vendredi 28 mai 2010

La mort d'un homme de bien

Alain Ollivier, metteur en scène d'une rigueur extrême nous a quitté cette semaine. La guerre d'Algérie à laquelle il fut forcé de participer et qu'il jugeait si indigne l'avait rapproché de l'écrivain Pierre Guyotat qui mieux que personne su en décrire l'abjection. Sa carrière théâtrale, il la débuta comme comédien, Métier qu'il exerça avec une sobriété ardente. En suivant la courbe de nos souvenirs nous revient son interprétation si savoureuse du roi de Pologne où Alfred Jarry pointait l'imbécilité loufoque d'un dictateur. Montée par le Philippe Adrien des grands jours le spectacle marqua à jamais ceux qui eurent le bonheur de le voir. Avec le même metteur en scène auquel le liait une profonde complicité, il joua des auteurs aussi radicalement différents que Molière et Heiner Müller.


On ne saurait énumérer tous les rôles - en particulier avec Jacques Lassalles - qu'il créa avec une précision savoureuse avant de passer à la mise en scène. Il y fit des merveilles. Il fut notamment l'un des premiers en France à faire entendre la voix rageuse de Thomas Bernhard. On retiendra entre autres réussites , La révolte de Villliers de l'Ile Adam,, Les Nègres puis Les Bonnes de Jean Genêt (sans doute la plus belle jamais conçue). Son Peleas et Melisande de Maeterlinck auquel il s'attaqua quand il prit les rennes du TGP de Saint Denis était d'une pureté rarement atteinte.

Refusant de s'exercer à une veine plus vendeuse il fut, hélas , remercié. Ce qui ne l'empêcha pas d'avoir jusqu'à son dernier souffle le projet de monter l'Otage de Paul Claudel. Qu'il n'ait pas réussit à mener cette entreprise à bien ajoute à la tristesse sans fond que provoque sa disparition

mercredi 26 mai 2010

Les trois soeurs de Tchekhov

Alain Françon voue à Tchekhov une véritable dévotion et avait monté lorsqu'il dirigeait le Théâtre de la Colline plusieurs de ses chefs d'oeuvre patrimoniaux. Mais il ne s'était jusqu'à présent jamais affronté aux Trois soeurs au climat si vibrant que l'émotion rejaillit chaque fois qu'on la redécouvre. Metteur en scène d'immense réputation il a pu, contrairement à ses confrères engagés dans l'illustre maison, choisir lui-même ses comédiens qui tous font corps avec leurs personnages.

Pas étonnant donc que cette distribution apparaisse si cohérente. Ainsi les trois soeurs qu'interprètent Florence Viala (à la voix délicatement prenante), Elsa Lepoivre (qui comme Hedda Gabler d'Ibsen semble en retrait des évènements et qu'obsède un vers qui exprime son profond désarroi) et Georgia Scalliet, une nouvelle venue aussi attachante que ses deux partenaires, entretiennent des liens, à l'évidence, indissolubles. Guillaume Galienne qui incarne d'une façon inédite leur frère Andreï fait une prestation mémorable d'un homme que son mariage avec une femme toute de mesquinerie et de calculs (Coralie Zahonero) fait basculer dans une spirale d'échecs.

Si tous sont au mieux de leur art, il faut néanmoins mettre en avant la prestation d'Eric Ruf à qui échoit le rôle de Saliony, personnage typiquement tchekhovien qui comme Platonov ou Ivanov va droit au désastre. Ses décharges d'agressivité masquent une foncière timidité qui le poussera à commettre l'irréparable.

Comme il l'avait déjà fait dans ses traitements antérieurs des pièces de l'immense dramaturge russe, Françon a tenu a reconstituer les décors de Stanislawski. Les contraintes de la Salle Richelieu ne lui ont toutefois pas permis de totalement les reproduire. Il n'en reste pas moins que la pièce apparaît, comme aux yeux des protagonistes, telle un songe vécu. Il n'est donc pas surprenant que les comédiens viennent saluer le public sous un déluge de vivats.

En alternance jusqu'au 16 juillet Comédie Française Salle Richelieu tel 08 25 10 16 80

jeudi 13 mai 2010

Les Boulingrin de Georges Aperghis d'après Courteline

Si Jérôme Deschamps qui assure la mise en scène à le talent de croquer des personnages grotesques, Georges Aperghis sait,lui, grâce à une incomparable verve rythmique étoffer les personnages. Au début surgit Des Rillettes, un pique assiette qui demande à Félicie, la bonne, à qui il fait un brin de cour et donne quelques sous, si la maison est bonne car il a l'intention de venir y dîner trois fois par semaine. Devenu par la volonté du compositeur une sorte de Monsieur Loyal, la jeune fille cède à son désir et fait l'éloge de ses patrons. Elle l'introduit, en fait, dans l'antre du diable. Pourtant comme pour l'en avertir elle pousse des criaillements qui ressemblent à d'aigres chants d'oiseau.


Commence pour le visiteur une véritable descente aux enfers. Les Boulingrin apparaissent dans un vacarme de mots haineux. Les tentatives qu'il fait pour les calmer ne fait qu'exaspérer leur vindicte. Des Rillettes essaie mais sans y parvenir de quitter les lieux. L'agressivité des bourgeois dont il voulait partager la table se retourne contre leur hôte.. Furieux qu'ils ne prenne le parti d'aucun d' eux, ils ne reculent devant aucune cruauté. Au lieu des mets succulents dont il rêvait, ils tentent lui faire avaler de la soupe empoisonnée.


Avec sa musique qui emporte tout, Aperghis réussit à transformer cette pièce de boulevard qui sent son 19e siècle en une sorte de festin de pierre. Comme Don Juan qui se croyait invincible, Des Rillettes est pris au piège. L'incendie que provoque à la fin madame Boulingrin laisse supposer qu'il disparaîtra, comme le personnage de Molière, dans les flammes.

D'une pièce de peu d'envergure Aperghis a fait une tragédie qui annonce Les bonnes de Genêt. C'est en effet Félicie la responsable du sort pathétique de celui qui croyait en sa bonne fortune.

Les 14, 16, 18 mai Opéra Comique tel 08 25 01 01 23

mercredi 12 mai 2010

Rosa la rouge de Claire Diterzi et Marcial Di Fonzo Bo

La Rosa du titre est Rosa Luxemburg (1871 - 1919) née en Pologne dans une famille juive qui se fixa à Berlin où elle devint une tenante farouche de la lutte contre une société où l'injustice dépassait les bornes. Lors de la guerre 14-18 elle en fut une des rares opposantes, ce qui lui valut trois ans de prison. Durant cette longue captivité elle écrivit de nombreuses lettres qui sont lues par Claire Diterzi qui, chanteuse au tempérament bien frappé et musicienne hors pair, s'est, à sa façon rockeuse, emparée du rôle de la combattante.


Marcial Di Fonzo Bo et son interprète et co-metteur en scène n'ont pas pour autant réalisé un spectacle militant. Désertant les chemins convenus, ils ont montés une épopée musicale où l'Histoire avec un grand H comme disait Georges Perec devient un objet non identifiable dans lequel se joignent numéros musicaux où le feu ne cesse de couver sous la cendre des notes et vidéos stupéfiantes d'inventions. Parmi les nombreux moments savoureux il en est un particulièrement gonflé. Au lieu d'évoquer le mouvement spartakiste dont Rosa Luxembourg fut une figure de proue, ils projettent quelques scènes d'une force et parfois d'un humour ravageur du film Spartacus de Stanley Kubrick.

Comme ils ont tous deux l'imaginaire frondeur, ils ne cessent d'extravaguer. Ce qui vaut aux spectateurs d'aller de surprises en surprises et de trouver bougrement réjouissant ce brûlot échevelé qui balance le vieux monde (dont l'étau semble aujourd'hui se resserrer) par les fenêtres.

La renommée de Marcial Di Fonzo Bo - et de sa complice -est, c'est une évidence, en plein essor. On ne peut que s'en féliciter.

Jusqu'au 22 mai Théâtre du Rond Point tel 01 44 95 98 44
Les 26 et 27 mai Scène Nationale d'Orléans Le 1er juin Hangar 23 -Rouen