jeudi 19 août 2010

La pleurante des rues de Prague de Sylvie Germain

Auteure réputée pour son indépendance d'inspiration et son écriture à la puissance mélodieuse, Sylvie Germain passa quelque six ans à Prague. Elle y croisa à plusieurs reprises une géante claudicante et disgracieuse qui manifestement ne se souciait pas le moins du monde de sa mise. Le temps passant la narratrice fait la découverte que la passante n'est pas faite de chair et de sang mais de larmes. Celle-ci n'a pas de visage et porte ainsi le poids de tous ceux dont la condition fut sans espoir. Au premier chef les victimes du Judéocide.

C'est ainsi qu'elle évoque les enfants assassiné de Terezin, un père qui dessinait sur le mur de leur misérable logis des fleurs afin que sa petite fille ait, avant de partir en fumée, un reflet de la beauté du monde et le doux Bruno Schulz, écrivain et peintre d'une incomparable ferveur qui fut abattu d'une balle dans le dos par un officier nazi. La mémoire en crue, l'auteure revoit aussi son propre père cloué par la maladie qui l'emportera
Alors qu'elle semblait avoir disparu la créature d'outre - monde resurgit sous la forme d'une colosse informe. La passante est l'exact contraire du Golem, colosse lui aussi mais fait d'argile auquel donna vie un rabbin, chimiste et philosophe afin qu'il protège la communauté juive de Prague. Car en poursuivant son chemin abrupt et en traversant les murs, la narratrice rappelle l'anéantissement de cette communauté. Elle finit par disparaître de ces rues au charme lugubre sans doute pour aller frayer avec les vivants et les morts d'autres régions du monde touchée par le malheur.

Claire Ruppli qui a choisi d'interpréter ce texte le fait à la manière d'une mélopée. Une prestation qui remue les coeurs.

Jusqu'au 9 octobre Les déchargeurs tel 08 92 70 12 28

lundi 9 août 2010

Les oranges d'Aziz Chouaki

Aziz Chouaki réussit l'exploit de raconter en à peine plus d'une heure l'histoire précipitée et sanglante de l'Algérie. Si le comédien Azzedine Benamara et sa partenaire Mounya Boudiaf ont au début, à cause d'une écriture bourrée de fioritures, du mal à capter l'attention, il en va tout autrement par la suite. Avec des mots d'une simplicité ravageuse l'auteur évoque la présence française, la guerre qui se déclencha en 1954 et évidement l'indépendance avec son "corso fleuri de promesses". Après avoir pavoisé pendant huit jours, la foule algérienne ne va plus cesser de dérouiller. Et l'interprète, à présent remarquable, devient le greffier des souffrances de son peuple.

Le plus surprenant est que c'est d'une écriture joyeuse et des juxtapositions inattendues de mots que Chouaki décrit cette société défigurée par la violence. En particulier celle des barbus ignares persuadés qu'eux seuls sont en ligne directe avec Dieu. Il ne fait pas de doute qu'en dépit de ses descriptions d'un monde tout en nervosité agressive, il a pour son pays et surtout pour la ville maritime d'Alger un attachement organique. Comment sinon pourrait-il en parlant de la mer se souvenir "de ses odeurs qui fouettent les narines"?

Laurent Hatat qui assure la mise en scène n'est pas seulement un directeur d'acteurs de haut vol. L'absence de décor lui laisse les mains libres pour donner des élans inédits à un texte à priori peu fait pour la scène mais qui dépeint avec tant de justesse une population qui aujourd'hui encore n'a pas un mètre d'avenir devant elle. Si ce "conte contemporain" comme l'appelle l'écrivain a pour titre Les oranges c'est sans doute en mémoire de cet âge d'or où musulmans, juifs et catholiques vivaient en harmonie en Andalousie. Les jardins de Grenade n'étaient -ils pas plantés d'orangers?

Jusqu'au 21 août Lucernaire tel 01 45 44 57 34

vendredi 6 août 2010

Bussang 2010

Le théâtre du Peuple fondé par Maurice Pottecher fils d'un industriel vosgeois, dans le but de faire comprendre aux ouvriers qu'il est d'autres horizons que la ligne bleue des Vosges, fête cette année ses 115 ans d'existence. C'est en mettant en scène dans un théâtre en bois des farces de Molière, qu'il faisait jouer dans le langage local par les villageois, qu'il se lança dans l'aventure. Cet acte de paternalisme social n'était pas aussi aberrant qu'on a pu le croire à certaines époques puisque le lieu n'a guère changé, qu'à chaque représentation la salle est comble et que les metteurs en scène, obligés par les statuts d'offrir des rôles à des comédiens amateurs, peuvent se permettre de choisir des pièces riches en personnages. Ce que seule peut s'autoriser la Comédie Française...

Deux spectacles sont à l'affiche. L'un, qui se voit en matinée, mêle professionnels et amateurs. L'autre donné en soirée est l'affaire de gens du métier. Il s'agit cette année d'une opérette intitulée Le gros, la vache et le mainate. L'auteur en est l'actuel directeur des lieux, Pierre Guillois qui en a confié la mise en scène à Bernard Menez et n'y va pas avec le dos de la cuillère. La première scène donne le ton où un gros tout sourire chante et danse sa joie d'être enceint. La suite tient encore bien davantage du burlesque provocateur. Les moments les plus savoureux, les plus égrillards aussi on les doit à Jean-Paul Muel et à Pierre Vial qui jouent deux tatas, véritables chipies qui n'arrêtent de s'asticoter et de tenir des propos salaces.On ne dira rien de leurs comportements sauf que même Copi n'aurait osé les imaginer.


Parlant de ce petit monde en surchauffe, Jean-Paul Muel a cette phrase d'une frappante justesse: "c'est l'incursion des Marx brothers chez Pirandello". Pierre Guillois, en effet, ne se prive pas du plaisir d'introduire une pièce dans une autre. Il est des moments où la pitrerie semble tourner en rond. Mais quelques secondes plus tard on se surprend de nouveau à hoqueter de rire. C'est sur un tableau d'une surprenante beauté que se clôt cette frappadinguerie.


Tout autre est évidement Peau d'âne qu'a reécrit et monté Olivier Tchang Tchong. Il est clair, tant le danger de l'inceste que veut commettre un roi avec sa fille tout juste devenue femme, est présent que le metteur en scène a lu attentivement La psychanalyse des contres de fées de Bruno Betelheim. Le conte se transforme du coup en tragédie élisabéthaine. Une très belle scénographie et des scènes interprétées dans la lumière naturelle donne à cette version trash de l'oeuvre de Charles Perrault des accents inédits.

Jusqu'au 28 août Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher tel 03 29 61 50 48 Peau d'âne à 15h Opérette barge Le gros, la vache et le mainate à 20h30