samedi 28 février 2009

Leaves (feuilles)

Belfast quelques années après la guerre qui l'ensanglanta. Dans un intérieur nickel sont réunis un couple et leurs deux plus jeunes filles. La troisième, Lorie (douleur) âgée de 19 ans vient de rentrer au bercail après être allée aux extrêmes d'elle même, c'est-à-dire d'avoir tentée de mettre fin à ses jours. Ce qui lui a valu un séjour en hôpital psychiatrique. Les premiers temps elle ne quitte pas sa chambre puis finit par faire surface mais en gardant sa tenue de nuit. La pièce dépeint ses relations complexes avec les différents membres de sa cellule familiale. Si les rapports avec l'une de soeurs est houleux, la benjamine multiplie les efforts pour lui montrer son attachement. Il apparaît vite que Laurie fit tout au long des années l'admiration de ses cadettes.

La mère attentive mais à côté de la plaque tantôt l'inonde de sourires, tantôt lui donne des ordres qui donne à la jeune fille l'envie de l'envoyer bouler. Une phrase que l'aînée adresse à sa plus jeune soeur en dit long : toi tu as des chances de t'en sortir car tu es née après la guerre. Et la famille d'apparaître comme la métaphore d'un pays qui fut durant des décennies la proie d'un conflit meurtrier. La pièce signée Lucy Caldwell est de la meilleure veine. On n'en dira pas autant de la mise en scène encore balbutiante de Mélanie Leray. Si les comédiennes qui incarnent la mère et Laurie sont impeccables, le reste de la distribution n'est pas au diapason. On regrette aussi l'utilisation intensive de la vidéo devenue la tarte à la crème de tous les spectacles qui se veulent à la pointe de la modernité. 

La pièce se clôt sur un flash back poignant où l'on voit Laurie à l'heure où elle s'envole, couverte de présents, du nid familial et où aucun de ses proches ne devine chez elle la menace d'un effondrement.

Jusqu'au 13 mars Théâtre National de Bretagne      

mardi 24 février 2009

le regard des autres

Il faut bien l'avouer. Les petits théâtres privés montrent parfois plus d'audace que les salles subventionnées qui programment pour l'essentiel des classiques ou des auteurs qui ont, parfois pour des raisons peu liées à leur talent,  le vent en poupe.  Ce qui ne signifie évidement pas que ces dramaturges inconnus sont tous de petits génies. La pièce de Christopher Shinn mise en scène par Gilbert Désveaux est d'un charme disons intermittent. Trois jeunes new yorkais, une fille et deux garçons qui furent autrefois amants,  sont tous vaguement artistes, partagent un appartement et sont en proie à l'égarement des passions. La jeune fille qui fut stripteaseuse au Japon rencontre un homme d'affaire. Plutôt que de céder à l'attraction qu'ils éprouvent l'un pour l'autre, ils  se perdent dans des conversations oiseuses et interminables. Un des garçons écrit des critiques  de cinéma sur internet et cède trop volontiers au vertige de l'épanchement. Son amitié avec son ancien petit ami se dècharne d'autant que celui-ci après une cure de désintoxication tient des propos christiques avant de prendre en tendresse puis dans ses bras  un tout jeune homme qui joue les paumés. On conçoit aisément que cette pièce gay friendly ait rencontré du succès aux Etats Unis. Il n'est pas certain que malgré la prestation un peu trop appuyée mais efficace de Geoffrey Rondeau qui joue le benjamin au parler rude de la petite bande, elle séduise autant le public hexagonal. Jusqu'au 22 avril les lundis, mardis, mercredis Manufacture des Abesses          

mardi 17 février 2009

Marcel Proust à la recherche du temps perdu

Puisant dans l'oeuvre écrite avec l'encre de la postérité de MarcelProust, Robin Renucci, Bernadette Laffont et Xavier Gallais se sont offerts une tranche de bon temps. Qu'ils font partager aux spectateurs. A Robin Renucci revient la part la part la plus chagrine de ce monument littéraire puisqu'il lit les passage du début de la Recherche où l'auteur parle sans détour de son attachement à sa mère et qu'il s'afflige, en évoquant ses jeunes années, que la possibilité de telles heures ne se renouvelleront jamais. Les deux autres comédiens lisent des extraits où l'écrivain donne toute la mesure de sa vive ironie. Ainsi la gouailleuse Bernadette Laffont dresse le portrait de madame Verdurin qui un jour alors qu'un de ses convives lâchait une faribole s'était décroché la mâchoire parce qu'elle avait trop rit. Xavier Gallais, comédien incontestablement doué mais qui a parfois tendance à en faire un poil trop, relate les turpitudes du baron de Charlus. On se souviendra avec délectation de ce moment où le narrateur découvre après avoir vu l'aristocrate s'enfermer dans une chambre en compagnie de Jupien "qu'il y une chose aussi bruyante que la souffrance, c'est le plaisir".

Véritable prestidigitateur verbal, Proust approche ses personnages au plus intime en se bornant à décrire quelques scènes dont ils sont les acteurs. Ainsi la tante du futur homme de lettres qui tous les matins jacasse avec sa domestique et pour qui l'arrivée dans le village de Combret d'un chien inconnu est un événement ou les propos vinaigrés qu'échangent la duchesse de Guermante avec son entourage prisonnier de ses idéaux de caste. Voilà un spectacle qui à la fois entretient la nostalgie et, comme dirait l'auteur d'Un amour de Swann, provoque des rires écumants.

Comédie des Champs Elysées jusqu'au 6 avril les dimanches à 19h30, Les Lundis, à 20h30

vendredi 13 février 2009

Très chère Mathilde

Line Renaud adore interpréter les mamies décomplexées. La partition que lui a offert le jeune metteur en scène Ladislas Chollat dans la pièce d'Israël Horovitz Très chère Mathilde semble avoir été taillée à sa mesure. Une octogénaire pleine de vie voit surgir dans l'appartement qu'elle occupe en viager un américain qui n'est autre que le fils du propriétaire récemment disparu. Lequel tombe des nues en découvrant qu'il ne peut pas disposer comme il l'entend du bien que lui a légué son père. Mais il ne tarde pas à pactiser avec la vieille dame qui a une fille d'humeur nettement moins liante. Alors que le souvenir du disparu déclenche chez celle qui lui offre l'hospitalité une éruption de nostalgie, le fils ne se souvient que de ses travers. On apprendra petit à petit le fin mot de l'histoire. Si la pièce n'est guère enthousiasmante, il n'en va pas de même de la mise en scène et de l'interprétation. Line Renaud comme ses partenaires Samuel Labarthe et Raphaëline Goupilleau jouent on ne peut mieux. Dans le rôle d'un homme qui joue les cyniques, se considère avec dédain et s'abîme trop volontiers dans l'alcool, Samuel Labarthe est  particulièrement impressionnant.   L'élégance du décor conçu par Jeff Servigne et les surprenantes vidéos d'ombre chinoises qui jalonnent le spectacle achèvent de le rendre "écoutable". Marigny  

mercredi 11 février 2009

L'apprentissage de Jean-Luc Lagarce

Un homme émerge du coma et jette un regard éberlué sur l'univers de blouses blanches qui l'entoure. Plusieurs fois hospitalisé Jean-Luc Lagarce, à qui il avait été passé commande d'un texte sur une renaissance, fait descendre son personnage (on pourrait dire son double) au plus secret de lui-même. L'affliction, on le sait, n'était pas son registre. Il décrit dans sa langue précise et dénuée d'apprêt le sentiment d'irréalité qui envahit ceux qui souffrent d'une maladie dont l'issue reste est un point d'interrogation. Alain Macé prête sa silhouette longiligne, ses yeux ronds et le timbre mélodieux de sa voix à cet homme dont on entend les vibrations de la pensée. Lesquelles semblent peu ou prou le délivrer de son anxiété. Le regard qu'il porte sur son environnement et sur sa propre personne donne une tonalité immémoriale à ce monologue. Peu de comédiens savent, comme lui être au plus proche des sensations. Sa prestation majeure lui a valu pendant plusieurs mois un tel succès que le spectacle est à nouveau à l'affiche. Il est indéniable qu'on est là face à un solo de l'intensité du "Voyage à La Haye" du même auteur qu'avait interprété avec une stupéfiante humanité Hervé Pierre. Jusqu'à début avril Théâtre les Déchargeurs    

vendredi 6 février 2009

P.S. Je t'ai épousé par allégresse

Le spectacle se donne à La Madeleine

Je t'ai épousé par allégresse

Femme de lettres italienne, Natalia Ginsburg (1916-1991) a écrit des essais, des romans et des pièces de théâtre qui lui ont valu une réputation prestigieuse. La mise en scène de Marie-Louise Bischofberger de "Je t'ai épousé par allégresse" n'ajoutera, et c'est navrant, rien à sa gloire. Giuliana une fille dans la mouise a rencontré au cours d'une soirée où elle était fine saoule, un avocat issu de la bonne société catholique. Un mois plus tard ils étaient mariés. Il apparaît un mois plus tard que le duo est totalement désaccordé.Le mari a invité à déjeuner sa mère, une grenouille de bénitier  au parler cabrioleur et sa jeune soeur. Pour cette femme à cheval sur les convenances, Giuliana, la belle-fille qu'elle ne connaissait pas sent le fagot. D'autant qu'il n' y a eu de mariage que civil.La metteuse en scène en scène  qui s'était attaqué, il y a quelques années, à Au but de Thomas Bernhardt dont le personnage clé était également une mère particulièrement enquiquineuse, semble vivement intéressée par les remous familiaux. Mais cette fois elle les tourne tellement en dérision qu'ils semblent droits sortis d'un vaudeville. Ce qui est d'autant plus consternant que sa dernière création, Le viol de Lucrèce d'après Shakespeare, était en tous points réussie et qu'elle a pour interprètes notamment Valéria Bruni-Tedeschi et Edith Scob, deux comédiennes d'une trempe peu commune.     

jeudi 5 février 2009

La dispute de Marivaux

 Tout en délicate coquetterie, les mots de Marivaux décrivent avec plus de cruauté encore que dans ses autres pièces l'inconstances de nos sentiments. Puisant le début dans une autre de ses oeuvres, Muriel Mayette nous fait entendre l'affrontement  d'un homme et d'une femme de haute naissance  persuadés que si les sentiments amoureux sont si volatiles la faute en incombe aux représentants de l'autre sexe. Une expérience est tentée pour savoir lequel détient la vérité. Des garçons et des filles,  chacun  élevés seuls,  n'ont jamais vus d'autres humains que les deux domestiques noirs chargés de les élever. Pas même un miroir ne leur a été donné pour qu'ils prennent connaissance de leur apparence. Quand l'organisateur de cette expérience juge le moment venu de les faire se rencontrer il observe avec sa compagne comment les jeunes gens tout juste pubères vont réagir. Lorsqu'ils se voient pour la première fois Eglé et Azor éprouvent l'un pour l'autre, qu'ils trouvent d'une beauté astrale, une ferveur exorbitante, se jettent des regards dolents et ne veulent se séparer, ne fut-ce qu'un court moment, à aucun prix.  Leurs façons gourdes ne les gênent évidement en rien. Mais il suffit qu'ils tombent nez à nez avec un autre tendron du sexe opposé pour que leur passion s'effrite. 
Si l'ouverture semble un brin trop bavarde, les scènes entre les quatre jeunes gens sont délectables. En particulier celle de la rencontre entre les deux adolescentes qui d'emblée éprouvent l'une pour l'autre, dont l'aspect leur apparaît bien disgracieux, une véritable aversion.  Les quatre comédiens qui jouent les garçons et filles frais comme la rosée ont tous un sacré panache. Une mention très spéciale cependant à Anne Kessler qui dans le rôle d'une allumeuse en herbe est carrément irrésistible. Théâtre du Vieux-Comonbier Jusqu'au 15 mars