mercredi 23 décembre 2009

Entretien avec Hervé Pierre pensionnaire du Français

A l'inverse d'un grand nombre de comédiens Hervé Pierre, engagé l'année dernière à la Comédie Française, n'a pas l'égo flamboyant. Un visage mal taillé pour l'adversité, une voix à l'envol mélodique et une capacité à jouer les personnages les plus variés en ont fait l'un des interprètes les plus renversants de sa génération, celle des quadras. Muriel Mayette,, administratrice de la Maison de Molière, a donc eu la main heureuse en lui demandant de rejoindre sa troupe.

"Marcel Bozonnet qui l'a précédé m'avait déjà fait cette même proposition mais ce n'était pas le bon moment. Aujourd'hui j'ai non seulement eu le bonheur de jouer Molière et Corneille que je n'avais jamais abordé mais je me suis surtout pour la première fois frotté à Claudel dans Le partage de midi où j'incarne Amalric. Une autre joie a été de camper l'un des personnages de La grande magie d'Edouardo de Filippo que j'ai proposé à Dan Jemet avec lequel j'avais déjà travaillé - je crois que Denis Podalydès avait songé à cette pièce longtemps avant moi - et à présent d'être de Mystero bouffo de Dario Fo, cet homme à la parole politique si joyeuse. Je crois qu'avec cette pièce il entre au répertoire du Français. Un autre mérite de cette maison est qu'on y rencontre des personnalité humaine et artistique de premier plan.Ce qui ne veut évidement pas dire que tous le soient... "

Quand on lui parle de ce sujet épineux qu'est la mise à l'écart de certains sociétaires par un comité élu par l'ensemble de la troupe, il répond à sa façon tempérée que chacun est au fait depuis ses débuts de la présence d'une telle menace . Il ajoute qu'il est vital que la troupe régulièrement se renouvelle en embauchant de nouveaux talents. S'il fait remarquer que dans cette illustre maison, comme dans chaque troupe, la sclérose guette un certain nombre d'acteurs il est aussi partisan qu'une autre commission discute avec le comité de la justesse de décisions jugées souvent brutales. . En ce qui le concerne il ne peut que déplorer que s'il a la chance, grâce à la politique de l'alternance, d'être fréquemment employé dans trois spectacles, il le paie en laissant sa femme (la si douée et singulière Clothilde Mollet) et ses deux enfants célébrer des fêtes de fin d'année où il brillera par son absence.

Il fut, lui un enfant d'ouvriers qui avaient pour passion le théâtre amateur. Ce qui sans doute le décida à embrasser le métier de comédien est l'émerveillement qu'il surprit dans les regards de ceux qui venaient voir ses parents et leurs amis jouer des mélodrames ou des comédies. "Je suis aussi, dit-il, venu au théâtre par la télévision ou plus exactement par l'émission Au théâtre ce soir où je savourais les interprétations de Michel Serrault, Francis Blanche, Jacqueline Maillan et de tant d'autres"

Parmi les rôles qui l'ont le plus marqué il y a bien sûr le monologue de Jean-Luc Lagarce, Le voyage à La Haye. "Nous nous étions Jean-Luc et moi connu lors d'un stage qu'il organisa alors qu'il n'avait que 18 ans. Nous venions du même monde de prolétaires établis près de la frontière suisse. Nous nous sommes ensuite perdus de vue. En interprétant ce texte j'ai eu le sentiment d'une rencontre post mortem."

dimanche 20 décembre 2009

Raoul de James Thierrée

James Thierrée découvert en 2003 avec la Symphonie du hanneton déroge, cette fois à ses habitudes. Lui qui s'entourait de partenaires aux aptitudes acrobatiques et poétiques presque aussi stupéfiantes que les siennes se jette cette fois dans un combat singulier avec lui-même. Ne s'effrayant pas comme Pascal des espaces infinis, il les affronte avec une grâce qui rappelle - et cette comparaison ne peut que le réjouir - celle de son grand-père, Charlie Chaplin.
Ce personnage ostensiblement solitaire est poursuivi au début de la représentation par un double. Ce seront ensuite des créatures nées de ses mauvais rêves tel un immense poisson aux nageoires gourmandes ou un insecte à l'aspect peu affriolant (monstres cocasses conçus par sa mère la circasienne de haute tenue Victoria Chaplin) qui font obstacle à sa quête d'identité. Mais James Thierré n'est pas homme à se laisser impressionner. Il se sort des dangers qui le menacent en dansant et en se laissant bercer par des morceaux de Schubert et des musiques russes d'une splendeur chavirante
En mettant à jour les racines intimes de son arsenal, il réussit un spectacle dont le fantastique et les inventions à foison nous transporte. Artiste d'une hardiesse enchanteresse, il fait ses adieux en s'envolant au- dessus de son public d'indéfectibles à qui ce dernier salut procure une si intense délectation qu'il se lève comme un seul homme pour le remercier de lui avoir offert une heure et demie de magie.
Jusqu'au 5 janvier Théâtre de la Ville tel 01 42 74 22 77

dimanche 13 décembre 2009

Je ne sais quoi de Nathalie Joly d'après Yvette Guilbert

L'irremplaçable Yvette Guilbert, à laquelle Nathalie Joly, chanteuse dont la voix comme la diction au phrasé acidulé est un pur ravissement était aussi un une personne rayonnante d'intelligence. Ce qui lui valut d'entretenir avec Freud une longue et impulsive amitié. Celui-ci demanda d'ailleurs à la revoir lorsque fuyant la machine de terreur nazie, il fut hébergé à Paris par Marie Bonaparte qui avait été sa patiente.
Dans ce spectacle mijoté avec soin par Jacques Verzier la chanteuse alterne des chansons souvent coquines aux textes volcaniques avec des extraits de lettres qu'elle échangea avec le découvreur de l'inconscient. Accompagnée au piano par l'espiègle Jean Pierre Gesbert, l'interprète fait preuve d'un gai savoir mais aussi d'une fausse innocence enjouée qui nous laissent comme l'inventeur de la psychanalyse sous le charme.
du 17 au 31 décembre Théâtre de la Vieille Grille tel 01 47 07 22 11
le 26 janvier Antony Firmin Gémier

vendredi 11 décembre 2009

Fortunio d'André Messager

Talentueux touche à tout, Denis Podalydès manie aussi bien la mise en scène d'opéra -qu'il aborde pour la première fois - que celles de pièces de théâtre. Inspiré par Le chandelier de Musset (dont Flers et Cavaillet ont tiré l'un de leur meilleur livret) il était, c'est indéniable, avec Fortunio en terrain connu puisqu'il monta la saison dernière à la Comédie Française Fantasio du même Musset. La surprise est que la musique d'André Messager (1853 - 1929) - qui fut aussi un chef d'orchestre inspiré notamment de Pelléas et Mélisande de Debussy dont on retouve ici des accents - ajoute un climat dramatique au propos de l'écrivain Grâce en grande partie à la direction musicale de Louis Langrée
Le thème, on ne peut plus classique n'est guère éloigné de celui du film de René Clair "Les grandes manoeuvres." Un officier décide de séduire l'avenante épouse d'un vieux notaire qui sous ses dehors liants se révèle un bonhomme compulsif et rongé de jalousie. Le gradé, véritable artiste en fourberie, conseille à sa maîtresse, afin de diriger la vindicte du mari sur un autre, de prendre un chandelier, c'est à dire un homme à priori inoffensif sur lequel se porteront les soupçons du conjoint berné. Mais le brave Fortunio, fils un peu empoté d'une famille paysanne (Joseph Kaiser plus que convaincant) est éperdument épris de la belle jeune femme qui ne tarde pas à être sensible à cette passion. Le lieutenant ne songe plus qu'à se venger. Mais on ne marivaude pas impunément au-dessus du volcan. La fin de cet imbroglio n'est guère croquignolesque.
La force de persuasion du metteur en scène et une musique qui apparaît comme le bruit assourdissant des émotions font de ce Fortunio un spectacle on ne peut plus charmant.
Les 12, 14, 16, 18, 20 décembre Opéra Comique tel 08 25 01 01 25

dimanche 6 décembre 2009

Le dragon bleu de Marie Michaud et Robert Lepage

Le canadien Robert Lepage renoue avec Pierre Lamontagne qui fut déjà l'un des protagonistes de la Trilogie des dragons qui lui a valu de faire partie de la poignée de metteurs en scène dont la réputation a franchi les frontières. Son personnage est à présent installé en Chine où il anime une galerie dans laquelle il fait découvrir de jeunes talents comme Xiao Ling avec laquelle il a noué une relation amoureuse. La pièce démarre dans l'aéroport de Shanghaï où il attend l'arrivée de Claire Forêt qui fut jadis sa femme, est devenue au Québèc une publiciste à succès et est venue dans le pays de son ex pour y adopter un enfant qui, l'espère t-elle secrètement, donnera un sens à sa vie.
A la nouvelle compagne de Pierre dont elle a fait connaissance, elle confie qu'elle était raide dingue de celui qu'elle avait épousée et qui avait à l'époque pour but de devenir lui-même un créateur. Mais trouvant cet amour aliénant, Pierre l'a quitté et s'en est allé aux confins du monde.
Comme toujours chez Robert Lepage, la trame de sa pièce évoque un roman-photo. En réalité il n'écrit ses intrigues que pour révéler la violence des aléas de la vie et pour mettre en avant le mystère irréductible des êtres qui nous sont le plus proches. Aucun des membre du trio ne réagit de la façon dont les autres l'attendait. On retrouve aussi sa vision désenchantée du monde lorsque Pierre fait remarquer à Claire, revenue un an plus tard, que depuis que l'économie de marché a pris ses aises au pays de Mao, il sent bien que les chinois n'en ont plus rien à secouer de gens de son espèce.
Mais les spectacles de Lepage valent surtout pour leurs envolées plastiques. Véritable magicien pour ce qui est des décors, qui s'emboîtent avec une souplesse saisissante, et des éclairages, son dernier opus, ponctué par d'amusants solos dansés et par des caractères chinois calligraphiés sur un écran vidéo, est d'une séduction infinie.
Jusqu'au 15 décembre Théâtre National de Chaillot tel 01 53 65 31 22

jeudi 3 décembre 2009

Merlin ou la terre dévastée de Tankred Dorst

Auteur le plus joué dans le monde germanique, Tankred Dorst est surtout connu en France grâce à Patrice Chereau qui, alors qu'il était tout jeunot, monta un inoubliable Toller. Pour le reste on connaît surtout de son oeuvre immense ( que Peter Zadek, qui fut l'un des phares du théâtre allemand, mis quasi intégralement en scène) La grande imprécation devant les murs de la ville et ce Merlin, sans doute son ouvrage canonique, auquel s'affronte avec bonheur Rodolphe Dana. Cette interprétation très personnelle de la légende des Chevalier de la table ronde et de la quète du graal débute dans un climat bouffon où une sorte de batteur d'estrade présente les personnages, qui apparaissent tous comme de gais lurons, dont on va suivre le cheminement.
Compagnons du roi Arthur, qui alors qu'il avait 14 ans réussit sans mal aucun à retirer l'épée Excalibur d'une pierre et a fait construire une table ronde pour réunir l'élite de ses sujets, les chevaliers, qui tous portent une jupette et se sont donnés pour mission de partir à la recherche du graal.
La plupart connaîtront de sévères déculottées. Alors que l'un cède aux tentations dyonisiaques, un autre, Mordret, fils d'Arthur, fait preuve d'un redoutable génie manoeuvrier.Il est vrai que apprenant par le magicien Merlin qu'un jour il détruira son royaume son père tenta alors, qu'il était nourrisson, de le noyer...
Quand au fidèle Lancelot il a le malheur de s'éprendre de Guenièvre, épouse de son roi. La pièce avance à coup de violents coups de vents narratifs. Commencée de façon on ne peut plus ludique, elle se termine dans une démesure tragique qui évoque Shakespeare.
Il règne dans le collectif Les possédés créé par Rodolphe Dana un esprit de troupe devenu, hélas exceptionnel; Ce qui a pour effet que les comédiens jouent tous à merveille cette oeuvre proteïforme scandée de mots d'une salubre salacité. Méditation sur l'échec des utopies, Merlin dure environ quatre heures qui passent à toute berzingue.
Jusqu'au 19 décembre Théâtre National de La Colline tel 01 44 62 52 52 En tournée Théätre Firmin-Gémier - La Piscine Chatenay -Malabry le 8 janvier, La Rose des Vents Villeneuve d'Ascq du 12 au 15 janvier, La Bateau Feu Dunkerke du 21 au 23 janvier, Nouveau Théâtre d'Angersdu 27 janvier au 3 février ...