est une voiture, objet de passion et de mort. Laurent Cazanave qui semble aimer prendre de front des sujets brûlants à eu l'idée peu banale de décrire un échantillon de sensations éprouvées par une personne qui n'est plus maître de sa caisse comme on dit familièrement.

Un enfant s'amuse avec sa voiture miniature. En proie à des colères abondantes il soumet son jouet à ses aspirations destructrices. La veille d'une fête qui réunit tous leurs proches un couple de 18 ans va en boîte où le garçon écluse un peu trop d'alcool. Au retour leur bagnole plonge dans les profondeurs d'un lac. Le troisième récit tiré d'un fait divers fréquent met davantage encore le public en état d'alerte sensoriel.

Si la mise en scène est - péché de jeunesse - parfois trop ciselée, le spectacle est néanmoins l'un des plus secouants qui se puisse voir. Grâce aux musiques choisies avec goût qui l'accompagne et l'interprétation irréprochable de quatre jeunes comédiens on se trouve face à un objet théâtral dont la force d'attraction tout ensemble nous violente et nous subjugue.

Jusqu'au 2 octobre Bouffon théâtre tel 01 42 38 35 53

mercredi 31 août 2011

Olga ma vache de Roland Dubillard

Parvenu aux marges crépusculaire, un auteur dramatique libère des souvenirs longtemps enfouis. Surtout celui d'un amour de jeunesse. Amour peu commun puisque l'élue avait les yeux entourés d'immenses cils et le pelage moelleux d'une vache. Qu'il nomma Olga et rejoignait dans la clairière où il vécut les moments les plus enjoués de son existence. Patrick Coulay, qui joue ce jeune homme saisi d'une passion incontrôlable et a mis ce texte inconvenant en scène avec l'appui de Maryvonne Schiltz, a pendant la première partie de la représentation le palpitant en folie.

A ses côtés Jean Leber joue au violon (alors qu'ils ont été composées pour le piano) des pièces d'une beauté tantôt sémillante tantôt mélancolique d'Erik Satie. L'alliage du texte de Roland Dubillard et de la musique font échos au lien qui unit l'homme et le bovidé

Mais aucun bonheur n'étant sans mélange les choses se gâtent quand l'homme emmène sa dulcinée à Paris où ils entament ensemble un numéro de cirque. Dubillard, qui sait comme peu d'écrivains, décrire la délicate coexistence du tragique et du farfelu, ne croit guère en ses propres utopies. L'homme se jette dans un combat singulier avec lui même et doit déclarer forfait.


La saveur de la prose de l'auteur et la maitrise vertigineuse avec laquelle le violoniste interprète Satie font de ce spectacle une aventures de l'art des plus atypiques.

Jusqu'au 29 octobre Lucernaire tel 01 45 44 57 43

vendredi 26 août 2011

Thomas chagrin de Will Eno

Un homme occupe un plateau plongé dans le noir puis parcimonieusement éclairé. Des paroles jaillissent des gouffres de son être. On comprend vite qu'il ne parle sans fin que pour endiguer sa douleur. Sa difficulté à sortir de l'enfance est évidente. Parmi les souvenirs qui rappliquent il en est deux dont l'obsession le tenaille : la disparition de son chien alors qu'il était tout jeunot et sa rupture avec une femme pour laquelle il débordait de tendresse et lui apparaissait évidement aussi comme de la chair à fantasmes. Le jeune auteur dramatique américain Will Eno n'est pas né de la dernière giboulée qui sait qu'une séparation subie coupe non seulement de l'autre mais aussi de soi.


Afin de ne pas avoir le sentiment trop vif de partir en capilotade, l'homme qu'interprète Adrien Melin, acteur d'un talent vigoureux dont la voix force l'écoute, s'adresse à maintes reprises à des spectateurs puis n'attendant aucune réponse se remet à parler d'abondance, gambadant d'un sujet à l'autre. Ne croyez surtout pas que le désespoir étiré jusqu'à la folie qu'il manifeste de la sorte a sur le public un effet dévastateur. Le mic-mac mental de ce personnage en crise et certaines de ses réflexions telle que " plaisir d'amour ne dure qu'un instant, herpès d'amour dure toute la vie" provoque des rires irrépressibles. Finement dirigé par Gilbert Desveaux, Adrien Melin prend les mots au collet et dévoile autant le malaise que l'auto-apitoyament forcément grotesque qu'ils contiennent.

Jusqu'au 22 octobre Théâtre Les Déchargeurs tel 08 92 70 12 28

Thomas chagri de Will Eno

jeudi 25 août 2011

Plume de Henri Michaux

Dans la moisson de chefs d'oeuvre qu'Henri Michaux nous a légués, Plume occupe une place à part. Il n'y décrit pas comme dans Ecuador ou un Barbare en Asie un voyage dans les lointains ou en utopie mais s'attache à un personnage multiforme et virevoltant qui puisse dans ses propres particularités. Poète d'immense envergure, il se défie des fausses évidences et invente une flopée de récits où le dénommé Plume est totalement désancré de la réalité. Des tempêtes ne cessent de s'abattre sous son crane.

Il n'arrête au cours de ses pérégrinations d'en prendre plein la gueule et même d'être tué. Il lui arrivera même d'être mort le ventre ouvert par un obus... Mais l'auteur n'arrivant pas à s'en débarrasser il est increvable. Ce qui peut s'expliquer par le fait que l'écrivain, originaire d'une Belgique qu'il détestait, était dans sa jeunesse une sorte de Plume.

Alain Macé assure à cet énergumène un relief saisissant. Il en fait un "héros" keatonnien qui échappe, tout surpris, aux situations les plus périlleuses. L'inspiration mélodique de Dayan Korolic, le compositeur et guitariste qui l'accompagne tout au long de ses mésaventures, est pour beaucoup dans le bonheur que procure le spectacle.

Succession de diamants parfaitement taillés, Plume apparaît à travers cette représentation pour ce qu'il est à savoir une oeuvre majeure d'un siècle où triompha la folie.

Jusqu'au 29 octobre Les Déchargeurs tel 08 92 70 12 28

vendredi 5 août 2011

Bussang 2011

Fondé en 1895 par Maurice Pottecher qui s'était fait un devoir d'instruire les ouvriers de l'usine familiale, le théâtre en bois de Bussang est comme chaque été un lieu de réjouissances théatrâles où professionnels et amateurs font cause commune.

Cette année au programme les après midi "Le brames des biches" de Marion Aubert que met en scène le maître des lieux, Pierre Guillois et les soirs "Grand fracas issu de rien" concocté par le même capitaine de vaisseau dont le mandat touche à sa fin.

Dans Le brame des biches l'auteure a l'ingénieuse idée d'imaginer ce qu'était la vie de la constellation familiale d'un capitaine d'industrie vosgienne et des ouvriers qui trimaient 15 heures par jours à l'époque où cet excellent homme qu'était le créateur du lieu le fit construire. Tandis que la misère étend ses ravages chez les hommes et femmes passés du travail des champs à celui de quasi esclaves dans l'usine de textiles, Mathilde, l'épouse du grand patron est en proie à ce que Marion Aubert appelle des poussées d'extravagance. Sorte de double de madame Bovary elle ne cesse de déplorer le vide de son existence et transforme la vie de son époux et de ses domestiques en enfer.Tout au long de la première partie pourtant zébrée de scènes savoureuses, on est agacé par la trop grande abondance de mots et le convenu du propos. La deuxième partie du spectacle est nettement plus réussie car Marion Aubert torpille enfin les situations et que Pierre Guillois s'autorise à déployer son goût pour le grand guignol et le fantastique bouffon. Ah! cette vision du grand manitou des lieux et de l'un de ses subalternes qui, suspendus à des fils. se disent leur amour ...

Le spectacle doit le plus gros de son charme à Jean-Paul Muel, succulent Monsieur Loyal et à l'excellence de trois comédiennes (dont deux sont de fortune). Si malgré ses défauts cette reconstitution fantaisiste à une si grande force de résonance c'est évidement que la guerre sociale a ces dernières années ,depuis l'élection de notre actuel président, repris de plus belle.


Grand fracas issu de rien lorgne, lui, vers le cabaret. Succession de numéros exécutés par une cantatrice, un jongleur, un acrobate et un percussionniste de la meilleure veine, le spectacle aurait gagné à être fertilisé par un texte qui rassemble ces différents talents. Ce que ne peuvent faire des extraits de l'oeuvre de Novarina dont un acteur entrelarde la représentation. Des incrustations numériques sur un voile en tulle apportent heureusement son lot de magie à la soirée.

Théâtre du Peuple 88540 Bussang Jusqu'au 27 août tel 03 29 61 50 48

mardi 12 juillet 2011

festival de la correspondance Grignan

Superbe idée que d'ouvrir ce festival qui met, cette année, en valeur les lettres des écrivains russes par la fin de TolstoÏ, l'un des plus considérables d'entre eux. A 80 ans, après avoir partagé pendant prés d'un demi siècle sa vie avec Sophie qui lui donna une dizaine d'enfants, il dételle. Fais comme les acteurs un peu cabot une sortie remarquée. On assistera ensuite, via des missives du grand homme et des extraits du journal tenu par sa femme, à la vie de ce couple en perpétuelle désintégration. La surprise est que Sophie n'a rien d'un esprit borné, comme le faisait sous entendre le génie avec lequel elle partagea sa vie. Elle fut en revanche l'exemple même de la femme rompue. Il suffit de lire Anna Karénine pour apprendre en quel piète estime il tenait la gente féminine.

Leurs relations furent pourtant au départ enivrées de passion. Mais l'arrivée d'une nombreuse progéniture et le deuil irrémédiable de Sophie à la disparition prématurée de trois de leurs fils ruinèrent leurs liens. Il fait ajouter à ces événements que le pessimisme de Tolstoï s'exaspéra lors de leur installation voulue par sa femme à Moscou. Responsable de la mise en espace, Ladislas Chollat a réalisé un travail d'orfèvre, saisissant avec un égal discernement l'aspiration à la sainteté et le peu de cas qu'il faisait des siens le géant de la littérature que les abîmes intimes de son épouse. La proximité artistique de ces comédiens d'élite que sont Michel Aumont et Josiane Stoleru est, l'on s'en doute, pour beaucoup dans l'immense plaisir que le public prit à ce dialogue de sourd.

Autre lecture qui aura marqué les esprits :celle que fait sous la direction subtile de Richard Brunel, Norah Krieff de "vivre-écrire-vivre" adapté par Véronique Olmi de textes de Marina Tsvetaeva, poète discrètement majeure qui passa une partie de sa vie à Prague, une autre dans la région parisienne avant de revenir à Moscou et de connaître le mauvais sort fait aux artistes par Staline puis de mettre fin à ses jours. Lorsqu'elle écrit les lignes qui ont été si admirablement lues la vie lui est un enchantement. Elle s'est établie en Tchecoslovaquie et vit, comme elle le fera à maintes reprises, un amour fou. On imagine sans peine que l'objet de cet amour prit la poudre d'escampette...

Anne Rotenberg, qui assure avec ardeur et réserve la direction artistique du festival, a porté son choix sur d'autres grands irradiés des mots tels que Maïakovski, Ossip Mandelstram, Tourgueniev dont des textes, auxquels notamment Muriel Mayette, Samuel Labarthe, Xavier Gallais et Sabine Haudepin prêtent leur souffle et leur voix, ont été donnés à entendre.

L'année prochaine le festival tournera autour de lettres écrites par des philosophes. Comme c'est la même initiatrice de ce festival qui les choisira il y a de grandes chances qu'll soit d'une qualité égale à celui si dense de 2011

Festival de la correspondance du 6 au 10 juillet tel 04 75 46 55 83

vendredi 8 juillet 2011

Hamlet de Shakespeare

Les fêtes nocturnes du château de Grignan attirent pendant prés de deux mois un public nombreux. Il est un fait que le cadre est enchanteur et le choix de la pièce d'une renommée généralement assez grande que pour déplacer les foules. Il est donc parfaitement inutile de demander qu'une vedette soit installée en haut de l'affiche. C'est pourtant ce qui se produit cette saison où le rôle si décisif, si convoité d'Hamlet a été confié à Philippe Torreton qui non seulement n'a plus l'âge de jouer les ados terribles mais surtout pour qui la mélancolie dont est affligée le prince d'Elseneur semble être "terra incognita"

Acteur indéniablement talentueux il ferait un fabuleux D'artagnan mais sa vélocité, comme son penchant à l'efficacité empêchent qu'on puisse se persuader qu'il est prisonnier de la folie qui loge en lui. Jean-Luc Revol, à qui a été confiée la mise en oeuvre a tiré de nombreuses scènes un excellent parti mais a aussi, dans l'adaptation de cette pièce beaucoup trop longue pour être montée dans son intégralité, eu la fâcheuse idée de privilégier les monologues au demeurant grandioses du vieil enfant que l'assassinat de son père a laissé inconsolé. Le spectacle pâtit de plus des trop nombreux blocs d'action qui le parsème. Du coup les scènes si captivantes du complot que fomentent Claudius l'usurpateur et Laerte, (que la mort de son père et de sa soeur Ophélie ont rendus fou de douleur et de courroux) pour réduire Hamlet au silence passent à l'as. Ce qui est d'autant plus navrant que Claudius est incarné par Georges Claisse et Laerte par Cyrille Thouvenin, deux comédiens à qui les spéculations inquiètes de Shakespeare sur la nature humaine ne font pas peur. Bien qu'handicapée par une coiffe trop altière Catherine Salviat compose, quant à elle, une Gertrude que son mélange d'incrédulité et de mauvaise foi nous rend - et c'est peu fréquent- extrêmement proche.

On ne dira rien de la traduction de Jean-Michel Desprats sauf qu'on l'a connu mieux inspiré. Les lumières de Bertrand Couderc apportent en revanche à cette tragédie familiale un supplément d'âme.

Jusqu'au 20 août Château de Grignan tel 04 75 9183 65

samedi 25 juin 2011

Les brigand de Jacques Offenbach

Disons le d'emblée Les Brigand n"est pas mais alors pas du tout de la qualité de La vie parisienne du même Offenbach. Si cet opéra bouffe appartient aux forces vives de la culture française et que le public se réjouit en écoutant des rengaines populaires dont il est familier depuis l'enfance, il aurait - il suffit d'écouter les commentaires durant les entractes - su gré à Macha Makeïeff et à Jérôme Deschamps, les deux maîtres d'oeuvre, d'élaguer un texte long et répétitif.

Par ailleurs, on en est averti depuis belle lurette, les responsables de l'Opéra comique qui s'étaient déjà dans les années 90 attaqués à ces Brigands obsédés par les pépètes mais finalement bons gars, dirigent de main de maître leurs acteurs-chanteurs. La forte identité des costumes contribue, elle aussi, à la presque réussite de l'entreprise.

On le sait pertinemment :là où les deux metteurs en scène sont le plus à leur affaire est lorsqu'ils tournent les situations en dérision. Il est deux scènes : celle de la maréchaussée abonnée aux mauvaises pioches et celle des espagnolades où un faux hidalgo fait la roue suffisent à se payer des tranches de rire.

Un spectacle plaisant mais qui ne laissera, à l'exception de scènes particulièrement truculentes, guère de souvenirs.

Jusqu'au 5 juillet Opéra Comique tel O8 25 01 01 23

dimanche 12 juin 2011

De beaux lendemains de Russel Banks

L'enfer est, on nous l'a répété à satiété, pavé de bonnes intentions. Il suffit pour en être à jamais convaincu d'assister à une représentation de "Croisades" de Michel Azama que jouent "comédiens" palestiniens et israéliens pour être convaincu que la générosité d'un propos n'empêche pas qu'on soit dès les premièrs instants face à un spectacle hurlant de ringardise. Il en va tout autrement de l'adaptation pour la scène qu'a réalisé Emmanuel Meirieu du roman de Russell Bank "De beaux lendemains" à propos duquel le mot chef d'oeuvre n'est pas déplacé.

Dans une région de l'Est américain saisi par un hiver rigoureux, un car scolaire verse dans un ravin. Quatorze vies d'enfants sont abolies. La pièce est, comme le roman, composé de quatre témoignages de personnes que la tragédie a laissée dans un marasme dépressif. Il s'agit de la conductrice du bus, d'un père envahi par sa mémoire et son corolaire la culpabilité, d'un avocat new yorkais venu défendre les parents des victimes alors qu'il a lui-même été acteur d'une affaire méandreuse et une adolescente que l'accident a laissée handicapée. Plus que de la catastrophe qu'elle vient de vivre elle se remémore combien elle a été victime de la sexualité déjantée de son père, un homme respecté dans la communauté.

Il fallait pour permettre aux spectateurs d'entrer dans la forêt des pensées de ces êtres au bord de l'effondrement psychique un casting de premier plan. Ont donc été choisis des acteurs de la force et de la singularité de Catherine Hiegel, Carlos Brandt, Redjep Mitrovista et Judith Chemla qui entonne d'une vois séraphique une chanson qui nous laisse une ombre au coeur.

Commence pour tous quatre mais aussi pour tous ceux touchés par la tourmente l'appréhension face à des lendemains inconnus

De beaux lendemains Jusqu'au 26 juin Théâtre des Bouffes du Nord tel 01 46 07 34 50
Croisades Jusqu'au 3 juillet Salle de répétition du Théâtre du Soleil tel 01 43 74 24 08

mardi 7 juin 2011

Loin d'eux de Laurent Mauvignier

Nombreux sont les passionnés de littérature qui considèrent - selon moi à juste titre - que Laurent Mauvignier est, du fait de sa voix discordante, l'un des seuls écrivains français digne de cette appellation.

Chacun des membres d'une famille affronte à sa manière cette sévère épreuve sentimentale et psychique qu'est le suicide d'un adolescent. Chacun tente d'expliquer la tristesse sans recours qui était celle du disparu. Celui-ci, comme ses proches, prend lui-même la parole. Celle-ci passe d'une bouche à l'autre. Mais de ce concert de mots la seule réponse qui apparaisse est que la vérité est par nature inconnaissable.

On savait Luc ulcéré par la soumission des siens à l'ordre établi. On se souvient de lui alors que drapé dans la bannière de la colère, il manifestait aux côtés des perdants de l'Histoire.Il appartenait pour son malheur, à une génération qui avait abjuré ses rêves de lendemains qui chantent. Ce qui est loin d'expliquer le geste de ce garçon d'origine prolétaire qui le commis sans doute à la suite d'un désastre intime. Peut-être, mais rien n'est sûr, le mariage de sa cousine, l'unique personne avec laquelle il se sentait de connivence. Seul semble évident que ce sont les mots, les secrets enfouis au plus profond qui auront eu raison de lui. L'absurde des remarques parfois provoque des rires. Que les uns trouvent salutaires, les autres gênants


Seul sur un plateau d'une impressionnante vastitude, Rodolphe Dana a le physique massif de ceux qu'on appelle les gens du peuple. Si ses mots manquent parfois d'intensité, s'il ne montre pas encore assez les failles de ce monde endeuillé, il ne fait pas de doute qu'il arrivera à ôter la carapace qui le protège pour montrer davantage la fragilité de ceux qui apprennent combien pèse lourd le passé des morts.

Jusqu'au 1er juillet 21h Théâtre de la bastille tel 01 43 57 42 14

dimanche 29 mai 2011

Mille francs de récompense de Victor Hugo

Pièce de Victor Hugo qui pour des raisons obscures avait été mise en veilleuse, "Mille francs de récompense" méritait la redécouverte. Les personnages centraux en sont les membres d'une famille qui de la gêne sont tombés dans la pauvreté et que la misère guette. Survient par un heureux hasard un certain Glapieu, pauvre diable qui après avoir commis quelques larcins a décidé de devenir un honnête homme et qui va s'échiner à sortir les malheureux de la mouise et surtout des griffes d'un puissant escogriffe qui "tartuffie" à tout va.

L'écrivain a, on le sait, l'art d'entretenir la flamme du romanesque. Il n'hésite donc pas a tisser des noeuds relationnels compliqués. Avec son lot de péripéties il penche déjà vers le théâtre aux rebondissements sans fins de Feydeau. Sauf que chez lui le tragique constamment tutoie le farfelu. Comme le faisait justement remarquer la personne qui m'accompagnait la pièce apparaît comme une parodie de mélodrame. Les méchants sont des horreurs tandis que les gentils le sont jusqu'à l'excès.

Ce qui frappe le plus, outre une distribution qui mérite un coup de chapeau collectif, est la scénographie de Chantal Thomas. Somptueuse. Les costumes noirs et gris ne le sont pas moins. Alors que quand il mit en scène, il y a peu, à la Comédie Française, L'opéra de quat'sous de Brecht, Laurent Pelly ne se montra guère à la hauteur de la tâche, il tient cette fois fermement les rênes.On ne peut que l'approuver quand il rappelle avec cette oeuvre de l'acrobate du verbe et écrivain engagé qu'était Hugo que les années de la Restauration où elle se situe n'est pas sans rappeler nos temps néo-libéraux et son retour violent des inégalités.


En dépit de quelques monologues dont la longueur en exaspérera plus d'un, cette vision de l'humanité si proche de celle des Misérable est- du moins pour ceux qui ne recherchent pas à tous prix des spectacles farouchement novateurs - un véritable festin

Jusqu'au 5 juin Odéon - Théâtre de l'Europe tel 01 44 85 40 40

jeudi 26 mai 2011

Fin de partie de Samuel Beckett

Grise est la couleur de l'univers Beckettien. Un individu plié en deux se déplace entre un aveugle paraplégique, qu'il débarrasse du drap qui le recouvre, et deux poubelles dans lesquelles deux petits vieux finissent leurs jours. Il apparaît vite que Clov, l'homme qui apparaît en premier est au service de Hamm, l'infirme dont il est peut être le fils alors que Nagg et Nell les deux personnages éprouvés par les années, sont les parents de l'individu aux paroles fétides incapable se mouvoir mais qui ne cesse de faire du foin.

On pourrait au vu d'un tel tableau imaginer qu'on est en pleine sinistrose. Il n'en est rien. Beckett a cet humour caustique et souvent cru propre aux anglo-saxons. Et l'on se surprend fréquemment à être saisi de rire.Il est aussi des scènes déchirantes tel ce ultime dialogue de Nagg et de Nell. Puis elle meurt tandis qu'il s'enfouit dans sa poubelle. Les femmes n'occupent qu'une place menue dans l'oeuvre de l'écrivain irlandais. La seule figure féminine d'importance qu'on puisse repérer dans sa production est la Winnie d'"Oh les beaux jours" enterrée jusqu'au cou dans un gros mamelon...

Les rapports de pouvoir qui unissent Hamm et son souffre-douleur lequel finira par se rebiffer sont l'ossature de cette Fin de partie. Les paroles hagardes, les souvenirs embrumés et surtout la hargne virulente de celui à qui il a voué sa vie finiront par convaincre Clov de "gagner la sortie"

Serge Merlin, Jean-Quentin Châtelain tout comme Isabelle Sadoyan et Michel Robin sont plus que parfaits. Tous quatre semblent avoir déposés leurs bagages de connaissances du métier pour prendre un essor nouveau. Cela grâce à Alain Françon qui rentre dans le fil de ce texte dont il a, plus que quiconque, l'intelligence.

Jusqu'au 17 juillet Théâtre de la Madeleine tel 01 42 65 07 09

mardi 17 mai 2011

Danse "delhi" de Ivan Viripaev

On entre sans crier gare dans le vif du sujet. Dans une salle d'attente d'hôpital une infirmière ou une amie annonce une mort. La séquence se clôt par la signature de l'acte de décès. Ce qui se reproduira au cours des sept courtes pièces qui composent le spectacle Voilà qui a l'air bien éprouvant. Mais ne l'est pas tant les sentiments qu'inspirent aux survivants cette situation sont inattendus. Ces variations autour de la finitude étincellent même parfois d'humour, pas de cet humour noir dont sont friand les anglos-saxons mais de celui qui jaillit dans des circonstances où l'on se sent tout ensemble concerné et étranger.

Au centre des histoires une danse - qu'on ne verra pas mais a été composée par une chorégraphe inspirée par la misère qu'elle a côtoyé dans la capitale du sous continent indien - qui a marqué au plus profond tout les personnages qui occupent le plateau. Seule la mère de la jeune femme se montre hostile à cette danse dite de Delhi. Ce qui nous vaut des scènes d'affrontement mère-fille d'un comique vinaigré. La soudaine passion de la jeune artiste pour un homme marié inspirera à sa virulente génitrice des jugements tout aussi inconsidérés. Quand l'épouse de l'élu du coeur de sa fille tentera de mettre fin à ses jours, elle prendra fait et cause pour la femme délaissée. Au cours d'une autre scène deux proche d'une femme qui vient de s'éteindre sont prise de cet inextinguible fou-rire qui saisit ceux dont la tension atteint de tels sommets qu'ils perdent tout contrôle d'eux même.

Certains émettront des réserves quant à la scénographie extrêmement étudiée, d'autres reprocheront l'aspect parfois didactique du texte. On ne peut toutefois nier que le théâtre du dramaturge russe Ivan Viripaev possède un réel pouvoir d'attraction et que les constructions de ses pièces (on avait déjà monté de lui en France un autre de ses écrits qui a pour titre Oxygène) sont totalement novatrices. Excellemment dirigés par le metteur en scène Galin Stoev, Océane Mozas, Caroline Chaniolleau et Marie-Christine Orry ont toutes des moments grandioses.

Juqu'au 1er juin La colline tel 01 44 62 52 52

samedi 14 mai 2011

Les créanciers d'August Strindberg

Ecrit trois semaines après qu'il ait achevé Mademoiselle Julie (donné en alternance) Les créanciers était considéré par son auteur comme sa pièce la plus aboutie de la période où il enchainait les tragi-comédies. Il est exact qu'il y franchit un cap supplémentaire dans la peinture des liaisons tumultueuses. Sa conscience des rapports de force qui lient les couples n'a jamais été aussi acérée.

Le spectacle s'ouvre sur un scène insolite. Tout en poursuivant son oeuvre un artiste dévoile ses tourments amoureux à un ami. Celui-ci goûte manifestement la situation et prend plaisir à l'envenimer. Fin lettré il critique, avec des arguments souvent mesquins, le roman écrit par la compagne de son confident. Personnage privé de volonté, celui-ci gobe la moindre de ses fielleuses remarques. Les scènes suivantes seront celles des faces à faces de l'artiste et de sa maternante maîtresse puis de cette dernière avec l'homme qui -elle l'ignore - est venu semer la zizanie dans son couple. Le fin mot de l'affaire ne tardera pas à apparaître. Maître de la duplicité, l'ami a, on le comprend vite, travesti son identité. Wladimir Yordanof investit ce rôle avec une précision et une délectation confondantes. Clara Simpson joue sa partition avec un égal talent.

Bien que d'une sobriété exemplaire, la mise en scène de Christian Schiaretti aurait méritée d'être davantage fouillée. Ainsi l'apparition en majesté du personnage incarné par Clara Simpson évoque t'elle trop celle de Nada Stancar dans Père du même Strindberg qu'il monta il y a quelque trois ans. On peut de même regretter qu'il ne se soit pas donné le temps de permettre à Wladimir Yordanoff de montrer son personnage sous son jour plus vulgaire. Metteur en scène extrêmement doué Schiaretti multiplie, sans doute, trop les projets que pour les parfaire.

Jusqu'au 11 juin (en alternance avec Mademoiselle Julie) La Colline tel 01 44 62 52 52

On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de Musset

Camille et Perdican sont cousins et promis depuis leur plus jeune âge l'un à l'autre. Leur parent, un marquis qui a payé leurs études et croit avoir autorité sur eux, se réjouit de les marier dès leur arrivée chez lui après dix ans passés dans des lieux où les enfants de haut lignage apprennent que leur appartenance sociale n'est pas du pipeau. Le bon tonton déchantera vite. Si Perdican ne vit que dans l'ivresse du souvenir, Camille lui bat froid.

Alfred de Musset possède non seulement une langue d'une beauté inaltérable, il connaît aussi comme sa poche les tours, détours et ambivalences du sentiment amoureux.Alors que Lorenzaccio, le personnage le plus célébré de cet écrivain d'un romantisme écorché camoufle sous des bouffonneries son attirance pour un duc sanguinaire, Camille éprouve, comme le montre une lettre qu'elle tente de lui faire parvenir, les sentiments les plus doux à l'égard de sa compagne de cellule dans le couvent où elle a été élevée et compte finir ses jours. Mais Perdican, qui a reçu comme un coup au plexus la révélation que son amour semble à sens unique, décide - afin de rendre jalouse celle qu'il considérait déjà comme sienne -de séduire Rosette, soeur de lait de Camille , une fille de la campagne évidement sans fortune.Si Musset sait pertinemment que l'amour n'est pas toujours tendre, il ne doute pas non plus que les sans fortune se font toujours avoir.

Mi -ange, mi-démon, Camille saura jouer de son ascendant sur son cousin. Alors qu'à son début la pièce est semée de pointes d'humour, son climat se fait de plus en plus cruel. Si la mise en scène d'Yves Beaunesne souvent picturale et de bout en bout d'une immense finesse et le décor spartiate contribuent pour une large part au succès de la représentation ce sont surtout les comédiens qui la rendent subjuguante. Roland Bertin, qui revient le temps d'un rôle au Français, prouve par son jeu d'une délectable extravagance combien il manque à la troupe. Quant à Marie-Julie Parmentier et à Suliane Brahim, elles ont toutes deux ce qu'on n'ose que du bout des lèvres appelé la grâce. Pour ce qui est de Loïc Corbery, son mélange de fraïcheur, de vibrations intérieures et de métier en font un artiste de tout premier plan.

Jusqu'au 26 juin Théâtre du Vieux-Colombier tel 01 44 39 87 19

jeudi 12 mai 2011

On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de Musset

Camille et Perdican sont cousins et promis depuis leur plus jeune âge l'un à l'autre.. Leur parent, un marquis qui a payé leurs études et croit avoir autorité sur eux, se réjouit de les marier dès leur arrivée chez lui après dix ans passés dans des lieux où les jeunes gens de haut lignage apprennent que leur appartenance sociale n'est pas du pipeau.. Le bon tonton déchantera vite. Si Perdican ne vit que dans l'ivresse du souvenir, Camille lui bat froid.


Alfred de Musset possède non seulement une langue d'une beauté inaltérable, il connaît aussi les tours, détours et ambivalences du sentiment amoureux. Alors que Lorenzaccio, le personnage le plus célébré imaginé par cet écrivain d'un romantisme écorché, camoufle sous des bouffonneries son attirance pour un duc sanguinaire, Camille éprouve, comme le montre une lettre qu'elle tente de lui faire parvenir, les sentiments les plus doux à l'égard de sa compagne de cellule dans le couvent où elle a été élevée et compte finir ses jours. Mais Perdican qui a reçu un coup au plexus en apprenant que son amour semble à sens unique, décide - afin de rendre jalouse celle qu'il considérait déjà comme sienne - de séduire Rosette, soeur de lait de Camille, une fille de la campagne évidement sans biens. Si Musset sait pertinemment que l'amour n'est pas toujours tendre, il ne doute pas non plus que les sans fortune se font toujours avoir.

Mi- ange, mi-démon, Camille saura jouer de son ascendant sur son cousin. Alors qu'à son début la pièce est semée de pointes d'humour, son climat se fait de plus en plus cruel.Si la mise en scène d'Yves Beaunesne souvent picturale et de bout en bout d'une immense finesse et un décor spartiate contribuent pour une large part au succès de la représentation ce sont surtout les comédiens qui la rendent subjuguante. Roland Bertin, qui revient le temps d'un rôle au Français, prouve par son jeu d'une délectable extravagance combien il manque à la troupe. Quant à Marie-Julie Parmentier et Suliane Brahim, elles ont toutes deux ce qu'on n'ose que du bout des lèvres appelé la grâce. Pour ce qui est de Loïc Corbery son mélange de fraîcheur, de vibrations intérieures et de métier en font un artiste de tout premier plan.

Jusqu'au 26 juin Théâtre du Vieux- Colombier tel 01 44 39 87 19

vendredi 6 mai 2011

Yakich et Poupatchee de Hanokh Levin

Pas sûr que cette pièce, disons plutôt cette farce grivoise, du champion de la provocation qu"était l'auteur dramatique israélien Hanokh Levin méritait d'être montée. Un garçon d'une affligeante laideur se lamente sur son sort de célibataire. Mandé par ses envahissants père et mère un marieur - comme il en existait dans les communautés juives d'antan mais aussi dans la Russie des tsars comme le montre Gogol dans Mariage - lui dégotte une fille d'un âge plus très tendre et d'un physique particulièrement peu attrayant . Les deux couples de parents vont, vite fait mal fait, marier leurs incasables rejetons qui, eux, ne défaillent pas de joie, Ne se considèrent pas à la noce.

Consommer le mariage se révèle pour l'infortuné marié inenvisageable. Frédéric Bélier Garcia a eu l'idée salutaire de faire baigner cette pochade dans le climat turbulent et ensoleillé des comédies à l'italienne. Les femmes sont toutes d'une hystérie rayonnante.
En particulier une vestale, qui semble droit sortie d'un film du maestro Fellini ,dont le physique prétendument dévastateur et en réalité puissamment enrobé, serait susceptible d'éveiller la libido de l'époux,. La pièce ensuite tourne hélas, en rond. Une ronde malicieuse des protagonistes comme leur verve batailleuse l'empêchent heureusement de s'enliser.

Comme dans tous ses écrits l'auteur dépeint des relations familiales explosives. Le metteur se devait donc de choisir des acteurs comme on dit de tempérament. Ce qui est le cas de beaucoup (notamment de Christine Pignet, Ophélia Kolb, Ged Marlon, Paul Minthe, Jan Hammenercker) mais, c'est bien fâcheux, pas de tous.Un décor disons bizarroïde, conçu pourtant par Sophie Perez et Xavier Boussiron qu'on a connus mieux inspirés, n'aide pas le spectacle pourtant intelligemment mis en scène à prendre son envol. Et si Frédéric Bélier Garcia était davantage à son affaire quand il s'attaque à des textes de plus grande envergure tel que Liliom de Ferenc Molnar dont l'effet hypnotique persiste?

Jusqu"au 10 mai Nouveau Théâtre de Montreuil tel 01 48 70 48 90
Du 19 au 21 mai Théâtre de La Criée -Théâtre National de Marseille

vendredi 29 avril 2011

Le Moche de Marius von Mayenburg

Un chercheur au savoir lumineux doit tenir une conférence sur ses dernières investigations scientifiques. Il apprend, médusé, que son assistant est chargé par la direction de faire l'exposé à sa place. Cela pour la "bonne" raison que la laideur de ses traits est telle qu'elle risque fort d'avoir un effet désastreux sur les industriels susceptibles de rentabiliser les fruits de ses travaux. Ne lui reste plus qu'à se faire refaire le visage. L'opération de chirurgie esthétique est un tel succès que notre savant, à présent beau comme un camion, devient un objet de convoitise pour toutes les femmes - et hommes- qu'il croise. Il en tire, on ne s'en étonnera pas, un énorme bénéfice narcissique. Mais il lui faudra aussi accommoder sa morale à cette nouvelle donne.

Jeune prodige du théâtre allemand, Marius von Mayenburg (dont deux pièces, "Visage de feu" excellemment monté par Sylvain Creuzevault et "La pierre" dont s'était emparé avec bonheur Bernard Sobel, ont eu en France un retentissement certain) a l'art de faire de chacun de ses écrits une métaphore de notre société accro au seul profit. Il stigmatise ici autant le diktat de l'attrait physique, que le clonage et l'exploitation par un capitalisme hors de tout contrôle du domaine de la recherche. Pas pessimiste pour autant le dramaturge semble persuadé que l'esprit néo- libéral qui aujourd'hui sévit ne peut qu'être balayé par l'héritage mythologique dont nous sommes tous dépositaires. Au cours d'une scène d'une beauté à couper le souffle deux hommes à qui un charlatan a façonné le même visage restent longuement embrassés. Le mythe de Narcisse est plus fort que le diable qui veut faire de chacun de nous un consommateur éffrené de biens matériels.

Jacques Osinski titre un formidable parti de l'hétérogénéité de son casting . Bien qu'ils jouent sur un espace ridiculement réduit, les quatre comédiens, Frédéric Cherboeuf, Jérôme Kircher, Delphine Cogniard et Alexandre Steiger sont irrésistibles d'immoralité souvent cocasse.

Du même auteur "Le chien, la nuit et le couteau" emporte nettement moins l'adhésion. Sorte de cauchemar à la Kafka, elle apparait si comateuse et répétitive qu'elle donne un sentiment d'inachevé. Cela malgré la performance de Denis Lavant qui s'y entend comme personne pour jouer les bonhommes déphasés, qui ne comprennent goutte à ce qui leur arrive.

Jusqu'au 22 mai Théâtre du Rond- Point tel O1 44 95 98 21 Les textes sont parus aux Editions de l'Arche

vendredi 22 avril 2011

Tres Miguel-Ange concert spectacle

Une salle minuscule mais pleine de charme dont personne ne connaît l'existence. Un musicien électro-pop inventif en diable. Un travesti,, perruque oxygénée et écarlate, doué d'une nature véhémente - à moins qu'il n'ait gobé des quantités industrielles d' amphétamines - qui de sa voix prenante enchaine des chants espagnols enfouis dans la mémoire qu'on redécouvre remplis d'aise.On pense à Comment j'ai fait pour mériter ça et à Femmes au bord de la crise de nerfs de cet amoureux des personnages baroques qu'est Pedro Almodovar.

L'oeil fripon, Miguel-Ange se pavane dans toute sa cocasse majesté, lance des plaisanteries le plus souvent gaillardes, prépare une tortilla, vante la somptuosité d'un show appelé Carolina dont il est évidement la vedette. Sa féminité exacerbée comme son intarissable volubilité provoquent des rires sans fin. En réalité ils ne sont pas sans fin puisque des films d'archives ponctuent le début de la représentation. On y voit Hitler et le caudillo Franco s'entendre comme larrons en foire puis, résultat de cette belle entente, des paysages de villes dévastées. Des images de la tentative de coup d'état militaire qui eut lieu en 1981 au parlement de Madrid donnent également de sérieux indices sur les engagements politiques de l'amuseur à la faconde joyeusement canaille. D'autres films sont projetés qui sont ,eux, d'une désopilante absurdité.

Dans la dernière partie de ce spectacle d'une si radicale incongruité Miguel Ange reprend sa dégaine masculine à laquelle il donne un fringant sans pareil. C'est peu dire que sa prestation fait impression. Elle est d'un artiste tous terrains..

Tous les jeudis jusqu'au 19 mai Théâtre Laurette, 36, rue Bichat 75010 Paris tel 08 99 15 37 16

mardi 12 avril 2011

Padam, padam!

Entourée de trois instrumentistes sacrément talentueux, Isabelle Georges chante de sa voix claire, énergique et entraînante Padam, padam, l'un des plus considérables succès de la môme Piaf.Alors que l'on croit que la vie chaotique de la dame va, une fois de plus, nous être contée, c'est celle du compositeur Norbert Lanzberg que le show va nous faire découvrir.

Né au début du 20e siècle dans une famille juive démunie de Galicie, le jeune prodige tente sa chance en Allemagne puis à Paname, notamment dans les accueillantes maisons closes de l'époque. L'arrivée des troupes du Reich en font un réprouvé.
Il devra sa survie à Marie Bell qui, proche d'un officier de la Wehrmacht, arrive à organiser sa fuite. Pas rancunier, il sauve des mains des épurateurs ces collabos notoires que furent Mistinguet et Maurice Chevalier.

Après ces années noires ses chansons reçoivent un accueil enthousiaste bien sûr de Piaf mais aussi d'Yves Montand, Collette Renard et plus près de nous de Catherine Ringer ou Arthur H. Jean-Luc Tardieu relate le déroulé de la vie de cet homme enivré de passions mélodiques avec un entrain contagieux. On reste confondu devant ce spectacle certes léger mais qui évoque aussi un temps où, comme aujourd'hui, la démagogie xénophobe s'étalait sans complexes

Gaité-Montparnasse tel 01 43 22 16 18

lundi 11 avril 2011

Le gorille d'après Kafka

Dans La Métamophose Kafka s'identifie à un homme qui, un matin se découvre transformé en repoussant insecte. Dans, la nouvelle "Rapport pour une académie", il imagine un parcours à rebours. Après avoir été atteint de deux balles, un gorille est capturé au fin fond d'un lointain continent . Il est embarqué sur une bateau en partance pour l'Europe et enfermé dans une cage. A l'arrivée il a le choix de couler des jours lugubres dans un zoo ou de se produire dans un music hall. Il opte pour la seconde solution. Mais il lui faudra pour que cette marchandisation de l'animal qu'il est soit lucrative acquérir la parole, autrement dit se transformer en homme.


Devenu un individu prospère, il tente de se fondre dans le paysage, c'est-dire dans la jungle des humains. dont il découvrira sans tarder la dangerosité. Convoqué devant les augustes membres d'une académie, il exprimera, vent debout, son inadéquation au monde de ceux que l'écrivain Vercors surnomma Les animaux dénaturés.

L'homme-singe, que joue seul en scène, Brontis Jodorowsky, a la mémoire longue et les sens insurgés. On sait que le déracinement produit des pathologies sociales. Ce qui est vrai pour les humains, l'acteur en fait avec une puissance explosive la démonstration, l'est aussi pour ceux qui appartiennent au règne animal. Il ne connaître l'apaisement que dans les bras d'une petite guenon. Mais le regard d'animal domestiqué de son élue finira par lui porter sur les nerfs. Ce n'est que dans l'éructation qu'il puisera la force de faire face à ses ténèbres.

L'adaptation et la mise en scène de ce spectacle, qui fut joué avec succès il y a quelques mois et est repris aujourd'hui, sont l'oeuvre d'Alejandro Jodorowsky, artiste multidisciplinaire et père du comédien.

Petit Monparnasse tel 01 43 22 77 74

P.S. On apprend avec consternation qu'Olivier Py, à la tête du Théâtre de l'Odéon a été sommé de dégager. Etant nommé par Renaud Donedieu de Vabres on imagine très bien que ce dernier n'étant pas dans les petits papiers des dirigeants actuels, son protégé en a fait les frais. On peut ne pas apprécié Olivier Py, déploré la manière cavalière dont il a congédié certains collaborateurs de son prédécesseur Georges Lavaudant (notamment le remarquable Alain Desnot) mais on ne peut lui reprocher d'avoir failli à sa tâche. Sa programation mêlant anciens et modernes , français et étrangers est exemplaire. Luc Bondy qui occupera ses fonctions est un homme de théâtre estimé. Pourquoi dès lors ne pas lui avoir donné les rênes du festival d'Automne où Alain Crombecq n'a toujours pas de successeur?

jeudi 7 avril 2011

Poil de carotte de Jules Renard

François Lepic, 16 ans, porte le sobriquet de Poil de carotte. Lorsqu'il vient passer des vacances à la campagne où vivent ses parents qui ne s'adressent pas la parole, il devient le souffre-douleur de sa mère qui ne manifeste d'affection qu'à son autre fils. Cantonné à des travaux pénibles et invectivé à tous propos et même fréquemment giflé par sa génitrice, l'adolescent cherche par deux fois la douceur du néant. Monsieur Lepic est, lui, un homme qui n'a de goût que pour la chasse. Mais à l'occasion d'un incident, les échanges boiteux qu'il entretenait avec son cadet se font plus chaleureux. Lorsque la conversation (le temps fort du spectacle) prend fin, Poil de carotte a, pour la première fois de sa jeune existence, le regard en fête.


Si ce sauvetage par son père du fils humilié se révèle si touchant c'est que Grégory Gadebois et Benjamin Jungers y vont de tout leur talent qui est immense. Et que Philippe Lagrue, qui a oeuvré à la mise en scène, a dirigé les deux interprètes mais aussi leur partenaires féminines (Catherine Sauval et Coralie Zahonero) de main de maître.

Dans le roman de Jules Renard les réactions de Poil de carotte aux mauvais traitements qu'il subit sont bougrement plus cruelles et même perverses que dans la pièce qu'il en tira. Le garçon y est loin d'être, comme ici, une adorable victime. Si l'on peut regretter que cet écrivain de première grandeur ait ainsi gommé les aspects déplaisants d'un personnage qui ressemble comme deux gouttes d'eau à celui qu'il fut dans son jeune âge, les enfants qui assistent nombreux aux représentations sont, eux, bouche bée de ravissement. Cette plongée dans une famille paysanne telle qu'il n'en existe plus a l'inégalable qualité de leur faire découvrir les joies du théâtre.

Jusqu'au 8 mai Studio Théâtre de la Comédie française tel 01 44 58 98 58

dimanche 3 avril 2011

Frères du bled de Christophe Botti

Difficile de saisir ce qui a poussé Thierry Harcourt - dont a vu récemment une mise en scène plus qu'honorable du somptueux texte d'Anna de Noailles " Le visage émerveillé - à porter son choix sur une pièce aussi indigente que" Frères du bled". Spécialiste de spectacles sur l'univers gay gentiment licencieux mais pas déplaisants , Christophe Botti aligne cette fois les clichés. Observant à la loupe les membres d'une famille installée en France après avoir fui l'Algérie lors de son indépendance, il nous en révèle les abominables secrets. Secrets dont on avait deviné le contenu longtemps avant les personnages.


Après que la mère ait laissé une vingtaine d'années durant prospérer les malentendus, bonne fille, elle accepte, finalement, que la lumière jaillisse. Si Gabrielle Lazurre et Deborah Graal tirent leur épingle du jeu, il n'en va pas de même pour leur partenaires masculins. Il est des soirs où l'on se dit que plutôt que de se rendre au théâtre, on aurait été mieux avisé d'aller faire la bringue ou de goûter aux délices de Capoue

Jusqu'au 24 avril Vingtième Théâtre tel 01 43 86 O1 13 .

mercredi 30 mars 2011

De l'amour de Philippe Minyana

Deux couples de citoyens lambda, c'est à dire de névrosés aussi ordinaires que vous et moi, dont on observe une heure durant les bouffées de bonheur, les relations tempétueuses, le vieillissement, la disparition. De sa plume qui réserve toujours d'heureuses surprises Philippe Minyana en brosse un tableaux d'une précision hargneuse. Il pointe ce faisant le conformisme de la gent humaine. Emboitant (peut être sans le savoir) le pas à ce merveilleux cinéaste qu'était Jean-Daniel Pollet dont l'un des films a pour titre" La vie c'est gai, la vie c'est triste" il allie constamment, et pour notre plus contentement, la farce et l'épouvante.

Auteur d'une vive ironie, il nous met face à une femme qui ne parle que fringues y compris dans les moments les plus sombres "comment s'habiller pour un enterrement en été" se demande -t-elle lors de l'inhumation de son beau frère... Son mari se rappelle des moments bénis de son enfance quand lui, ses frères et cousins comparaient leur "zob". La vie de ces couples est faite d'accalmies et de turbulences existentielles. Ce qui serait banal si l'auteur ne possédait un art consommé de la rupture de ton et si des commentateurs n'y allaient de leurs remarques savamment effilochées

Un ami dans la débine vient demander de l'aide. Nos braves gens pour qui la situation semble à cette époque florissante lui en donne mais ne lui cachent pas leur mépris. Mais les ménages se délabrent, les deuils se succèdent, la vie quitte ces êtres pour qui l'horizon ne fut jamais lyrique.

Philippe Minyana a signé la mise en scène de cette pièce, dans laquelle il donne une forme nouvelle à ses hantises, avec Marylin Alasset en qui il semble avoir trouvé une complice à sa mesure.


Juqu'au 2 avril Théâtre Ouvert tel 01 42 55 74 40

jeudi 24 mars 2011

Le dragon d'or de Roland Schimmelpfennig

La nouvelle génération d' auteurs dramatiques allemands (Ernest von Mayenburg, Falk Richter et Roland Schimmelpfennig) se singularise par son acharnement à ouvrir la boîte noire du siècle.Le dragon d'or est un restaurant thaï-chinois-vietnamien dans lequel trime notamment un jeune chinois venu en Europe dans l'espoir de retrouver sa soeur dont sa famille est depuis une éternité sans nouvelles. En proie à'une rage de dents, le garçon souffre le martyre. Sa situation de sans papier empêche qu'il soit soigné par des personnes compétentes. Ce sont donc ses collègues qui vont s'employés à le soulagé de sa douleur. Ce qui causera sa perte.

La pièce n'est pas pour autant une fable dramatique sur le sort des émigrés clandestins. Elle navigue entre fantaisie, pathétique et
fantastique. La dent arrachée se retrouve dans le potage d'une cliente. Elle sera ensuite soumise aux traitements les plus inattendus... Comme dans un roman de Georges Perec on lie connaissance avec les multiples habitants de l'immeuble. Cinq comédiens choisis avec discernement prennent en charge dix-sept personnages. Un décor aussi superbe qu'astucieux à la fois horizontal et vertical signé Graciela Galan donne l'opportunité de découvrir les évènements qui se déroulent dans la cuisine du restaurant et dans les étages qui le surplombent.

Claudia Stavisky, qui est à la manoeuvre, à la rare qualité de se lancer sans cesse de nouveaux défis artistiques. Il était en effet particulièrement casse- gueule de mettre en scène ce texte orchestral dont l'écriture en déconcertera plus d'un tant elle est novatrice. Difficile de pas songer aux premières représentations d'une pièce de Ionesco dont l'incongruité faisait fuir le public des années cinquante. Ce qui ne fait pas de doutes est que le souvenir de cette représentation continuera à vivre dans les mémoires de ceux qui y ont été attentifs.

Jusqu'au 7 avril Célestins Théâtre de Lyon. En tournée à l'automne. tel 04 72 77 40 00

lundi 21 mars 2011

Long voyage du jour à la nuit d'Eugène O' Neil

C'est à ne pas croire! Après les si enthousiasmants Ma chambre froide de Joël Pommerat et Louise, elle est folle de Leslie Kaplan on découvre avec ce Long Voyage du jour à la nuit d'Eugène O'Neil, dont le maître d'oeuvre est Célie Pauthe, un spectacle tout aussi éblouissant. Mais contrairement aux deux autres il est d'entrée de jeu tamisé d'une nostalgie feutrée.

O'Neil y fait réapparaître les fantômes de sa jeunesse, époque où sa mère droguée à la morphine, son père, un acteur d'une pingrerie pathologique et son frère qui noyait dans l'alcool son ironie dépressive étaient persuadés qu'il serait sous peu emporté par la tuberculose. En dépit de sa constitution fragile il leur survécut et pu ainsi raconté, à la fin de sa vie, l'histoire d'une journée de ce quatuor familial, dont il était issu lui, l'écrivain justement considéré comme l'inventeur du théâtre américain.

Le huis clos familial se déroule dans une pièce chichement meublée où la lumière plus que réduite en dit long et sur l'avarice du pater familia et sur le fait que les personnages sont plongés dans une nuit dont ils ne peuvent émerger. D'origine catholique irlandaise, les parents invoquent fréquemment le Tout puissant qui les a laissé dans un marasme mental dont ils ne peuvent se sortir. Lorsqu'elle est sous l'effet de la drogue la mère évoque les moments les plus douloureux du passé. A son mari qui lui reproche de ressasser ces souvenirs elle rétorque "passé et présent ne font qu'un". Le frère de l'auteur a des paroles tout aussi fortes qui lui avoue lorsqu'il a l'esprit entamé par l'alcool"méfie toi de moi car je te déteste" il ajoute ensuite " mais je t'aime encore plus que je ne te déteste" On aura rarement exprimé avec des mots aussi simples de quoi sont tissées les relations entre deux frères ou deux soeurs.

Avec ce spectacle d'une intensité contenue, Célie Pauthe, travailleuse acharnée, prouve qu'elle est de la caste des grands. Une de ses nombreuses qualités est d'avoir su choisir comme responsable des lumières l'extrêmement doué Joël Hourbeigt et pour interprètes des comédiens aussi riche de talent que Alain Libolt, Pierre Beaux et Philippe Duclos. Quant à Valérie Dréville si on savait de quel bois précieux elle se chauffe, elle arrive encore à nous surprendre tant son jeu chavire le coeur.

Eugène O'Neil est l'arriére grand-père de l'immense James Thierré lequel a une admiration éperdue et amplement justifiée pour son aïeul Charlie Chaplin. Il serait bon qu'il aille découvrir ce spectacle pour savoir que son autre ascendant est à la littérature ce que Charlot est au cinéma.

Jusqu'au 9 avril La Colline tel 01 44 62 52 52

vendredi 18 mars 2011

Othello de Shakespeare

Comme toutes les créations de Thomas Ostermeyer celle-ci est d'une virtuosité étourdissante. On quitte tout ébahi cette représentation gorgée d'inventions visuelles bluffantes. Il est vrai qu'avec son comparse et traducteur Marius von Mayenburg (par ailleurs auteur dramatique d'un talent époustouflant) il a pris avec le texte original de sacrées libertés. Le maure comme l'appelle Shakespeare arbore ici , contrairement aux habitudes, les traits d'un européen Plus important; si les paroles de cet homme aux sombres combines qu'est Iago agissent comme un lent poison altérant l'esprit d'Othello le metteur en scène va jusqu'à le faire accoster en terre de folie. Contrairement à ce que dit Lacan la paranoîa n'est pas la vérité...

Comme toujours chez le directeur de la Schaubühne de Berlin les comédiens - de blanc ou de noir vêtus - sont tous sidérants de justesse et d'énergie. Quatre musiciens placés à l'arrière du plateau soulignent avec un harmonieux entrain les étapes de la tragédie. Mais l'idée la plus riche du maître d'oeuvre a été de placer à l'avant de la scène une pièce d'eau brunâtre sorte de cloaque dans lequel se règlent les conflits.

Si on peut regretter une utilisation trop intensive de la vidéo et le fait que le spectacle impressionne plus qu'il n'émeut on gardera sans doute à jamais le souvenir de la dernière scène où les acteurs des horreurs qui viennent de se commettre restent frappés de stupeur.

Jusqu'au 27 mars Les Gémeaux 92 Sceaux tel 01 46 61 36 67

mercredi 16 mars 2011

La nuit des rois de Shakepeare

Il apparaît dès le premier instant que Jean-Michel Rabeux n'a que faire du cadre velouté dans lequel se déroulent - du moins en France - les pièces de Shakespeare. Il s'est rappelé que du vivant du grand homme ses oeuvres étaient représentées dans des salles où les nobles poudrés se tenaient au balcon, le "bon peuple" debout face à la scène tandis que les putains pratiquaient gaillardement leur métier.Quinze ans plus tard, avec l'arrivée de Cromwell au pouvoir, l'ordre moral est instauré et les théâtres fermés.

Désireux de retrouver l'atmosphère paillarde de ce temps béni, le metteur en scène a brodé une adaptation d'une hilarante crudité. Du coup la poignante histoire de la soeur et du frère jumeaux dont le bateau a sombré en mer et qui croient chacun que l'autre a disparu dans les flots se transforme en une farce jubilante. Des clowns avec nez rouge et grosses caisses se déploient sur la scène tandis que Jean-Michel Rabeux se laisse aller à son goût contagieux du gag et du burlesque. N'ayant décidément pas froid aux yeux il a installé sur le plateau un orchestre rock qui y va franco. La surprise est que Shakespeare et le rock font excellent ménage.

Ces personnages qui lèvent volontiers le coude, font ripaille avec enthousiasme et ont la fibre bagarreuse sont à l'image de l'Angleterre pas encore collet monté qu'aimait fréquenter celui qu'on surnomma le grand Will. Les interprètes, parmi lesquels on retrouve quelques fidèles du meneur de jeu, méritent largement un coup de chapeau collectif.

Jusqu'au 3 avril MC93 Bobigny tel 01 41 60 72 72

lundi 14 mars 2011

Louise, elle est folle de Leslie Kaplan

Deux femmes visiblement excédées l'une par l'autre. Les mots jaillissent de leurs bouches sans qu'elles les maîtrisent. Leurs propos n'ont rien à voir avec la réalité mais tout avec les clichés les plus éculés. La carnassière machine capitaliste a broyé leurs personnalités. Ce qui leur reste d'humanité elles le projettent sur Louise , une tierce personne, qui n'apparaît jamais mais qui, concentre leurs désirs les plus enfouis. Elles n'ont donc de cesse de la traitée de folle.

Leslie Kaplan est sans doute aucun l'un (l'une) des rares auteurs dramatiques français digne de Bernard - Marie Kotès et de Jean - Luc Lagarce, disparus dans la fleur de l'âge. Si son sentiment de l'absurde qui gouverne nos vies évoque Beckett son propos est par ailleurs en prise directe avec notre désolant présent. On repère dans le maelström de paroles que déversent les deux occupantes du plateau (phénoménales Frédérique Loliée et Elise Vigier) l'aversion qu'inspire à l'auteur la société néo- libérale, le peu de cas qu'elle fait de nos préoccupations et son acharnement à rejeter les fous, c'est à dire tous ceux qui ne marchent pas au pas, hors de l'humanité.On peut plus qu'on ne l'a jamais fait parler de déraison d'état.

La mise en scène réalisée par les deux comédiennes étincelantes de fantaisie n'est que fulgurantes inventions. Le décor conçu par Yves Bernard, au début d'une somptueuse sobriété n'arrête, pour notre plus grand bonheur, de se transformer. Si son contenu est justement alarmiste, le texte de Leslie Kaplan est souvent d'une décapante drôlerie. "Une femme n'est pas grand chose" écrit-elle "la preuve c'est que dieu n'est pas marié" ou tombe malicieusement sous le sens: " toute cette civilisation, tous ces siècles et ces siècles de civilisation pour en arriver là."

Avec les créations de "Ma chambre froide de Joël Pommerat et Louise , elle est folle de Leslie Kaplan, ce début du mois de mars fournit la preuve que le théâtre, que tant - nos gouvernants en tête - veulent croire moribond, a sacrément repris du poil de la bête.

Jusqu'au 27 mars Maison de la Poésie tel 01 44 54 53 00

samedi 12 mars 2011

Ma chambre froide de Joël Pommerat

Joël Pommerat, on le sait, ne s'intègre à aucun courant. Il franchi de plus avec "Ma chambre froide" un palier nouveau. Estelle, le personnage central d'une humilité et d'une gentillesse exaspérantes fait songer à ces monstres de vertu que sont L'idiot de Dostoïevski et l'héroïne de La bonne âme de Tse Chouan de Brecht. Elle trime dans un magasin où ses collègues l'exploitent et dont le patron est un sagouin de la pire espèce.Ce dernier est atteint d'un mal qui ne lui laisse aucune chance de s'en tirer. Il lègue ses multiples affaires à ses employés mais cela à des conditions plus que contraignantes. L'une d'elles est l'obligations pour ses légataires de monter un spectacle qui relate sa vie.

Et c'est Estelle, celle que tous bafouaient, qui en est la créatrice. Esprit un poil égaré, elle tente de faire reproduire les images qui ont surgies dans son sommeil. Ses confrères commencent par se rebiffer puis, lorsque surgit un frère de leur souffre douleur, individu d'une violence pathologique, acceptent ses instructions même celle de se déguiser en animaux révélant par là la bestialité qui est au coeur de l'espèce humaine. L'argent peu à peu les transforme. Ils font bientôt leur l'arbitraire cupide du dirigeant unanimement haï mais ne tarderont pas à récolter les fruits amers de cette trahison de leur classe.

Assaisonnée de scènes burlesques telles celle où un collègue chinois d'Estelle s'exprime dans un français incompréhensible mais dont elle fait une traduction en décalé et d'autres où des acteurs belges assènent des paroles d'un écoeurant bon sens avec un accent à couper au couteau, la représentation frappe autant par la justesse saignante de son discours social que par ses épisodes oniriques d'une sidérante splendeur.

Avec son décor en forme d'arène, ses jaillissements de musique de boîte de nuit, son écriture d'une beauté qui laisse coi et ses interprètes aux physique étonnement insignifiants mais au talent prodigieux, ce spectacle est à la mesure du chaos du monde.
La dernière phrase qui décrit Estelle comme "une sainte amoureuse du mal" en dit long sur la connaissance qu'a Joël Pommerat de l'architecture mentale de de ses " frères humains".


Jusqu'au 27 mars Odéon Ateliers Berthier tel 01 44 85 40 40

dimanche 20 février 2011

Aller chercher demain de Denise Chalem

Une flopée de comédies tournent en ridicule une mère juive envahissante. C'est cette fois un père grognon qui n'a de cesse de raconter des blagues juives - dont certaines usées jusqu'à la corde - qui est au centre de la pièce de Denise Chalem. Laquelle s'est réservée le rôle de sa fille, une célibataire acrimonieuse au déclin de sa jeunesse. Sa vie il faut le reconnaître, n'est guère festive.Alors que la nuit elle est infirmière dans une unité de soins palliatifs, elle s'occupe la journée de la tambouille de son paternel et tient à distance un voisin, brave gars un peu bas du front, qui veut en faire sa femme. On comprend que la rage souvent rugit en elle qui n'a envie que de paisible solitude.

Fait d'observations mineures le dernier écrit de Denise Chalem, mis honorablement en scène par Didier Long, se passe entre l'appartement où il lui faut supporter les humeurs du vieil homme (Michel Aumont comme à son habitude irréprochable) et l'hôpital où elle est confrontée à des êtres, vieux ou jeunes, qui vont basculer dans l'inconnu de la mort. Des dialogues pétillants font toutefois barrage à la sinistrose. Sur un thème plutôt sombre, l'auteure a réussit à bâtir une pièce qui arrache presque constamment des rires.

Seul bémol : les dernières scènes tiennent du fantastique. Ce qui n'est, pas mais alors pas du tout, du registre de Denise Chalem dont on se rappelle encore avec émotion combien elle fut irrésistible dans Le mariage de Figaro de Beaumarchais monté par Jean-Pierre Vincent.

Petit Théâtre de Paris tel 01 42 80 01 81