vendredi 27 novembre 2009

Le Loup

Une baraque percluse imaginée par Eric Ruf. Delphine et Marinette, deux soeur encore toute jeunette y vivent dans une atmosphère de rigueur avec des parents qui tentent de leur foutre les foies en leur évoquant le grand méchant loup qui rôde dans la forêt environnante et ne fera d'elles qu'une bouchée si, durant leur absence, elles les laissaient rentrer dans la maison. A peine leurs géniteurs partis pour la journée, les deux petites voient surgir à l'unique fenêtre du logis celui qu'on leur a décrit comme une bête féroce (Michel Villermoz bluffant en loup bien décidé à combattre ses instincts carnivores)
C'est qu'au contact des deux si adorables fillettes (Florence Viala et Elsa Lepoivre comme il se doit à croquer) l'animal est tout attendri. Lorsque mises en confiance, elles lui demandent pourquoi il a dévoré le petit chaperon rouge, il leur répond que c'était là un péché de jeunesse. L'après-midi les verra jouer tous trois avec un telle ardeur que rendez-vous est pris pour le jeudi suivant. Une semaine d'absence avait rendue leur amitié impatiente et lorsqu'elles lui proposent de jouer au loup, il ne se fait pas prier et les déguste avec appétit.
Véronique Vella qui assure la mise en scène a eu l'astucieuse idée de demander aux parents (Sylvia Berger et Jérôme Pouly) d'être les conteurs de cette fable née de la plume caustique de Marcel Aymé. Ponctuée de chansons délicieuses composées par Vincent Leterme qu' interprétent avec talent les deux comédiennes qui jouent avec une grâce juvénile les deux soeurs cloîtrées, ce spectacle qui s'adresse autant aux petits qu'aux adultes est l'une des pépites de la saison.
Jusqu'au 17 janvier Studio-Théâtre de la comédie Française tel 01 44 58 98 58

dimanche 22 novembre 2009

Festival "mettre en scène" à Rennes

Ce qui nous a le plus comblé est que ce festival créé il y a 13 ans par François Le Pilouër attire un public si nombreux composé essentiellement de jeunes que les salles étaient remplies à ras bord ce qui va à rebours du discours des officiels qui prétendent que les théâtres sont vides. Nous n'avons, et c'est navrant, pu voir que quelques spectacles. Parmi lesquels deux créations d'une éberluante beauté. L'un Do you remeber no I don't a été monté avec la collaboration de Sylvie Blum par François Verret, chorégraphe dont la renommée est assurée par de nombreuses réussites. Emaillé de détails amoureusement élus tels que la présence d'une chanteuse afro-américaine dont la voix nous fait chavirer on retrouve aussi dans ce dernier opus son goût pour les textes fondateurs, sa fureur poétique et son inspiration mélancolique. Comme dans Ice, son précédent spectacle, il s'emploie par ailleurs à dénoncer de façon radicale un ordre qui nous broie.
Autre choc : Will you ever be happy again qui voit s'affronter une jeune serbe (Sanja Mitrovic qui a conçu ce duo) naturalisée hollandaise et un allemand appartenant à la même tranche d'âge et qui, ironique, montre un certificat d'aryanisation qui prouve la pureté de la race de ses aïeux depuis le 18e siècle.
Les deux jeunes gens ont en commun d'appartenir à des nations qui furent mises au ban du monde civilisé. Il n'est en outre pas banal que l'intrigue soit basée sur l'expérience réelle des deux interprètes (Sanja Mitrovic comme on l'a écrit plus haut et Jochen Stechmann) qui avec le même entrain jouent, chantent et dansent. A travers les jeux qu'ils inventent c'est l'histoire de leur pays respectif qu'ils passent en revue. L'année 1989, qui fut celle de la réunification de l'Allemagne et le point de départ de l'éclatement de la Yougoslavie, hante l'histoire de ces trentenaires qui ont grandi dans le vent des ouragans.
TNB 02 99 31 12 31 Si Do you remember no I don't va être cette saison repris à Grenoble et à Chambery nous ne connaissons pour l'instant aucune salle qui aurait la riche idée de programmer Will you ever be happy again?

vendredi 20 novembre 2009

Premier amour de Samuel Beckett

Comme tous les personnages nés sous la plume de Beckett le narrateur de Premier amour semble lové dans les profondeurs de son être. Il y a peu il a perdu son père et a trouvé ses affaires empilés devant sa porte par les habitants de son ancien logement. Lors de ses visites au cimetière où il se promène volontiers il a pris l'habitude de manger sur une tombe et découvre sur certains caveaux des inscription d'une telle drôlerie, que secoué de rire, il est obligé de s'accrocher à une croix.
Assis sur un banc il fait connaissance d'une certaine Lulu qui lui demande où il en est de ses projets. La demoiselle est tenace et bien qu'il lui demande pourquoi elle vient l'importuner tous les soirs elle arrive à ses fins, c'est-à-dire à l'installer dans son deux pièces-cuisine. Bien qu'il ne soit en rien épris de cette fille au visage suspendu entre la fraîcheur et le flétrissement, elle se retrouve, prétend-elle enceinte de ses oeuvres.
Alors que le bonhomme est ostensiblement solitaire, il a la conscience jacassière. Le texte admirablement servi par Alain Macé donne à la réalité une texture faite d'humour et de cruauté. Sans effet de style ou d'imagination et par l'extrême retenue de son jeu, il réussit un geste d'artiste saisissant. Sami Frey, comédien dont on n' a plus à vanter les mérites, joue actuellement sur une autre scène parisienne la même partition. Il ne fait pas de doute que moins renommé Alain Macé l'égale en talent
Jusqu'au 19 décembre Les dechargeurs tel 08 92 70 12 28

jeudi 19 novembre 2009

Les affaires sont les affaires d'Octave Mirbeau

On pouvait s'interroger sur la nécessité de monter aujourd'hui cette pièce sentant la naphtaline écrite à la croisée des 19e et 20e siècle par Octave Mirbeau. On ne tarde pas à être édifié. Isidore Lechat, puissant patron de presse devant lequel ses "associés" affectent une attitude révérencieuse est, comme les princes qui aujourd'hui nous gouvernent, partisan d'une modernisation forcenée de la société. Quitte à laisser un nombre croisant de citoyens sur le carreau. Mais cet homme gonflé d'assurance et blindé de thunes qui se vante, comme l'insinuent certains de nos hommes politiques, de n'avoir jamais ouvert un livre, sera terrassé par la mort inopinée du seul être qui lui était cher.
Le couple qu'il forme avec sa femme (Claude Mathieu impeccable) n'est que la juxtaposition de deux solitudes tandis qu'il n'a jamais prêté la moindre attention à sa fille qui, comme la Nora de La maison de poupée d'Ibsen, n'aura d'autre choix, pour sauver sa peau, que de se rebeller et de devenir ainsi un exemple d'émancipation féminine.
Un peu empesé dans la première partie, la mise en scène de Marc Paquien acquiert au fil de l'action de plus en plus de tonus. Une scène est même un pur joyau qui voit s'affronter un Lechat, amateur féroce de manipulations à un marquis désargenté qui défend les valeurs devenues obsolètes du monde duquel il est issu. Parce que ce spectacle nous tend un miroir peu reluisant de la société qu'est devenue la nôtre et que le décor en dit long sur les goûts des nouveaux riches, cette plongée dans un monde sans pitié ne manque pas d'intérêt. Même si l'on préfére voir Marc Paquien s'affronter à des auteurs à l'univers plus singuliers tels que Witkiewicz ou Martin Crimp.
Jusqu'au 3 janvier Théâtre du Vieux-Colombier tel 01 44 39 87 00